— Par Roland Sabra —
Un petit groupe d’artistes martiniquais aussi prompts à la manifestation qu’à la création tentent depuis une quinzaine de jours de s’opposer au renouvellement de la direction actuelle du CMAC et demandent plus ou moins confusément l’abandon du label « Scène nationale » pour l’établissement. Ils étendent aujourd’hui leurs revendications à la politique du SERMAC et à celle du Théâtre Aimé Césaire de Fort-de-France. Avec quels arguments ? Et bien tout simplement, en ce qui concerne le CMAC, parce que les exigences (de qualité?) d’un tel label sont beaucoup trop hautes pour les productions martiniquaises ! Du moins pour celles de ces artistes là ! Pour les deux autres structures c’est le manque de place et de financements accordés à leurs prestations qui est en cause.
La plainte
Tout commence par une « Lettre «des» artistes à nos responsables politiques » parue dans F-A du 06-juin 2012 et cosignée par une quinzaine de personnes dans laquelle deux types de griefs à l’égard du CMAC sont exposés.
Premièrement le label « Scène nationale » conduiraient à « des pratiques et attitudes non conformes » qui résulteraient de « préjugés » de fonctionnaires hexagonaux en poste dans l’ile. Qu’en est-il de ces pratiques et de ces attitudes, nous n’en saurons rien. On notera le glissement qui va des pratiques, repérables, objectives aux attitudes, qui relèvent davantage de l’évanescent et de la subjectivité. Le principal reproche porte sur l’origine, la provenance de ces fonctionnaires qui ne sont même pas « accompagnés de personnes ressources de notre territoire ». A bas les métèques ! Vive le Bleu Marine ! On n’est pas loin du délit de sale gueule. Comme si l’identité martiniquaise ou autre relevait de l’essence Comme si les signataires n’avaient jamais entendu Pierre Bourdieu remettre à sa place, au Val Fourré à Mantes-la Jolie un jeune magrébin qui revendiquait son origine Kabyle pour dénier au sociologue le droit de parler de la Kabylie. Pierre Bourdieu qui en connaissait un peu plus sur le sujet que la majorité des kabyles eux-mêmes ne manqua pas de rappeler. Comme si l’homogénéité entre l’analyste et l’objet d’observation était la condition sine qua non d’énonciation d’une vérité ! La science , la connaissance ne sont pas infuses. Tristesse de devoir rappeler de telles banalités.
Deuxièmement ces fonctionnaires hexagonaux useraient de« méthodes à la limite du mépris au sein des « comités d’experts » dont le rôle est de se prononcer sur les financements des porteurs de projets. Avant de donner de l’argent il y a un évaluation de ce qui est proposé. Le scandale selon les auteurs se love dans l’incapacité des diffuseurs de se faire leur propre jugement et de se laisser influencer par des critiques venues du froid et présentes au sein du comité d’expertise. Mesdames et messieurs les diffuseurs, les programmateurs vous êtes des chiffes molles, des ventres mous, des mauviettes qui vous couchez devant le diktat des « hexagonaux » !! Que ceux ci-partent et vous vous plierez enfin aux desiderata des vrais artistes, des artistes pure souche, des artistes du terroir sans avoir à prendre en considération la diversité des goûts et des désirs des publics.
Voilà les deux seuls arguments avancés pour demander le départ de la direction du CMACet l’abandon du label « Scène nationale » ! Vient ensuite, dans la « Lettre «des » artistes à nos responsables politiques » une recopie des missions d’une scène nationale puis une série d’antiphrases « notre courrier ne se veut pas grandiloquent mais concret ». Il n’y aura pas un seul exemple concret dans l’article mais peu importe. Le faire se satisfera du dire. L’ouverture à l’Altérité, constitutive de l’Identité, se résume dans cette revendication, ce déchirement, ce cri « A quand un cadre martiniquais directeur d’une structure strictement ( martiniquaise?) dédié à la création artistique ( martiniquaise?). C’est nous qui soulignons et ajoutons les parenthèses.
Les marches pour accéder à une scène nationale étant trop hautes ces artistes là demandent la création d’une structure martinico-martiniquaise plus adaptée à leurs possibilités. Pourquoi pas ? Mais est-il besoin d’un argumentaire xénophobe pour ce faire ?
Ce qui est vrai c’est que les productions martiniquaises ne trouvent pas ou peu de diffuseurs. La Chapelle du Verbe Incarné qui accueille les Théâtres de l’Outremer en Avignon ( TOMA) ne programme cette année aucune création martiniquaise. Seul « Wopso » de Marius Gottin, mis en scène de José Exélis est à l’affiche. Ce qui n’est pas une nouveauté, loin s’en faut ! Habdaphaï exposera à la Petite Chapelle juste en face du Théâtre et on retrouvera une trace martiniquaise dans un duo dansé, martinico-réunionnais « Charoy’ » de la Cie Artmayage. Point barre. La Nouvelle-Calédonie, la Réunion, la Guadeloupe se taillent la part du lion dans cette programmation.
Tous les programmateurs ne participent pas au comité d’experts voués aux gémonies par les signataires du texte et bon nombre confient aux critiques leur manque d’appétence pour des spectacles qui ne semblent pas toujours être à la hauteur de leurs attentes et de celles de leurs publics. Bien des représentations manquent de professionnalisme. Est-ce dû à leur faible diffusion dans l’île, trois ou quatre, qui donne cette impression de rodage non terminé ? Mais n’y a-t-il pas de la mauvaise foi à avancer cet argument ? Les aides de l’Etat sont-elles suffisantes ? A quel niveau sont-elles ?
La diffusion
En effet, on ne peut plus cocasse est la plainte de ne pas avoir accès à des dispositifs qui existent au niveau national ( c’est-à-dire hexagonal, et dans ce cas le diable devient plus fréquentable)) faute de représentations des œuvres en nombre suffisant. Pourtant un mécanisme avait été mis en place, soutenu par la DAC, qui s’appelait « Scènes de Martinique ». D’abord le minimum de représentations exigées dans l’hexagone était baissé de moitié. Il n’a d’ailleurs jamais été pris en compte comme critère de rejet de financement s’il n’était pas atteint. Ensuite les services de l’État « hexagonal » prenaient en charge le défraiement des comédiens, des techniciens, de la Régie, de la location de salle, de la communication et des relations publiques. Seuls les metteurs en scènes n’étaient pas rémunérés au motif qu’ils avaient déjà été aidés au titre de l’aide à la création. Un tiers du travail devait se faire en éducation artistique en liaison avec les dispositifs de l’éducation nationale. Le tarif de 47 euros de l’heure proposé pour ces vacations a été jugé « méprisant » par la plupart des compagnies. Une subvention de 5000 à 8000 euros était versée aux communes en fonction du nombre de représentations. .Que certaines communes n’aient pas toujours reversé dans les temps et délais les sommes allouées est une réalité tout comme l’a été le mouvement d’opposition à ce dispositif jugé trop peu généreux par quelques directeurs et directrices de troupes. Résultat ce système de diffusion en commune des œuvres artistiques martiniquaises est aujourd’hui mort et enterré. Nombreux sont ceux, parmi les signataires de la « Lettre à nos responsables politiques », qui, hostiles à ce dispositif de diffusion des œuvres en commune, ont participé à cet enterrement.
Le financement
Les aides de l’État sont-elles insuffisantes ? En un peu plus d’une dizaine d’années plus de deux millions deux cents mille euros ont été distribués aux compagnies martiniquaises. On verra le détail ci-après. Est-ce assez ? Sans doute pas. Est-ce qu’après l’abandon du label « Scène nationale » les collectivités locales seront en mesure de prendre en charge ces financements ?
Et le public dans cette affaire ? Il est semble-t-il le grand oublié. S’il raffole de musique, antillaise ou autre, il boude le théâtre par exemple. Même quand sont programmées des pièces du répertoire français. Il faut dire qu’ imposer à des gamins de collège, un « Tartuffe » amputé de son épilogue sans que cela soit dit, en « loucedé » comme dirait Genet, n’est pas du meilleur effet. Cela dit, cette année la fréquentation du CMAC était en hausse et le public se diversifiait. Mais qui se soucie du public ?
Au delà d’une demande d’accroissement de la part du gâteau qui leur serait réservée on ne voit pas bien quelles propositions sont faites pour l’élaboration d’une politique culturelle en Martinique. C’est la faiblesse de ce mouvement minoritaire pour l’instant que de ne pas avoir de projets et de se complaire dans une attitude essentiellement protestataire. Mais c’est peut-être aussi la condition de sa possible extension. Qu’il y ait un « Malaise dans la culture » en Martinique comme partout ailleurs, nul ne saurait le nier, est-ce pour autant dans un repli frileux, et craintif de l’Altérité, que se trouve l’issue ?
Nous ne cherchons pas à défendre la directrice du CMAC. Elle a semble-t-il assez d’arguments pour ce faire et son bilan en terme de programmation (ouverture) et de fréquentation (hausse) cette année parle pour elle. Non, ce que nous ne supportons pas c’est l’étroitesse d’esprit, la peur de l’Autre, le repli identitaire et toute l’idéologie nationaliste implicite contenus dans cette déclaration. Nous n’oublierons pas la leçon d’Edouard Glissant. Non, disait-il à l’Etat-nation oui à l’Etat-relation. Ce dont la Martinique a besoin c’est d’une École des Arts qui forme les artistes aux exigences de la confrontation avec ce qui se fait dans la Caraïbe et dans le reste du monde, pas d’un rabaissement des exigences camouflées sous une pseudo revendication identitaire. Aux insuffisances le nationalisme, aussi étroit soit-il, ne peut servir de cache-sexe.
Récapitulatif des subventions versées directement à des compagnies et ensembles professionnels martiniquais en matière de culture depuis 1998
En théâtre
Les Enfants de la mer : (2011) = 35.000 €
(2012) = 24.000 €
(total des subventions versées depuis 1998 = 610.614 €)
Les Berlick : (2011) = 6.000 €
(2012) = 10.000 €
(total des subventions versées depuis 2009 = 28.000 €)
Théâtre du Flamboyant : (2011) = 29.000 €
(2012) = 25.000 €
(total des subventions versées depuis 1998 = 520.394 €)
Cie Activart’2 : (2011) = 35.000 €
(2012) = 24.000 €
(total des subventions versées depuis 2009 = 74.000 €)
Cie Ile Aimée : (2011) = 20.800 €
(2012) = 22.000 €
(total des subventions versées depuis 2008 = 67.800 €)
Rézylians : (2012) = 10.000 €
Wabuza Cie : (2011) = 24.000 €
(total des subventions versées depuis 2010 = 44.000 €)
Sijiri : (2011) = 33.000 €
(2012) = 22.000 €
(total des subventions versées depuis 2011 = 55.000 €)
Téat’Lari : (2012) = 12.000 €
En danse
Gedc ( Compagnie de Christiane Emmanuel) : (2011) = 38.000 €
(2012) = 28.000 €
(total des subventions versées depuis 1997 = 499.677 €)
Version Hip-Hop : (2011) = 6.331 €
(2012) = 33.000 €
(total des subventions versées depuis 1997 = 106.569 €)
Artincidence : (2011) = 9.000€
(2012) = 17.000 €
(total des subventions versées depuis 2007 = 30.000 €)
Kamélonite : (2012) = 8.000 €
ADE : (2012) = 19.500 €
(total des subventions versées depuis 2010 = 24.500 €)
Tête grainée : (2011) = 6.000 €
(2012) = 3.000 €
(total des subventions versées depuis 2002 = 62.958 €)
En musique
Kouté Sa : (2011) = 15.000 €
(2012) = 15.000 €
(total des subventions versées depuis 2006 = 35.500 €)
Charly Labinsky : (2011) = 22.000 €
Guy Marc Vadeleux : (2011) = 18.523 €
Tam Tam : (2011) = 22.000 €
Aléliwon : (2011) = 14.000 €
Patac : (2011) = 10.000 €
(total des subventions versées depuis 2010 = 20.500 €)
Ces chiffres ont été donnés lors d’une réunion des artistes avec les services de l’État.
Fort-de-France le 21 juin 2012
Roland Sabra, Madinin’Art