Deux danseuses noires + deux circassiennes blanches, une pièce 100 % femmes avec une intention féministe affichée. Les danseuses sont souvent quatre en réalité car les deux circassiennes se mettent également à danser dans les tableaux à quatre. Après un prologue superflu au cours duquel est délivré en voix off un premier discours militant (éloge de la « femme djok », i.e. poteau mitan) à la clé, le spectacle commence et sera un enchantement de début à la fin, faisant oublier aussi bien le discours inaugural que celui qui viendra interrompre brièvement la pièce. Dans cette veine, on aura préféré le moment où une danseuse, micro en main, s’adresse à sa partenaire (puis idem pour les circassiennes).
Il n’y a pas si longtemps, on voyait fleurir sur les plateaux des pièces parlant des migrants : c’est sans doute ce qu’attendaient les subventionneurs. Désormais la mode est pour les sujets « woke » (racisés, femmes, lgbtq…). Ainsi va le monde. Toutes ces vertueuses intentions n’empêchent heureusement pas de faire de bons spectacles. Et celui-ci en est un, son ramage sauvé par son plumage.
Cela tient à la fois aux deux belles danseuses, l’une pleine de grâce et l’autre d’élégance et aux deux virtuoses de la roue Cyr, une roue de deux mètres de diamètre faite d’un tube métallique. Pour celui qui, comme nous, n’avait jamais eu l’occasion d’assister à la démonstration des possibilités de cet accessoire (inventé par le Québécois Daniel Cyr), le résultat est impressionnant. Manié comme ils l’est par Mélodie Morin et Héloïse Petenzi, on est pris dans une suite de tableaux qui charment par leur douceur (comme si la roue était en suspension) toute poétique, alors même qu’on est impressionné par la difficulté de certaines figures et que l’on craint constamment l’accident qui viendrait rompre la trajectoire des acrobates. Car on peut être deux dans la même roue ou manier deux roues différentes. La vidéo jointe qui présente le travail d’Héloïse Petenzi ne donne qu’une idée imparfaite de ce qui a été montré sur le plateau de Tropiques-Atrium.
Quant aux danseuses, Shaona Legrand et Natty Montella, originaires l’une de Guyane, l’autre de Guadeloupe (les deux circassiennes qui les accompagnent venant quant à elles de l’Hexagone), elles proposent une danse très dynamique, toute en force, qui contraste avec la douceur des révolutions de la roue sans que cela nuise à la cohérence de la pièce. La chorégraphie est de Léo Lérus, également guadeloupéen, « avec la complicité des interprètes ». Léo Lérus, ancien danseur de la Batsheva Dance Company, lauréat du prix Nagel Charnock pour sa pièce Fractal en 2013, a présenté l’année dernière une nouvelle création, Entropie, au Théâtre national de la danse Chaillot à Paris. Il faut mentionner également les lumières de William Leclercq, la musique de exXÔs mètKakOla (sic) et les costumes d’Hélène Behar agrémentés par les peintures de Jean-Jacques Le Corre.
Tropiques-Atrium – Scène nationale, Fort-de-France, 15 février 2022