— par Selim Lander — On est en droit de penser que beaucoup de lecteurs de Madinin’Art ont déjà vu cette pièce d’Ina Césaire mettant en scène deux demi-sœurs martiniquaises, Aure, chabine et qui s’efforce de rester distinguée, Hermance, foncée et qui ne fait pas de chichis. N’ayant pas la même mère elles ont reçu une éducation différente, la première devenue institutrice, signe d’élévation sociale à cette époque (elle est censée être née en 1914), la seconde restée une femme du peuple. La pièce joue à fond sur ce contraste entre les milieux, les deux caractères sont bien typés, la langue n’est pas la même chez chacune, pas plus que l’élocution et le maintien.
Cette pièce d’Ina Césaire, avec ses notations anthropologiques (justifiant le titre Mémoire d’îles), souvent représentée à la Martinique, a été déjà commentée et sur Madinin’art en particulier (1). Nous ne nous étendrons donc pas davantage, sauf pour souligner le jeu exceptionnel des comédiennes. On parle « d’incarner » un personnage : Catherine Césaire et Suzy Singa sont Aure et Hermance, de la tête aux pieds. Il faut dire que les années ont passé depuis qu’elles ont créé cette pièce (sous la houlette bienveillante de José Exelis). Elles ont maintenant vraiment l’âge de leurs rôles, deux vieilles grand-mères qui ressassent le passé. Leur physique a évolué. Le costume de S. Cinga n’est plus du tout le même. Les chapeaux se sont agrandis. Quand elles se déplacent avec peine, on n’a aucun mal à les croire. Ce qui nous étonne plutôt c’est de les voir tout à coup se mettre presque à gambader devant nous, puis à s’effondrer sur le plateau, au point que nous craignons qu’elles n’outrepassent leurs forces. De ce fait, leur jeu paraît encore plus dynamique que lorsqu’elles étaient plus jeunes.
A ceci près, la pièce est toujours la même et l’on se régale des saillies d’Hermance comme des minauderies d’Aure. Il y a sur le plateau le minimum indispensable pour camper une atmosphère. À jardin le coin de la mulâtresse avec le thé sur un guéridon. À cour celui de la négresse avec une cuvette pour ses pieds endoloris. Au fond, enfin, sur une petite table le coin où se trouve le flacon de rhum pour se donner du cœur au ventre : d’où une scène désopilante dans laquelle S. Singa mime l’ivresse. Sachant que la musique rétro de Kali n’est pas pour rien dans l’atmosphère chaleureuse et détendue de cette pièce. À noter également les lumières (créditées à Fred Libar sans que l’on sache si cela est toujours d’actualité).
Nous avons promis de ne pas en dire plus, d’autant que cet bref compte rendu doit paraître le plus tôt possible afin de convaincre les amateurs qui auraient manqué les séance de jeudi et de vendredi, de se précipiter à la dernière, qu’ils aient déjà vu la pièce ou pas, ce samedi 26 avril 2025 au théâtre Aimé Césaire, à 19h30.
NB. Contrairement aux photos parues dans la presse, celles de cet article correspondent bien aux représentations de ces jours-ci.
(1) https://www.madinin-art.net/memoires-diles-dina-cesaire-adaptation-et-mise-en-scene-de-jose-exelis/