Étiquette : Selim Lander

Gouverneur de la rosée : une tragédie, hélas !

— Par Selim Lander —

« Tu sais, le cœur et la raison, c’est du pareil au même. Tu diras […] : On répète comme ça que le garçon de Bienaimé, ce nègre qui s’appelle Manuel, a découvert une source. Mais il dit que c’est tout un tracas de l’amener dans la plaine, qu’il faudrait faire une coumbite général, et comme on est fâchés, ce n’est pas possible et la source restera là où elle est sans profit pour personne. » (Gouverneur de la rosée, p.121).

Le héros du roman de Jacques Roumain, s’adresse ainsi à son amour, la belle Annaïse, ou plus simplement Anna (« sa gorge était haute et pleine, et sous le déploiement de sa robe, la noble avancée des jambes déplaçait le dessin épanoui de son jeune corps », p. 113) pour lui exposer son projet : dans une contrée haïtienne ravagée par la déforestation et la sécheresse, il a, lui le miraculeux, trouvé à l’aide de ses mains (son nom est « Manuel) la source qui peut ramener la prospérité à condition que toute le village s’y mette (prolétaires, unissez-vous !).

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Le PABE en ses tribulations archipéliques – exposition collective à l’Atrium

— Par Selim Lander —

Le « PABE » – pour Plastik ArtBand Experimental, une association de plasticien.ne.s non-conformistes – occupe le paysage culturel martiniquais depuis une bonne dizaine d’années. Au fil des expositions de ce groupe à majorité féminine, on a pu découvrir des sensibilités artistiques très diverses, savantes ou naïves, des techniques sophistiquées ou plus frustes mais chez tous.tes le même enthousiasme, la même envie de laisser s’exprimer sa créativité. Ces artistes ont l’habitude de travailler ensemble depuis suffisamment longtemps pour faire groupe, ce qui n’empêche pas qui les a un peu fréquenté.e.s de reconnaître immédiatement la patte de chacun.e.

L’exposition collective qui vient de s’ouvrir à Tropiques- Atrium sous l’intitulé Tribulations archipéliques et qui se prolongera jusqu’au 10 novembre confirme cette diversité qui fait la richesse du groupe. Emmenés par les peintres Michèle Arretche et Marie Gauthier dont on connaît le métier, les « pabistes » ont abordé le thème de l’île en utilisant tous les procédés possibles, du tableau peint à l’ancienne sur une toile jusqu’à la vidéo en passant par la sculpture, la céramique, l’installation, le collage, la photo.

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L’art cubain contemporain à la Fondation Clément

—Par Selim Lander —

Grâce à une politique de formation très active, avec des écoles d’art disséminées dans les provinces, dont les meilleurs éléments se retrouvent ensuite à l’Institut Supérieur des Arts de La Havane, Cuba est une pépinière de plasticiens de grand talent. Aussi n’était-ce que justice, de la part de la Fondation Clément, que de faire connaître quelques-uns d’entre eux à son public. C’est chose faite avec l’exposition Buena Vista – art contemporain de Cuba qui présente les œuvres de dix-huit créateurs en mettant l’accent sur leur diversité, de l’abstraction à la vidéo d’animation. Notons que certains d’entre eux (Abel Barroso, Sandra Ramos, Lazaro Saavedra, Toirac) étaient déjà regroupés lors de la 12e Biennale d’art contemporain de la Havane, en mai-juin 2015, dans l’exposition intitulée El pendulo de Foucault[i] et qu’Abel Barroso avait en outre été le sujet d’une exposition individuelle à la Fondation Clément au tout début 2015.

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Avignon 2018 : Marianne Piketty – Abdelwaheb Sefsaf – OFF (musiques)

— Par Selim Lander —

Pour finir cette session 2018 du festival, deux spectacles musicaux aux antipodes l’un de l’autre, de la musique classique à celle d’aujourd’hui. Autant dire que l’appréciation que l’on en fera est surdéterminée par les goûts de chaque auditeur/spectateur.

Le Concert idéal

Drôle de nom pour l’ensemble de cordes de Marianne Piketty, car enfin quelle œuvre humaine pourrait raisonnablement se qualifier ainsi, l’idéal n’étant pas par définition inatteignable ? Peu importe, à vrai dire : nous sommes là pour écouter de la musique, ou plutôt écouter-voir puisque le charme des concerts de cet ensemble tient autant à leur mise en scène qu’à la qualité de l’interprétation. C’est en effet une très bonne idée que d’ajouter à l’écoute des morceaux une « lecture visuelle », les déplacements des musiciens sur le plateau mettant en évidence la contribution de chaque instrument à la partition comme aucun concert traditionnel – chaque instrumentiste assis à sa place devant son pupitre – n’est capable de la faire. Point de chaise ici (sauf pour la violoncelliste), les autres instrumentistes jouent debout et peuvent s’éloigner de leur pupitre (sauf la contrebassiste et donc la violoncelliste) lorsque le moment est venu pour elles (ou eux) de se mettre en valeur.

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Avignon 2018 : Jean-Michel d’Hoop – Hakim Bah – (Off)

L’Herbe de l’oubli : Tchernobyl

— Par Selim Lander —

Dans ou devant une carcasse de maison des personnages passent et repassent, de drôles de personnages avec des cous trop longs, des têtes trop grosses quand ce n’est pas l’ensemble qui est énorme chez eux. Il y a encore sur le plateau une sorte de chat monstrueux et même un cheval mort. Et j’oubliais le petit garçon à l’allure très étrange qui bouge comme un pantin. Ces êtres-là ne sont pas plus de vrais humains que de vrais animaux mais ils pourraient l’être puisque nous sommes à Tchernobyl (Tchernobyl : l’absinthe en ukrainien, soit l’herbe de l’oubli), pas dans la centrale, bien sûr, mais à côté, dans la zone d’exclusion (la « réserve radiologique naturelle » – sic) ou juste autour. Des membres de la compagnie Point Zéro sont allés enquêter sur place. Ils ont rapporté des images, des témoignages à partir desquels J.-M. d’Hoop (auteur et M.E.S.) a bâti un spectacle remarquable, instructif, émouvant, drôle parfois et éminemment poétique grâce aux marionnettes (de Ségolène Denis) dont la compagnie s’est fait une spécialité. Une seule marionnette à fils, celle du petit garçon, les autres sont des êtres hybrides, une grand-mère par exemple sera faite d’une comédienne dont un bras figurant le cou a la main dans la tête de la marionnette, tandis que l’autre bras est enfilé dans sa robe.

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Avignon 2018 Gaudillère : « Pale Blue Dot » – IN

— Par Selim Lander —

Wikileaks

Dernier spectacle du IN en ce qui nous concerne, Pale Blue Dot est consacré à « l’affaire Wikileaks ». Du théâtre documentaire solide, concocté (texte et m.e.s.) par Etienne Gaudillère, jeune comédien qui a créé sa compagnie « Y » en 2015 avant de monter Pale Blue Dot l’année suivante. Le titre serait tiré de la description de la terre vue par la sonde Voyager à quelques milliers de kilomètres : un point bleu pâle. Disons alors que la pièce est un zoom sur quelques individus qui voulaient « changer le monde » (au sens de notre petite terre perdue dans l’univers), à commencer par Julien Assange, fondateur de Wikileaks à la personnalité très affirmée, toujours confiné dans l’ambassade d’Equateur à Londres et le soldat Bradley (devenu Chelsea) Manning qui a approvisionné Wikileaks avec des « tonnes » de documents très compromettants pour l’armée et l’administration américaines.

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Avignon 2018 Phia Ménard – Julie Otsuka/Richard Brunel – IN

— Par Selim Lander —

Saison sèche

Incontestablement l’un des événements du festival, très longuement applaudi, Saison sèche passe en force et ne peut pas laisser indifférent. Phia Ménard est une femme qui fut jadis un homme. Militante, elle n’a de cesse dans ses pièces chorégraphiées de dénoncer l’oppression de la femme par l’homme. Il s’agit donc de danse, une danse très contemporaine destinée à produire sur le spectateur des chocs à répétition. Le premier tableau montre des femmes vêtues d’une courte combinaison blanche dans un espace lui-même tout blanc pourvu d’un plafond qui monte et descend jusqu’à presque écraser les sept danseuses, comme pour mieux illustrer la domination de la société patriarcale. Vient ensuite le tableau de la danse rituelle inspirée de la secte des Haukas, au Ghana, filmée par Jean Rouch (Maîtres fous) : entièrement nues, peinturlurées de couleurs vives, les danseuses semblent effectivement se livrer à un rituel magique.

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Avignon 2018 Gaëtan Peau : « Le Corps en obstacle » – OFF

— Par Selim Lander —

C’est paradoxal mais c’est ainsi : Il n’est pas si facile de voir sur « la plus grande scène de théâtre du monde » une « vraie » pièce écrite pour le théâtre dans les règles de l’art, pas un seul en scène, pas un texte adapté d’un roman ou d’un journal intime, pas un spectacle poétique ou musical ou de cirque. Les festivaliers ont dû s’habituer à ces nouvelles formes qui comportent, bien sûr, leur part de réussite mais enfin les amateurs du « vrai théâtre » ont de quoi se sentir frustrés. Aussi se réjouissait-on à l’avance de découvrir, au Verbe incarné, la pièce de G. Peau qui se situe dans le monde des agences de sécurité dont les employés mettent leurs « corps en obstacle ».

Dès l’entrée dans la salle, on pressent qu’il va se passer quelque chose d’intéressant. A jardin, un bureau, une table plutôt, chargée de quelques dossiers ; à cour, des instruments de salle de sport, un banc pour le développé-couché, un sac de frappe pour boxeurs, quelques haltères. Le patron de la boite, comme on l’apprendra bientôt, est un ancien boxeur amateur qui tient à l’entraînement sportif de son personnel.

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Avignon 2018 : El Attar – Lagarce – IN

— Par Selim Lander —

Mama

De Ahmed El Attar, on avait vu, en 2015, The Last Supper, une immersion plutôt fascinante dans une famille de la grande bourgeoisie égyptienne, qui valait autant par son caractère ethnographique que pour les quelques éléments d’intrigue qui s’y nouaient. Avec Mama que l’on nous annonce comme le dernier volet d’une trilogie après La Vie est belle ou en attendant mon oncle d’Amérique et The Last Supper, El Attar a voulu, selon ses déclarations et contrairement aux deux pièces précédentes, mettre les femmes au centre de l’action, pour faire ressortir plus clairement une problématique centrale de la famille égyptienne suivant laquelle les femmes opprimées par leurs pères et maris se rattrapent, en quelque sorte, sur leurs fils qu’elles enferment dans un amour possessif, si bien que le fils se rattrapera à son tour sur son épouse et ses propres filles et ainsi de suite…

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Avignon 2018 Anne Voutey – Vincent Roca – OFF

— Par Selim Lander —

Sur la route (la mort de Sandra Bland)

Une jeune afro-américaine est morte victime des violences policières. De ce fait divers réel Anne Voutey – dont la m.e.s. du Gardien (de Pinter), avait obtenu le prix du meilleur comédien aux Ptits Molières en 2015 – a tiré une pièce émouvante interprétée par trois comédiennes (en alternance, ce qui explique qu’elles soient cinq sur l’affiche). La comparaison avec La Reprise de Milo Rau présentée dans le IN cette année s’impose en raison de la proximité des thèmes. Dans La Reprise Ihsane Jarfi est battu à mort par de « pauvres types » parce qu’il est homosexuel et « arabe », dans Sur la route la victime d’un policier (on la retrouvera pendue dans sa cellule trois jours après son arrestation) est jeune et noire. A cela près, on a affaire à la même bêtise raciste chez les assassins. Or on ne peut imaginer des traitements plus différents de ces faits divers similaires que ceux imaginés par les deux auteurs-metteurs en scène. Là où Rau tourne autour du personnage d’Ihsane, en s’intéressant aux parents, aux meurtriers, etc.,

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Avignon 2018 Vandalem – Couperus/van Hove – IN

— Par Selim Lander —

Arctique

Anne-Cécile Vandalem avait marqué le festival, il y a deux ans avec Tristesses, déjà une sombre histoire de corruption mettant en scène une politicienne danoise, à ceci près que l’action se déroule non sur une île mais sur un paquebot désaffecté remorqué vers le Groenland (possession danoise) où il servira d’hôtel. La raison pour laquelle quelques passagers clandestins se retrouvent à bord demeure longtemps obscure. Par contre on comprend assez vite que le bateau a heurté une plate-forme pétrolière lors de sa première croisière, que des écologistes ont été déclarés responsables, jugés, que le mouvement écologiste danois a été de ce fait décapité et que son chef, Mariane Thuring, est morte pendant cette traversée. La suite est une série de coups de théâtre pour nous apprendre ce qu’il fut réellement et à quelle fin les passagers ont été attirés sur le bateau.

La mise en scène d’A.-C. Vandalem ne déçoit pas. L’usage de la vidéo se justifie ici pleinement car il permet de sortir du salon où sont réunis les comédiens face au public pour visiter divers lieux du paquebot (le pont, une coursive, une cabine de passager, la cabine du radio, la cale) construits dans un second décor derrière le premier.

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Avignon 2018 – Feydeau, Vian – OFF

— Par Selim Lander —

Feu le père de Monsieur

Aller voir un Feydeau de nos jours, n’est-ce pas trop ringard ? Les lecteurs de cette chronique se demandent peut-être ce qui nous a pris. En fait, confessons-le, l’acte ne fut pas prémédité. Souvent, en Avignon, lorsqu’on veut meubler le temps entre deux pièces que l’on a dûment programmées, on se retrouve à voir une pièce simplement parce qu’elle est jouée dans le quartier où l’on se trouve à l’heure qui convient. Et, curieusement, très souvent ces pièces à peine choisies se révèlent très bonnes, voire meilleures que celles qu’on ne voulait pas rater. Ce fut le cas, lors de ce festival, pour Zorba et, encore plus fort, pour Nous voir nous. Cette fois-ci, ce fut donc un Feydeau. Avouons que nous sommes entré dans la salle presque à reculons, sans avoir d’ailleurs percé le pourquoi de ce titre bizarre, avec « la mère » et « Madame » surchargées d’un « père » et d’un « Monsieur ». Féminisme quand tu nous tiens ! Les mots rayés sont ceux du titre originel choisi par Feydeau. Un certain Lucien revient du bal des Quat’ Z’arts fort tard dans la nuit ; il réveille sa femme et s’ensuit une scène de ménage inévitable ponctuée par les interventions maladroites d’un valet plus qu’à moitié endormi.

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Avignon 2018 Guillaume Corbeil – Dorine Hollier – OFF

— Par Selim Lander —

Nous voir nous : le choc !

Faire une pièce de théâtre de la mode des selfies ? On ne sait trop a priori ce qu’il faut en penser ; le titre n’est pas tellement engageant ; on demande à voir. Eh bien, on aurait tort de ne pas y aller (voir). Cette production d’une compagnie du Nord de la France est pour nous en effet jusqu’ici le choc du festival. Il faut dire que ce texte d’un jeune auteur québécois a été plusieurs fois primé et que ce n’est pas pour rien. Guillaume Corbeil est un pur produit de l’Ecole nationale de théâtre du Canada, à Montréal, avec un département « écriture » dont nous n’avons pas l’équivalent en France. Nous voir nous est construit comme un oratorio avec les comédiens qui se coupent constamment la parole, ce qui permet de passer sans encombre une phase d’exposition qui pourrait, sans cela, lasser. Chemin faisant, les personnages (cinq jeunes adultes, trois femmes et deux hommes, joués par cinq comédiens), très semblables au départ, se différencient les uns des autres, des histoires individuelles se dessinent jusqu’au dénouement.

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Avignon 2018 (7) Pinter, Kazantzakis – OFF

— Par Selim Lander —

Trahisons

Sans doute la pièce la plus célèbre d’Harold Pinter. En tout cas la plus souvent représentée en Avignon. Et l’on ne se lasse pas de la revoir, tant elle met en évidence le génie quasi diabolique de Pinter lorsqu’il s’agit de bâtir une intrigue. Il faut ajouter, ce qui est tout aussi essentiel, que les comédiens s’y montrent en général inspirés. C’est incontestablement le cas dans la version mise en scène par Christophe Gand au théâtre Buffon. Les trois comédiens principaux qu’il serait dommage de ne pas citer – Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto et Yannick Laurent – sont parfaitement à l’aise dans des personnages complexes qui se trahissent à qui mieux mieux – comme le titre l’indique suffisamment – non sans garder toujours un flegme et une élégance très british. Il ne faut surtout pas dévoiler les méandres de cette histoire tant le spectateur prend de plaisir à les découvrir.

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Avignon 2018 : Racine, Koohestani, Shaheman – (In)

— Par Selim Lander —

Iphigénie m.e.s. Chloé Dabert

Le « tendre Racine » n’apparaît guère dans cette pièce où la jeune Iphigénie est promise au trépas par un caprice des dieux. La tendresse n’apparaît à vrai dire que dans la scène 2 de l’acte II, entre Iphignénie et son père Agamemnon. Ce dernier ne sait comment se comporter envers celle qu’il doit immoler et qu’il aime pourtant. Elle ne comprend pas son inhabituelle froideur :

« N’osez-vous sans rougir être père un moment ? »

Comment ne pas se réjouir a priori de voir Racine honoré dans le IN qui n’accable pas ses spectateurs avec les classiques ? Malheureusement, la mise en scène de Chloé Dabert déçoit quelque peu nos espérances. Le décor, même s’il n’emporte pas tous les suffrages, ne nous a quant à lui pas déçu : cette grande tour d’échafaudages, à jardin, qui pourrait aussi bien figurer la proue d’un navire de guerre (puisque la flotte des Grecs en guerre est bloquée dans le port, en attendant que le vent, délivré par les dieux, veuille bien se lever et conduire les vaisseaux jusqu’à Troie) permet des déplacements intéressants.

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Avignon 2018 : Molière et Laurent Gaudé – (Off)

Par Selim Lander

L’Ecole des femmes : Molière retrouve les tréteaux

Décidément Molière a tout pour se sentir à l’aise en Avignon. Après Les Fâcheux dont nous rendions compte dans notre précédent billet, nous découvrons cette M.E.S. de L’Ecole des femmes dans le style de la commedia dell’arte. Certes, Molière ne reconnaîtrait pas exactement son texte ou plutôt il serait surpris par quelques ajouts (une conteuse, des intermèdes chantés) et suppressions (comme le personnage du notaire) car les alexandrins fameux sont bien là et donc le drame du vieil Arnolphe désespérément amoureux de la jeune Agnès. Ecoutons-le :

 

Chose étrange ! d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses

J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle,
Et cependant jamais je ne la vis si belle

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Avignon 2018 : Molière, Lars Noren, Michèle Césaire – OFF

Par Selim Lander

Vraiment drôles ces Fâcheux

Les farces de Molières n’ont pas toutes passé les siècles sans dommage ; leur naïveté parfois déconcerte. On n’en dira pas autant de celle-ci qui a d’abord le mérite d’être écrite en vers. Et l’on sait combien Molière, quand il s’y mettait, savait tourner l’alexandrin (au point qu’on l’a soupçonné –  sans la moindre preuve – de n’être que le prête-nom d’un Corneille…). Quoi qu’il en soit, on se régale à écouter cette langue classique.

L’argument des Fâcheux, certes, est simplissime : Eraste a un rendez-vous galant avec Orphise dans une allée d’un jardin public ; las, de vrais ou faux amis ne cessent d’apparaître qui veulent absolument l’entretenir ou obtenir quelque chose de lui et dont il ne sait, à son grand dam, se débarrasser avant qu’ils aient débité leur histoire in extenso. Toutes ces « anecdotes » (détail secondaire mais plaisant… ici seulement pour celui qui la raconte !) s’enchaînent sur un rythme effréné. A peine Eraste a-t-il pu entrapercevoir sa belle qu’il est saisi par un ou plusieurs de ces fâcheux.

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« Mektoub my love » : Kechiche se laisse aller

— Par Selim Lander —

Un film qui s’étale sur près de trois heures, sans aucune intrigue véritable, avec des séquences qui durent jusqu’à plus soif : tout au plaisir de montrer son petit monde de Maghrébins installés sur la rive de la Méditerranée, côté français, Abdellatif Kechiche n’a pas cru devoir se retenir, quitte à user les nerfs des spectateurs… qui ont néanmoins, lors de la séance à laquelle nous avons assisté, tous (et nous donc) bu le calice jusqu’à la lie.

Il est vrai que le film commence très fort par une scène de lit entre la star du film, Ophélie (Ophélie Bau) et Tony (Salim Kechiouche), le coq de la bande de jeunes gars et filles qui sont les principaux personnages du film, séquence qui manquerait de piment – encore que : on sait depuis la Vie d’Adèle ce que Kechiche est capable de tirer de ce genre de scènes (ou de ces scènes de genre) – si elle n’était observée par Amin (Shaïn Boumedine), l’(anti)héros du film. En effet, contrairement à tous les autres mâles de Mektoub…, dragueurs impénitents, Amin a un problème avec les filles, n’osant même pas « s’attaquer » à celles qui le draguent ostensiblement (car il est plutôt beau gosse).

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Le geste organique de Ricardo Ozier-Lafontaine

Exposition « RESET » – Fondation Clément – 25 mai-18 juillet 2018

— Par Selim Lander —

Les plasticiens, aujourd’hui, se doivent d’être originaux. De plus en plus conceptuel, l’art s’éloigne de l’artisanat, au risque de paraître malhabile ou bâclé. La recherche de l’originalité apparaît d’ailleurs comme une gageure, le répertoire des formes et des couleurs étant par nature limité (et Picasso en a déjà exploré plus que sa part !). Si bien que le visiteur habitué des galeries et des musées d’art contemporain échappe rarement  à une impression de déjà-vu, pas nécessairement gênante, au demeurant : c’est un jeu pour l’amateur que de chercher des parentés entre les artistes.

Les toiles de Ricardo Ozier-Lafontaine, peintre martiniquais né en 1973, saisissent d’abord par leur unité et leur rigueur. Rarement aura-t-on vu la série poussée aussi loin et avec une telle constance. Ozier-Lafontaine conjugue en effet le gigantisme et un soin du détail porté à l’extrême. Ses toiles font couramment 2x2m, rarement moins et bien davantage dans les portraits de famille des Intercesseurs (3,40x2m). Or dans les séries intitulées Le Vivant, le Réel la toile est intégralement couverte de petites figurines dont la juxtaposition constitue l’œuvre entière.

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« Ouaga girls » de Theresa Traore Dahlberg

— Par Selim Lander —

Pas un docu-fiction, Ouaga Girls est à ranger dans la catégorie des faux-vrais documentaires. Vrai parce que les personnages d’apprenties, de professeurs, de garagistes, etc. sont interprétés par de vrais apprenties, professeurs, etc. Faux parce que, sauf erreur, le film est scénarisé, les dialogues ont été répétés et les scènes rejouées autant de fois que nécessaire. Ceci admis, le film reste une formidable incursion dans un univers complètement exotique pour les spectateurs occidentaux auxquels ce film est destiné en priorité (produit avec des fonds suisses et français, présent dans les festivals internationaux), même s’il peut atteindre aussi, quoique plus difficilement, le public africain.

Sans vouloir faire la leçon à nos collègues critiques de cinéma plus patentés que nous-même, le statut de ces films qui visent deux publics radicalement différents (pour ne pas dire aux antipodes l’un de l’autre) mériterait d’être mieux examiné. Ouaga Girls, par exemple, est centré sur quelques élèves d’une institution burkinabé destinée à former des jeunes femmes (uniquement des jeunes femmes) aux métiers de l’automobile, héritage probable de l’ère Sankara et de l’orthodoxie communiste suivant laquelle, rappelons-le, il n’y a pas de métier spécifiquement masculin ou spécifiquement féminin.

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Othello, pirate des Caraïbe – Adaptation de José Alpha

Les 15, 16 & 17 juin 2018 au T.A.C. à 19h 30

— Par Selim Lander —

C’est depuis des décennies l’ambition de José Alpha et de son Téat’Lari que d’apporter le théâtre au public populaire. Il a ainsi, jadis, monté plusieurs pièces de Vincent Placoly en créole et/ou français. Souvent à l’œuvre dans la rue, voire dans le hall de la gare Saint-Lazare pour interpréter des textes de Césaire, ses comédiens font preuve d’une belle abnégation. C’est donc certainement pour eux une récompense de se produire sur le plateau du théâtre municipal de Fort-de-France dans un spectacle doublement ambitieux, au demeurant, autant par le choix d’une des pièces les plus célèbres du répertoire shakespearien que par le nombre des comédiens mobilisés : dix en comptant la brève apparition de J. Alpha lui-même dans le rôle de Brabandio, le père de Desdémone, épouse d’Othello, (malheureuse héroïne s’il en fut).

J. Alpha fait le choix de transposer Othello dans nos Caraïbes. Choix judicieux quand on fait appel à des comédiens qui – comme c’est malheureusement le cas en Martinique – n’ont pas la possibilité de jouer régulièrement.

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Pianos et pianistes à l’Atrium

– Par Selim Lander —

Piano kon sa ékri : du piano autant que vous en voudrez ! N’est-ce pas le cas quand quatre jeunes femmes habiles se succèdent sur les touches de deux pianos, tantôt une, tantôt deux et même toutes les quatre ensemble – deux sur chaque piano – pour le bouquet final ? Il y avait donc la Japonaise, Yayoi Ikawa, la plus expérimentée, la plus titrée. La Cubaine, Janysett McPherson, la plus belle présence, aussi à l’aise en français qu’en espagnol, qui sait enflammer une salle. La Martiniquaise, Florat Sicot, la plus riche voix des quatre quand elle chante le blues. Enfin la Réunionnaise, Valérie Chane-Tef complétait le quatuor.

Elles étaient soutenues par une section rythmique de trois musiciens – Alex Bernard à la basse, Dominique Bougrainville à la batterie et Alain Dracius aux congas, trois musiciens martiniquais qui ont noué une vraie complicité avec les pianistes, lesquelles ont d’ailleurs joué certaines de leurs compositions.

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« Hôtel  Salvation» de Shubhashish Bhutiani : mourir à Bénarès

— Par Selim Lander —

Mourir, est-ce enfin le moment pour l’âme de se libérer des tracas de l’existence ? Pour l’Occidental qui ne croit plus à dieu ni à diable, la croyance des hindous apparaît infiniment naïve, et même quelque peu contradictoire puisque l’âme est amenée à se réincarner dans une autre créature qui aura également son lot de tracas. Mais comment ce même Occidental ne serait-il pas envieux d’une culture qui apprivoise la mort à ce point-là ? Telle est certainement l’impression dominante qu’on retirera d’un film qui aborde ce sujet délicat entre tous avec une infinie délicatesse, gommant tous les aspects les moins ragoutants de la mort à Bénarès, la puanteur des bûchers, l’eau souillée du Gange dans laquelle les fidèles n’hésitent pas à s’immerger complètement, et même, réduits à la dernière extrémité, d’en boire l’eau réputée sacrée. Comment oserions-nous, au demeurant, critiquer ces mœurs ? Question pollution, nous n’avons rien à apprendre de personne. Les Parisiens en savent quelque chose qui boivent certes de l’eau potable mais respirent une atmosphère qui les rend malades. Quant aux Martiniquais qui boivent, avalent des produits chlordéconés et battent des records en matière de cancer, ils seront bien les derniers à se moquer des Indiens.

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« La Radio des bonnes nouvelles » de Gerty Dambury

— Par Selim Lander —

Que dire d’un spectacle qui ne nous était manifestement pas destiné sinon que ses évidentes qualités n’ont pas suffi à soulever notre enthousiasme.

Commençons donc par les qualités qui ont dû frapper tous les spectateurs, celle de la mise en scène, tout d’abord, assurée par l’auteure, qui traite toute la pièce sur un mode music hall, en mettant en vedette successivement différents personnages, avec un soin tout particulier apporté aux costumes, dont certains à paillettes et une coiffe en plumes, au décor transformable fait de quelques caisses en bois, au découpage nerveux. Notons enfin le jeu de deux comédiennes (sur trois) captivantes quoique sur des registres très différents : exubérant pour l’une, remarquable danseuse au demeurant, plutôt comique pour l’autre.

Ce qui ne nous a pas du tout séduit mais qui a pu plaire à d’autres. La présence sur la scène de deux musiciennes (batterie et basse) qui jouent pendant la plus grande partie de la pièce une musique 1) lancinante et 2) suffisamment forte pour imposer aux comédiennes l’usage honni du micro (comme nos lecteurs le savent déjà).

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« La Magie Cocteau » : magique !

— Par Selim Lander —

Un spectacle hors norme porté sur la scène par un magicien et virtuose des ombres chinoises et son pianiste mais qui va bien au-delà puisqu’il mêle des séquences de cinéma muet, et comme il se doit dans un hommage à Cocteau des extraits de ses films, quelques dessins recomposés sur grand écran par un usage sobre et intelligent de la vidéo, et quelques textes (poèmes ou autres) dits par François Morel.

Si le spectacle fascine c’est sans nul doute en partie justement parce qu’il est hors norme. Et d’abord parce qu’il met un magicien sur le plateau. Il fut un temps où les salles de spectacle présentaient régulièrement des magiciens. Le public populaire, qui remplissait alors ces salles, était habitué et paradoxalement plus blasé que le public « culturel » (à défaut d’être toujours cultivé !) qui fréquente désormais les  théâtres. Par contre, le mélange des genres ne surprend pas ce deuxième et actuel public. Néanmoins, l’humanité n’ayant pas fondamentalement changé depuis 100 ans, aujourd’hui comme alors, « habitué » et « blasé » sont des traits de caractère éminemment « volatiles » au sens où il suffit que la qualité soit au rendez-vous pour que l’enthousiasme reprenne le dessus.

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