— par Janine Bailly —
Maître de la formule incisive, Sacha Guitry, dans son ouvrage intitulé Toutes réflexions faites, écrit ceci : « Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui ». Bien qu’elle paraisse galvaudée, j’ose reprendre à mon compte cette jolie déclaration, puisqu’au sortir du spectacle de Fábio Lopez, Poil de Carotte, hantée par les images qu’il a si joliment créées, je suis allée nuitamment dans ma bibliothèque déterrer ce vieil ouvrage écorné, qu’autrefois je fis lire, non sans frémir, à de chères têtes, blondes ou pas. Et remettant ainsi des noms plus précis sur les personnages dansés, me remémorant les scènes vues sur le plateau de la salle Frantz Fanon, lieu enchanté ce soir-là d’arabesques, sauts, entrelacements et autres figures parfaites, j’ai retrouvé toute la cruauté et toute la saveur du récit — autobiographique ? — de Jules Renard.
Aussi les tableaux qui s’enchaînent, judicieusement sélectionnés par le chorégraphe parmi les courts récits successifs qui constituent la nouvelle, suffisent-ils à faire renaître, sous les yeux d’un public où se comptent de nombreux enfants — public sage, attentif et visiblement conquis — le jeune garçon roux qui lentement s’acheminera vers l’adolescence et ses premiers émois amoureux, celui qui, en dépit de tous les vents contraires, levés sous les pas des danseurs comme sous la plume de l’écrivain, parviendra avec son père, après une tentative de suicide échouée, à une ébauche de résilience.