Étiquette : Michèle Bigot

Les irrévérencieux

— Par Michèle Bigot —

les_irreverencieuxLes irrévérencieux
Compagnie du Théâtre des Asphodèles,
Festival d’Avignon off, Théâtre Golovine, juillet 2014

« Quand la commedia dell’arte rencontre le Human Beatbox et la danse Hip hop »

La troupe du Théâtre des Asphodèles nous donne ici un spectacle singulier et résolument contemporain, qui emprunte pourtant beaucoup à la Commedia dell’arte. elle avait déjà remporté un vif succès dans le off 2013, à la Chapelle du Verbe Incarné, mais cette année elle fait un tabac⋅ Au cours de l’année 2014, ces comédiens se sont produits au Festival Cap Excellence de Guadeloupe⋅ Emportée par la thématique de l’irrévérence, comme vecteur d’insolence, d’irrespect et de novation, la troupe renouvelle l’approche de l’écriture théâtrale en puisant aux sources du théâtre populaire, tout en lui insufflant une inspiration nouvelle, tirée de la culture Hip-hop.

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Mangez-le si vous voulez

— Par Michèle Bigot —

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D’après le texte de Jean Teulé,
Adaptation et mise en scène J.-C. Dollé et C. Morgiève
Festival d’Avignon off, Atelier Théâtre actuel

L’histoire racontée par Jean Teulé est exemplaire : l’action se situe en 1870, en pleine guerre contre les Prussiens, après le désastre de Reichshoffen ; le climat anti-prussine est à son comble, et le cadre des événements est le petit village de Hautefaye dans le Périgord⋅ Un homme du nom d’Alain Monéys va être lynché et partiellement dévoré par ses concitoyens et amis au motif qu’il aurait dit un mot de travers⋅ En fait ses propos sont délibérément interprétés à contresens par des paysans hostiles visant à se venger de la supériorité de classe d’Alain et cherchant un exutoire à leur haine du Prussien⋅
Ce fait divers fait partie des événements honteux de l’histoire française, dont il est peu parlé.
Le texte de Jean Teulé vient à point pour fournir un exemple de ce que peut faire la xénophobie et la haine de l’autre.
C’est un réquisitoire, mené sur le mode du récit historique.

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Money

— Par Michèle Bigot —

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Création Zoo Théâtre, écriture collective
Mise en scène Françoise Bloch,
Festival d’Avignon off, juillet 2014

Le théâtre est-il en mesure de malmener la « chose économique » ? On a quelque raison de penser qu’il peut du moins l’interroger, en démonter les mécanismes, en dénoncer la phraséologie, et qu’il est même très bien placé pour le faire⋅ L’univers économique, en ces temps de financiarisation intense, repose avant tout sur une logomachie, un discours oiseux emprunt de verbalisme, qu’un public naïf prend pour argent comptant, si on peut se permettre ce mot⋅ Le triomphe des marchés financiers repose sur des mécanismes occultes, mais non moins sur la crédulité des gogos⋅ Malheureusement, nous sommes tous des gogos face à nos banquiers et le discours de la classe politique, comme celui des media ne fait que renforcer cette duperie.

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Oblomov

oblomov— Par Michèle Bigot —

Oblomov,
D’après Ivan Gontcharov,
Conception et mise en scène : Dorian Rossel,
Festival d’Avignon off, La Caserne des Pompiers, juillet 2014

La troupe qui est à l’origine de cette création résulte de la rencontre de deux compagnies suisses sur ce projet : « O’Brother Company » et « La Compagnie STT (super Trop top) ». Dorain Rossel qui assure la mise en scène insiste sur l’ouverture de cette écriture théâtrale qui prétend interroger des textes ou une problématique contemporaine. Le spectacle résulte du travail d’une équipe de créateurs, qui revendiquent une écriture scénique polysémique et plurielle. Dans un tel projet collaborent à la création collective dramaturgie, scénographie, créations musique et lumière⋅
La pièce repose sur une adaptation pour la scène du roman éponyme de I⋅ Gontcharov (1859)⋅ Le protagoniste Oblomov est un anti-héros avant la lettre, jeune aristocrate russe s’enlisant dans une paresse et une indifférence au monde qui confine à la dépression⋅ Mythe littéraire russe, il représenta aussi, d’un point de vue plus réaliste l’oisiveté et le désenchantement de l’aristocratie russe, dont sortira l’anarchisme et le mouvement révolutionnaire⋅
Mais le mal-être du héros excède de beaucoup le caractère fataliste et paresseux du petit propriétaire terrien russe pour accéder au rang de parangon de l’homme dépressif, en proie à la procrastination, au défaitisme, à l’indolence pour se complaire dans une vie végétative.

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La persécution et son délire

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— Par Michèle Bigot —

Largo Desolato
Cycle Václav Havel,
Mise en scène : Nikson Pitaqaj,
Festival d’Avignon off, Espace Alya, juillet 2014

La persécution et son délire

Partie du cycle Václav Havel, soutenue par le centre tchèque de Paris, la troupe « Libre d’Esprit », en résidence à l’épée de bois à la Cartoucherie de Vincennes, présente Largo Desolato , visites à Léopold, la pièce de Václav Havel écrite en 1984, à sa sortie de prison, dont l’accent autobiographique est persuasif. Son héros se nomme Léopold Kopriva. Ce double de l’auteur vit cloîtré dans son appartement, tenaillé entre un fantasme de persécution et une persécution réelle. Dans ce pays totalitaire, à l’instar de Galilée, il est harcelé par les autorités qui veulent lui faire désapprouver publiquement un texte qu’il a signé et qui fait des vagues.

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Le Prince de Hombourg

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— Par Michèle Bigot —

Le Prince de Hombourg
Heinrich von Kleist
Mise en scène : Giorgio Barberio Corsetti
Scénographie : Girogio Barberio Corsetti et Massimo Troncanetti
Festival d’Avignon in, juillet 2014, cour d’honneur du Palais des papes

Après la Tempesta mise en scène à Avignon à l’Opéra Théâtre en 1999, et tant de textes de Kafka et d’opéras italiens mis en scène par ses soins, Giorgio Barberio Corsetti nous revient avec La Prince de Hombourg.
Et dans la cour d’honneur, il a trouvé le lieu par excellence, celui qui est le plus adapté à son lyrisme intrinsèque. C’est l’espace idéal pour les mises en scène spectaculaires. Le mur de fond se prête merveilleusement au déploiement des images vidéo. On se souvient de Le maître et Marguerite mis en scène par Simon McBurney en 2012 qui voyait les murs du palais se lézarder et s’effondrer dans une vision ahurissante. Le dispositif savant de vidéo, laser, lumière et musique se donne libre champ dans un tel espace, conférant au spectacle la magie qui lui est essentielle⋅ Mais un tel décor naturel commande le choix du texte⋅ On se souvient aussi que l’an dernier Stanislas Nordey avait épousé le contre-pied de ce genre de scénographie en choisissant un décor minimaliste fait de baraques de chantier pour monter Par les villages de Peter Handke, laissant au acteurs le soin d’incarner la tension dramatique, ce qu’ils réussirent à merveille.

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Mahabharata-Nalacharitam

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— Par Michèle Bigot —

Mahabharata-Nalacharitam
Mise en scène Satochi Miyagi
Festival d’Avignon, in, Juillet 2014, carrière de Boulbon

Ceux qui ont eu la chance d’assister à la représentation du Bahabharata adapté et mis en scène par Peter Brook en 1985 (et ils étaient légion dans l’assistance) gardant un souvenir ébloui de cette première mise en scène, n’ont pas été déçus. Celle de Satochi Miyagi, d’inspiration très différente, puisque issue de la tradition du théâtre japonais, ne le cédait en rien à la précédente en terme de féerie. Lui-même avoue avoir été fasciné par la mise en scène de Peter Brook et il reprend pour son compte cette saga indienne dans des conditions très différentes : d’abord il choisit un seul épisode -le Nalacharitan- nous racontant l’histoire du roi Nala qui joue aux dés toutes ses possessions, y compris son royaume⋅ Dépouillé de ses biens, et même de son épouse bien aimée, il doit partir en exil avec ses frères, laissant la branche ennemie de la famille au pouvoir.

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Obliques

obliques— Par Michele Bigot —

Obliques
Texte et mise en scène : Christophe Moyer
Cie Sens Ascensionnels,
Festival d’Avignon off juillet 2014, l’Entrepôt

Sur le devant de la scène, une série d’objets non utilitaires et difficilement identifiables, montés en circuit destiné à faire circuler un flux. En fond de plateau, un présentoir qui sera le centre du spectacle, tout à la fois support de théâtre de marionnettes, plateau de jeu, espace à bascule propre à représenter le monde des obliques. Les obliques sont un peuple menacé d’effondrement par glissement général de leur sol ; ils habitent un monde en perte d’équilibre, qui penche. Sur le socle du présentoir, un tableau noir couvert de dessins d’enfants : des yeux, des poissons. Ce support figurera alternativement la terre inclinée des obliques, et « la merveille », le lac menacé d’assèchement et ses habitants , poissons et autres créatures aquatiques en voie de disparition. Sur la droite de la scène un tableau de classe qui servira de support à la narration. Les acteurs dessineront l’univers qu’ils évoquent au fur et à mesure du récit, dessinant ainsi les étapes de la dégradation du monde des obliques.

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Le Sorelle Macaluso

le_sorelle— Par Michèle Bigot —

Le Sorelle Macaluso
Texte et mise en scène : Emma Dante
Festival d’Avignon, in, Gymnase du Lycée Mistral, juillet 2014-07-15

Spectacle créé à Naples en janvier 2014, Le Sorelle Macaluso arrive à Avignon dans le festival in où il rencontre un succès sans pareil. Née en 1967, figure primordiale de la scène internationale, Emma Dante à fondé à Palerme, en 1999, sa compagnie Sud Costa Occidentale. Emma Dante, auteure et metteure en scène sicilienne n’a pas tourné le dos à son Palerme natal. Récompensée par les plus grands prix internationaux lors des festivals de théâtre européens, elle a aussi dirigé récemment Carmen de Bizet à la Scala de Milan.
En France elle est une habituée du théâtre du Rond Point où elle a donné en 2008-2009 mPalermu (« à Palerme », en dialecte palermitain) et La Trilogia degli occhiali lors de la saison 2011-2012. Cette dernière proposition, déclinait en trois volets des visions fantasmagoriques sur l’humain dépossédé, la solitude d’un homme démuni de ses biens et abandonné des siens, la détresse d’un enfant attardé, relégué dans un état catatonique, le désespoir amoureux d’un couple de vieillards.

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Binari- Souvenirs de la mère

binari— Par Michèle Bigot —

Binari- Souvenirs de la mère
MAC théâtre company
Festival d’Avignon, off 2014, Présence Pasteur
Mise en scène Jungnam Lee

La Corée est très présente cette année au festival d’Avignon, nous livrant des spectacles originaux et variés, allant de la tradition au plus contemporain⋅ Binari appartient à la première catégorie, en tant que relecture du théâtre traditionnel coréen⋅ Les costumes, les masques, la musique, l’évolution des chœurs actualisent la cérémonie traditionnelle telle qu’elle a pu vivre en Corée lors des rites funéraires⋅⋅
Structurée comme un conte, dont le fil narratif est la recherche de la paix pour une âme qui vient de passer de vie à trépas, la pièce présente une succession de tableaux et saynètes.

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7… Lost in la mancha

lost_in_la_mancha— Par Michèle Bigot —

7… Lost in la mancha
De et par Pepito Mateo
Festival d’Avignon, off 2014
La Manufacture

Le spectacle de Pepito Mateo, créé en 2013 sous le titre de Monologues revient aujourd’hui en version épurée sous le titre de 7… Lost in la mancha, clin d’œil à Cervantès. Il appartient au genre du one man show I : il en partage les attendus, sobriété de la scénographie, du décor et de l’éclairage, appropriation de l’espace, besoin de variété, prépondérance du jeu de l’acteur, importance de la gestuelle, voire des mimiques⋅Toutefois, il n’en a pas les défauts qu’on trouve volontiers associés aux spectacles d’humoristes, tels que pitreries gratuites, humour lourd voire complaisance.

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Retour à Reims

retour_a_reims— Par Michèle Bigot —

Retour à Reims
D’après l’essai de Didier Eribon
Adaptation et mis en scène par Laurent Hatat,
Avec Sylvie Debrun et Antoine Mathieu
Festival d’Avignon, La Manufacture, du 5 au 27 juillet, reprise en février 2015 à la Maison des Métallos

Envisagé du point de vue générique, Retour à Reims est un texte complexe. Il relève fondamentalement du récit autobiographique de Didier Eribon, mais c’est tout aussi bien une peinture sociale de la classe ouvrière et un essai sur le thème de l’appartenance de classe, le poids du déterminisme social, et l’homophobie⋅ On y trouve encore une étude des plus pertinentes sur la situation politique de notre pays et une analyse sociologique pointue et créative de la société française contemporaine⋅ Tout cela paraît difficilement conciliable⋅ C’est pourtant le tour de force que réussit de façon éclatante Didier Eribon, la justesse, la lucidité de l’analyse ne le cédant en rien à la force de l’émotion⋅ Rares sont les ouvrages qui réussissent cet équilibre entre l’émotion du vécu et la lucidité implacable de l’analyse⋅ D’emblée, le lecteur et ici le spectateur sont convaincus et emportés à la fois par la sincérité de ce dire dépourvu de toute complaisance et par son indéniable tendresse pour le milieu qu’il décrit.

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Le temps suspendu de Thuram

le_temps_suspendu— Par Michèle Bigot —

Le temps suspendu de Thuram
Une pièce de Véronique Kanor
Mise en scène et scénographie : Alain Timar,
Théâtre des Halles, du 5 au 27 juillet 2014

Répondant à une commande de L’ARCHIPEL dans le cadre de son projet autour des « Mythologies actuelles de la Guadeloupe », Véronique Kanor a écrit ce texte dramatique autour de l’histoire de Lilian Thuram, promu au statut de mythe depuis la coupe du monde de football de 1998. Dans le match de demi-finale contre la Croatie, Thuram accède au rang de héros national en marquant vaillamment deux buts⋅ Mais c’est surtout le geste de penseur qu’il fait pour marquer l’événement qui le fait entrer dans l’histoire⋅ La suite de sa carrière de star sera marquée par son engagement aux côtés des jeunes des cités, ce qui en fait une notable exception dans le monde du football.

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Les visages et les corps

les_visages_&_les_corps— Par Michèle Bigot —

Les visages et les corps
De Patrice Chéreau
Mise en scène et jeu : Philippe Calvario
Théâtre de la Condition des Soies,
Festival d’Avignon, du 5 au 27 juillet 2014

Ce spectacle fut créé il y a trois ans au Quartz de Brest, au moment où Patrice Chéreau- grand invité au musée du Louvre- signait une suite de propositions artistiques et un ouvrage du même titre.
Le spectateur est en présence d’un texte, plutôt que de lecture, on parlera ici d’une mise en voix et en espace du texte, car c’est de cela qu’il s’agit, la lecture étant plutôt un exercice de solitude et d’intimité⋅ Ce déploiement dans le temps et l’espace cherche à restituer l’émotion vibrante de l’écriture⋅ Et ce texte est en tout point admirable⋅ P⋅ Chéreau y rend compte de sa vie et de sa carrière théâtrale, étant entendu que chez lui particulièrement, les deux sont indissociables.

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« Ô vous, frères humains », Théâtre des Halles, Avignon

— Par Michèle Bigot —

 o_freres_humains-1Théâtre des Halles, Avignon,
Ô vous, frères humains,
Adaptation théâtrale et mise en scène, A.Timar et Danielle Paume,
Avec : Paul Camus, Gilbert Laumord, Issam Rachyq-Ahrad,
Festival d’Avignon, théâtre des Halles, du 5 au 27 Juillet 2014

Revoici Albert Cohen, et son dernier texte revisité par A. Timar et D. Paume. C’est bien d’une adaptation qu’il s’agit, d’une juste adaptation au temps présent. Allégé de l’invocation lyrique au peuple juif, le texte ne perd aucunement sa force mais gagne une dimension universelle. Il est retravaillé, aménagé pour la scène : cette adaptation implique coupures, déplacements, choix et mise en relief. La structure dramatique requiert davantage de distance vis à vis de la linéarité. Des effets de rythme, de découpage, de changement de plan, de silence, d’intermèdes musicaux travaillent le texte dans le sens d’une profondeur inédite.
En outre, la mise en espace, l’incarnation dans le jeu des acteurs, le support du décor et de la lumière, les jeux de couleurs, le soulignement musical s’accompagnent ici d’une véritable interprétation contemporaine du texte. Texte vivant s’il en est, qui libère toute sa force grâce à cette lecture nouvelle.

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Une nuit d’été avec Mozart

— Par Michèle Bigot—

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L’Orchestre Régional d’Avignon Provence nous a invité à partager avec lui la douceur d’une nuit d’été dans un des plus beaux villages de la Provence, Buis les Baronnies, hier soir samedi 28 juin.
Et ce fut un enchantement de retrouver pour ce programme Mozart une formation parfaitement adaptée. Le chef Samuel Jean, lui-même pianiste, Premier Chef Invité de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, qui dirige régulièrement, entre autres, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et l’Orchestre National d’Île-de-France a eu l’idée lumineuse de créer une tension en préparant ce sommet par l’ouverture de Don Giovanni, dont on sait ce qu’elle recèle de mouvements passionnés. Lui-même, dynamique et précis, non moins pédagogue que soutien sans faille de sa formation, a su communiquer sa conviction à son orchestre.

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« La Veuve et le lettré » de Zeng Jingping

— Par Michèle Bigot —

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Le théâtre de Liyuan, venu de Quanzhou, ville portuaire jadis décrite par Marco Polo, est un genre , vieux d’une tradition pluriséculaire. Il s’agit d’une forme théâtrale reposant sur des chants, des évolutions chorégraphiques et un récitatif qui déroule une histoire. Le spectateur occidental, habitué à marier théâtre et dialogue, est tout étonné devant cette quasi absence de répliques, et découvre, non sans stupeur qu’une intrigue peut être menée sans dialogue, reposant pour l’essentiel sur des monologues de personnages qui décrivent leur action et leurs sentiments tout en la mimant par des danses, une gestuelle et une évolution dans l’espace soulignée par la musique délicate du Nanyin.
Mêlant le code issu de cette tradition théâtrale et les innovations dignes de la création contemporaine, la troupe, brillamment menée par l’actrice vedette de Chine, Zeng Jingping réussit un véritable renouvellement du genre : miraculeusement épargné par le révolution culturelle, cet art ancestral revit dans un répertoire revisité et dans une forme sublimée par des lumières et une disposition scénique remarquables. L’auteur de cette Veuve et le lettré, Wang Renjie, considéré aujourd’hui comme l’un des auteurs du théâtre chanté (Xiqu) les plus en vue, écrit pour le style du Liyuna tout en lui apportant le souffle d’une modernité : il en modifie profondément la morale, retourne les idées reçues et se fait l’apôtre de l’émancipation féminine.

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« Frères de sang », création de la compagnie Dos à deux

 Artur Ribeiro , André Curti, Présence Pasteur, Avignon off, du 9 au 31 juillet

— Par Michèle Bigot—

 freres_de_sang-2Frères de sang est un spectacle théâtral total dans lequel la pantomime la danse, et plus largement la gestualité, accompagnées et rehaussées par le jeu des lumières, des mouvements des déplacements constituent un système de significations des plus denses.

Sans le secours d’aucune parole, les personnages installent peu à peu tout le jeu des relations complexes qui unissent et divisent les familles.

Toute la charge affective qui irrigue la fratrie, dans sa relation orageuse avec la mère est rendue sensible dans une série de scènes archétypiques de la vie familiale. Tout commence avec les retrouvailles des frères : le père vient de mourir, les frères se chargent de la toilette mortuaire.

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Hotel Paradiso, création collective de la troupe Familie Flöz

Théâtre du Chêne noir, Avignon, du 6 au 28 juillet

— Par Michèle Bigot —

hotel_paradisoFamilie Flôz est un collectif allemand de renommée internationale. Il présente ici une fantaisie burlesque sans paroles, reposant exclusivement sur un jeu de danses et de pantomimes masquées. L’ensemble est tout à fait réjouissant, témoignant d’une drôlerie mâtinée d’une bonne dose de noirceur (les masques des personnages sont tous emprunts de tristesse). Familie Flöz retrouve ici une tradition séculaire de farce pigmentée de macabre.
Sans le secours d’aucune parole, la construction dramatique repose un fil narratif manifeste :  la vie quotidienne telle qu’elle se déroule dans un hôtel familial, qu’on devine situé dans une quelconque station de vacances en montagne. Deux  générations se succèdent  à la direction de l’hôtel. Chacun investit le personnage correspondant à  son emploi avec justesse et drôlerie. Par son physique, son rythme propre,  sa gestuelle, chaque personnage  incarne un  type humain .

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« Le début de quelque chose », mise en scène de Myriam Marzouki

 D’après un texte de Hughes Jallon

— Par Michèle Bigot —

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L’intention est belle ; cette idée de touristes occidentaux isolés du monde dans un village de vacances pour CSP+, et n’ayant d’autre objectif que de tenir à distance le stress, la fatigue et les ennuis du monde moderne, pendant qu’à la porte de l’hôtel gronde la révolution a de quoi enchanter. Le soleil, la détente, le « lâcher-prise », et toute une organisation visant à vider les esprits et à laisser vivre les corps dans leur plus entière sensualité ; on sent bien que tout cela prête à une satire féroce des poncifs d’aujourd’hui qui préconisent le bonheur, quand l’heure est justement aux grandes inquiétudes, quand menace la panique et les bouleversements de l’ordre établi.

En somme, il y a de quoi refaire  La noce chez les petits bourgeois.

Alors pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Il faut croire que la magie du théâtre (comme le bonheur) se manifeste surtout quand elle s’en va.

Le drame s’ouvre et se clôt sur une scène de chasse apocalyptique, rendue par une image vidéo d’ombres et de couleurs en furie, pendant qu’une voix off, soutenue par un son saturé suggère la poursuite et la mise à mort des bêtes sauvages, des hommes sauvages ?

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« Re : Walden », création dramaturgique de J.-F. Peyret, d’après le livre de H.D. Thoreau Walden ou la vie dans les bois, Tinel de la chartreuse de Villeneuve lès Avignon

 — Par Michèle Bigot—

 re_waldenC’est en 1848 que Thoreau produit ce texte inclassable, brisant les catégories du récit, de l’essai philosophique et du journal intime. Il y relate sa vie quotidienne dans les bois,(2 ans, 2 mois et 2 jours) près de l’étang de Walden où il a construit lui-même sa cabane.

D’emblée le spectateur, confronté à ce tissu de méditations, observations, narration, s’interroge sur le titre et surtout sur son préfixe problématique. Le « re » vaut-il pour une reprise, une réponse, une réactivation ? C’est sans doute tout cela et surtout une réviviscence que nous propose J.-F. Peyret. Car son écriture théâtrale, faite d’une combinaison d’images fortes, de jeux de lumière, de magie numérique, le tout harmonisé par un concert de voix nous offre une relecture et une réactualisation de ce texte. Ce spectacle total étaye son rythme original sur une musique et un dispositif électro-acoustique dont la modernité est comme un défi à l’idéologie écologiste de Thoreau.

Une écriture dramatique des plus contemporaines et un travail intense et minutieux des multiples dimensions du spectacle théâtral soutiennent donc cette relecture.

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« Par les villages », Peter Handke, mis en scène par Stanislas Nordey

 — Par Michèle Bigot —-

 par_les_villagesSur le vaste plateau de la cour d’honneur, l’espace scénique est dessiné par une ceinture ouverte constituée d’une rangée de baraques de chantier : le tout forme une muraille bleue. Devant, seul en scène, l’écrivain. Sa voix s’élève parmi les cris des martinets déclarant l’arrivée de la nuit sur le palais. Ainsi commence le drame des perdants.

Grégor, L’écrivain revient au village natal ; il est le protagoniste autour duquel vont évoluer les autres personnages, satellites de cet astre solitaire : sa femme (Jeanne Balibar, figée dans un corps qui n’est qu’organe de la parole), sa sœur ( Emmanuelle Béart, jouant avec passion , de tout son corps), son frère (Laurent Sauvage) humilié et pourtant habité pourtant par une force qui transcende sa condition d’humiliés. Et autour de ce drame familial de l’héritage, qui déchaîne la violence des sentiments unissant et déchirant la fratrie, se déroule le ballet des compagnons ouvriers, avec Hans (S.Nordey) leur porte-voix, qui dit la geste du monde ouvrier.

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« Projet Luciole », Nicolas Truong, Chapelle des Pénitents blancs

 

—Par Michèle Bigot —-

projet_lucioleExpérimenté sous forme réduite en 2012 à Avignon, Projet Luciole revient cette année en grand format.

En 1975, Pier Paolo Pasolini écrit pour la presse italienne un texte dans lequel il dénonce la disparition des lucioles ; autant dire que pour lui, l’embrigadement de masse engendré par l’industrie culturelle et la télévision tue dans l’œuf toute lueur de contre-pouvoir ; un nouveau fascisme, pire que le précédent tue toute pensée. La grosse lumière du consensus télévisuel aveugle et paralyse la pensée. En cela il fait suite à W.Benjamin qui stigmatisait déjà cette forme irréversible de destruction.

A ces penseurs du pessimisme moderne, G. Didi-Huberman répond en 2009 (Survivance des lucioles) qu’on peut « organiser le pessimisme » et qu’il faut pour cela associer modernité et archaïsme, briser le consensus en fracturant le langage.

Et c’est à une telle entreprise que se livre Nicolas Truong dans sa création théâtrale, soulevé par un enthousiasme communicatif, une énergie de la pensée, qui font de son pessimisme la plus acérée des armes pour envisager l’avenir. La parole des philosophes d’aujourd’hui se mêle heureusement à celle des penseurs d’hier.

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Recension du roman de Yann Garvoz :Plantation Massa-Lanmaux

 

par Michèle Bigot*,

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Flagellation d’une femme esclave. Surinam. 1770

–Plantation Massa-Lanmaux est le premier roman d’un jeune écrivain qui ne manque pas de verve. La dimension romanesque de cet ouvrage le dispute à sa fibre poétique et à sa force réaliste.

L’originalité de l’ouvrage consiste avant tout dans le contexte qu’il met en place ; l’univers est celui d’une plantation dans une des îles de Guadeloupe à la veille de la révolution. Dans ce cadre propice à tous les débordements, vont s’affronter les idéologies progressiste et conservatrice autour des enjeux moraux et matériels spécifiques de l’exploitation des esclaves dans une économie de plantation. Chacun de ces courants de pensée est incarné par les deux protagonistes, père et fils, M de Massa et son fils Donatien. Celui-ci est le digne héritier du divin marquis dont il porte le prénom, épigone aussi ambigu que son maître, comme lui philosophe des lumières, anticlérical, athée, porteur des idées de progrès et comme lui porteur d’un érotisme associé à des actes impunis de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.). Celui-là incarne une figure de maître débonnaire et hypocrite, surtout versé dans un scientisme mathématique (nouveau d’Alembert exploitant les données du calcul infinitésimal) qui fait bon ménage avec le clergé tant que celui-ci protège ses intérêts d’esclavagiste.

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« Plantation Massa-Lanmaux », de Yann Garvoz

par Michèle Bigot

Recension du roman

 

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Flagellation d’une femme esclave. Surinam. 1770

 

Plantation Massa-Lanmaux est le premier roman d’un jeune écrivain qui ne manque pas de verve. La dimension romanesque de cet ouvrage le dispute à sa fibre poétique et à sa force réaliste.

 

L’originalité de l’ouvrage consiste avant tout dans le contexte qu’il met en place ; l’univers est celui d’une plantation dans une des îles de Guadeloupe à la veille de la révolution. Dans ce cadre propice à tous les débordements, vont s’affronter les idéologies progressiste et conservatrice autour des enjeux moraux et matériels spécifiques de l’exploitation des esclaves dans une économie de plantation. Chacun de ces courants de pensée est incarné par les deux protagonistes, père et fils, M de Massa et son fils Donatien. Celui-ci est le digne héritier du divin marquis dont il porte le prénom, épigone aussi ambigu que son maître, comme lui philosophe des lumières, anticlérical, athée, porteur des idées de progrès et comme lui porteur d’un érotisme associé à des actes impunis de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.).

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