—Par Julie Clarini—
On démarre avec Balzac, romancier d’un autre siècle, et on termine en compagnie de Jacques Rancière, philosophe défenseur d’une forme exigeante de la démocratie. Ce n’est pas si courant, avouons-le, quand il s’agit d’un ouvrage d’économie savant qui offre tous les gages de rigueur imposés par l’académie. C’est que son auteur, Thomas Piketty, ne conçoit pas d’étudier les inégalités économiques et leur évolution en se retirant du monde : la question interroge trop profondément le sens que nous prêtons à l’idée démocratique. Or, point de politique hors du champ des représentations. Aussi est-ce là qu’il porte le fer – et le coup fait mouche.
Jamais vous n’auriez pensé à comparer notre monde, l’aube du XXIe siècle, à celui de Proust ? La proposition prend en effet à revers ce en quoi nous voulons croire : que la croissance moderne a favorisé le travail par rapport à l’héritage, la compétence par rapport à la naissance. Le Capital au XXIe siècle s’emploie à prouver que les deux sociétés se ressemblent plus qu’il n’y paraît. Les rentiers regagnent, jour après jour, de leur superbe ; l’héritage retrouve, peu s’en faut, l’importance qu’il avait… au temps du Père Goriot.