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Au Festival de Fort-de-France : « Quartier de femmes sous haute surveillance »

— par Janine Bailly —

Une cellule du dépôt du tribunal, en Martinique. Trois femmes qui attendent, d’être jugées ou auditionnées par un juge. On les a pour cela extraites de leur prison, et selon la loi, on peut les retenir là jusqu’à vingt heures d’affilée. Sur la scène, deux simples bancs dos à dos, unique point d’ancrage de la scénographie, et qui symbolisent l’attente autant qu’ils figurent le lieu. Nul besoin d’aucun autre artifice, le décor est planté, et les premières répliques ne laisseront aucun doute, ces femmes sont bien appelées à rendre compte devant la justice des hommes. Le ton est d’emblée empreint d’une agressivité qui cache la souffrance intime, les voix font dans la démesure, et la tension inhérente à ce genre d’endroit n’en est que plus palpable. Déjà l’on pressent que l’issue pourrait bien se trouver dans un inévitable débordement de violence.

Ainsi commence Quartier de femmes sous haute surveillance, la pièce conçue et mise en scène, pour le Festival de Fort-de-France 2017, par Jean-José Alpha — assisté de Yva Gaubron — qui a trouvé son sujet en 2004, dans la session de la Cour d’Assises, où il a exercé ce rôle de juré auquel tout citoyen peut un jour être appelé.

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À la galerie 14°N 61°W, « Shadow Projector »

— par Janine Bailly —

Après nous avoir fait redécouvrir Louisa Marajo, talentueuse enfant du pays présentement “exilée” en Europe, la petite galerie 14°N 61°W — petite par la taille, mais non par l’action — ouvre son espace immaculé à l’ici et à l’ailleurs, à l’au-delà des mers, par la présence sur l’île d’une exposition collaborative intitulée Shadow Projector, exposition de Ariane Müller et Martin Ebner, tous deux artistes autrichiens basés à Berlin.

S’il porte un nom fait des coordonnées géographiques de la Martinique, cet espace d’art contemporain, abrité à l’étage de l’espace Camille Darsières après avoir été initié par Caryl Ivrisse-Crochemar dans une sorte de hangar aménagé de plaisante façon à Dillon, cet espace se veut bien une plateforme d’échanges, en ce sens qu’il peut à la fois « envoyer d’ici à l’extérieur, et recevoir à l’intérieur ce qui vient de l’extérieur », l’art ayant pour fonction première de voyager de par le monde, et de s’offrir à tous, sous tous les cieux. La galerie 14°N 61°W replace donc l’île dans le monde, la faisant participer aux grands courants artistiques qui traversent l’époque, comme aussi elle se donne mission de raviver notre patrimoine cinématographique : en effet, si quatre expositions dans l’année s’avèrent être à la pointe de la modernité, le lieu se consacre par ailleurs à la projection intimiste d’œuvres atypiques, mais emblématiques, et que l’on pourrait difficilement montrer en d’autres salles des Antilles.

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À lire, à entendre, « La jupe de la rue Gît-le Cœur », et « Frantz »

— par Janine Bailly —

Connaissez-vous l’Œuf, au 19 de la rue Garnier Pagès à Fort-de-France ? Il y là, tapi entre ses semblables, un vieil immeuble traditionnel qui dormait au cœur de la ville, laissant un fier bananier s’épanouir dans sa petite cour intérieure, laissant tristement s’empoussiérer murs et escaliers, et faisant sous le soleil et la pluie le dos rond. Mais un jour, une association décida de le louer, pour en faire une maison d’artistes. Alors, il se réveilla, rouvrit sur la rue passante ses hautes portes, son balcon et ses volets de bois. Il se fit œuf, œuf où germent non de jaunes poussins, mais des idées, des œuvres, des créations et élucubrations diverses, enfantées par des artistes de tout poil. Ici, chacun est bienvenu, acteur dynamique autant que simple « regardeur » à l’œil toujours en éveil. Ici l’on peut voir, tout ce qui décore le lieu, tout ce qui s’expose, et qui parfois s’offre à la vente. Ici fleurissent sur les murs, sur les marches, sur sols et plafonds, toutes les couleurs de l’arc en ciel. Ici, enfin, l’on peut se rencontrer, on peut entendre.

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Festival international du film documentaire : « Les révoltés du monde »

— par Janine Bailly —

Sous l’égide de l’association Protéa, le Festival international du film documentaire s’est fort heureusement déroulé du vendredi 9 au dimanche 11 juin, au cinéma Madiana, avant d’émigrer cette semaine dans six communes volontaires de l’île. Il m’est venu le désir de connaître le pourquoi de ce nom, aussi ai-je ouvert Internet pour y trouver l’explication suivante : en 1771, le nom Protea emprunté au dieu grec Protée qui pouvait changer de forme à volonté, fut donné par Linné à un genre de plantes originaires du Cap, en raison d’une étonnante variété de formes et de couleurs montrée par les espèces de cette fleur. Intitulée Les révoltés du monde, la manifestation a fait preuve en effet d’un bel éclectisme, en présentant des films venus d’horizons divers, tous riches de sens, tous propres à nous faire lire autrement le monde et son histoire, tous descriptifs de notre humanité dans ses métamorphoses, dans ses forces autant que dans ses faiblesses.

De façon assez générale, le principe du film documentaire, tel que vu ici, repose sur l’alternance d’images d’archives et d’interviews d’inégales longueurs, où se confient tantôt les personnages concernés, tantôt leurs proches, tantôt historiens et savants d’autres disciplines.

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Les Buv’Art et « La Folie Guitry », Courtes Lignes et « Le Repas des fauves »

— par Janine Bailly —

Traditionnellement, le dernier mois du printemps voit fleurir les représentations dites “de fin d’année”, celles des plus petits comme celles des plus grands leurs aînés qui ouvrent le chemin, témoignages de ces semaines studieuses où l’on s’est retrouvé pour, en amateurs débutants ou éclairés, mettre au point un spectacle digne de la scène. Saluons l’audace de celles et ceux qui, osant se confronter au regard d’un public, font ainsi vivre au plus près de nous les arts, musique, danse, ou théâtre, et ce parfois en dépit du trac qui soudain, au moment du jeu, vient les surprendre et leur nouer le ventre.

D’une belle assurance font preuve les comédiens de la compagnie Courtes Lignes, venue comme chaque année de Guadeloupe participer au Festival du théâtre amateur de Fort-de-France, avec cette fois une pièce qui en 2011 recueillit trois Molière : Le repas des Fauves, de Vahé Katcha, écrivain d’origine arménienne qui, en 1960, alors que s’éloignait en France le spectre de l’occupation allemande, put parler, avec aisance et un humour de bon aloi, de cette période difficile, et de la Résistance.

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Pour évoquer « Les Justes » , pièce d’Albert Camus

— par Janine Bailly –

Lu, et repris mot mot pour mot sur le site facebook : Dans le cadre du festival amateur de Théâtre de Fort-de-France, l’association Les Comédiens de Martinique ont [sic] le plaisir de vous présenter la magnifique pièce d’Albert Camus « Les Justes ». Déclaration confirmée par l’affiche du spectacle. Certes, il n’y a pas là crime de lèse-écrivain, mais j’aime, ainsi que Nicolas Boileau, appeler un chat un chat, et Rolet un fripon. Aussi, pourquoi ne pas dire que, si les questions posées par ce spectacle de Julie Mauduech sont sensiblement semblables à celles qui sous-tendent l’œuvre de Camus, le contexte, temporel, historique et géographique, est radicalement autre. Je peux supposer qu’il ne s’agit donc pas d’une simple adaptation, mais d’une réécriture à l’aune des Antilles, et c’est ainsi qu’il eût fallu le présenter. Voilà qui peut-être justifie la réaction de la SACD, que je reçus au moment même où j’écrivais ces lignes, et que je me permets de retranscrire ci-dessous :

Bonjour, 

Suite à un mail de la SACD ,m’indiquant que les ayants-droits de l’auteur Mr Camus ne m’autorisent pas a jouer le texte sous prétexte que j’ai apporté la modification de transposer l’action à CUBA.

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« Ne croyez pas, que je ne l’aime pas cet enfant »: la famille, nœud de vipères ?

— par Janine Bailly —

Au théâtre, tout semble possible. Il est ainsi des troupes dites professionnelles qui, un jour, ne sont pas à la hauteur de leur réputation. Déception jeudi soir à Tropiques-Atrium, où la compagnie La Grande Horloge n’a pas su convaincre. Mais pourquoi s’être fourvoyée dans la mise en scène du si beau roman d’André Schwarz-Bart, La Mulâtresse Solitude ? Car il ne suffit pas de faire réciter le texte par trois personnages différents, fussent-ils noire, métisse et blanc, ni d’agrémenter la représentation de danses et chants, fussent-ils africains, pas plus que de terminer par la chanson de Léonard Cohen, The Partisan, pour accomplir un véritable acte théâtral, qui rendrait compte de la densité et de la force de l’œuvre originale.

Il est en revanche des troupes dites de théâtre amateur, qui tiennent bien mieux leur partie, qui nous embarquent dans leur sillage, qui nous tiennent prisonniers sans qu’un seul instant nous prenne l’envie de nous évader. Un tel moment, intense et troublant, nous a été donné ce vendredi au Théâtre Aimé Césaire, par L’autre Bord Compagnie, qui a fait le choix de mettre en scène des textes exigeants, très actuels, qui nous interrogent sur ce que nous sommes, sur ce qu’est la vie au sein de la cellule familiale et sur la place que nous y tenons.

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L’exposition « Photographies Habitées », de Jean-Luc de Laguarigue

— par Janine Bailly —

L’exposition Photographies habitées, qui se tient en ce moment à la Fondation Clément, n’a pour moi qu’un seul défaut, celui de nous laisser sur notre faim, puisqu’au sortir de ce superbe lieu qu’est le nouveau musée, nous voici hantés par certains des clichés de Jean-Luc de Laguarigue, et de ce fait désireux d’en pouvoir découvrir davantage. Certes, il existe en librairie de beaux ouvrages à consulter ou à se procurer, mais rien ne vaudra jamais la confrontation de son propre corps aux œuvres exposées, dans toute leur nudité, sur les murs des salles dédiées.

Pour ne pas être grande spécialiste en la matière, et parce qu’aussi le film et le livret accompagnant la manifestation disent tout et fort bien de ce qu’il faut comprendre, des analyses que fait Guillaume Pigeart de Gurbert commissaire de l’exposition à la présentation dite par Patrick Chamoiseau, en passant par les confidences du photographe lui-même, pour ces raisons je dirai en toute simplicité mon ressenti, espérant vous inviter à aller, toutes affaires cessantes, vous imprégner d’une vision particulière et authentique de l’âme martiniquaise.

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Gaël Octavia : dernières nouvelles de la guerre

« Cette guerre que nous n’avons pas faite »

— par Janine Bailly —

Ce qui frappe dans la pièce de Gaël Octavia, c’est que son propos n’est ni unique ni univoque, mais bien multiple et complexe, de sorte qu’au sortir du spectacle, discussions et échanges ont spontanément éclos sur le parvis de Tropiques-Atrium. Qui avait compris quoi ? Qu’avait voulu dire la jeune dramaturge, sur un sujet aussi vaste, ou malheureusement aussi banalisé, que celui de la guerre ? La guerre était-elle le vrai sujet de la pièce, ou plutôt l’arbre qui cachait la forêt ? Quoi qu’il en soit, une représentation qui suscite les interrogations, qui fait que l’on échange au lieu de se séparer pour vite rentrer dans son chacun chez soi, une telle représentation est forcément de valeur, et propre à nourrir notre réflexion.

Déjà ce pronom « nous » intrigue, inscrit au cœur du titre, en place du « je » qui aurait pu être attendu en corrélation avec la présence sur scène d’un seul acteur, investi de ce long monologue qu’est le texte. Ce « nous » à charge appellative, que ou qui entend-t-il désigner ?

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La Otra Orilla, ou comment parler de mouvement et d’immobilité

11, 12, & 13 mai 2017 à 19h30 au T.A.C.

— par Janine Bailly —

Mettre en scène, de façon ludique et vivante, La Otra Orilla, en français L’Autre Rive, du dramaturge cubain Ulises Cala, ne doit pas être chose facile, mais requiert plutôt une belle inventivité, tant le texte se plaît à défier les règles de la narration classique. Ce talent, Ricardo Miranda n’en est pas dépourvu, et une fois encore, c’est à un spectacle original et singulier qu’il nous convie, pour trois soirs seulement, au théâtre Aimé Césaire.

Le texte, découpé en tableaux, chacun étant inscrit dans un espace modulaire particulier que dessinent quelques blocs facilement déplaçables sous la poussée des deux acteurs, le texte présente une double particularité, celle de ne se plier à aucun ordre chronologique, celle aussi de mêler les temps, temps clos de l’attente sur la rive du fleuve, temps pluriels de la vie antérieure. Car ils sont là, l’homme et la femme, pour un dialogue inclinant par instants au monologue, quand par exemple l’une devient mère parlant à sa fille, toutes deux femmes abandonnées par un père absent.

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L’homme-femme/Les mécanismes invisibles, ou comment dire l’indicible

— par Janine Bailly —

De la prestation de D’ de Kabal, que je ne nommerais pas “spectacle” puisqu’il s’agit bien ici d’un discours, à nous adressé sur le mode tout à la fois conatif et phatique, l’acteur délaissant même un moment la scène pour au-devant nous parler de son propre corps, puisqu’à mon sens le théâtre est plus convaincant quand par la fiction, fût-elle inspirée de la réalité, il “montre”,— alors que par le discours il argumente et “dé-montre” —, de cette prestation remarquable d’être sincère et inspirée, je retiendrai donc ces moments de grâce où délaissant l’ordinaire des mots, l’acteur atteint son but dans la fulgurance des images qu’il sait créer, dans la justesse et la clarté des métaphores qu’il sait si bien filer ! Les “paragraphes” démonstratifs, porteurs de didactisme comme parfois de chiffres, ne m’en ont paru que plus rébarbatifs, d’autant qu’ils prêchaient une convaincue. Et qu’au regard du visage très féminin de la salle, je n’étais certes pas la seule à être persuadée du bien-fondé de ces assertions. Pas la seule à savoir, si je reprenais dans un sourire les mots de Jules Renard, que le féminisme, c’est ne pas compter sur le Prince Charmant !

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Littérature et théâtre, pour affirmer notre humanité

— par Janine Bailly —

Littérature : Ta-Nehisi Coates : Le grand combat

Théâtre : Aimé Césaire : La tragédie du roi Christophe

A l’heure où une partie de la France, pour contrer justement la montée des racismes et de la xénophobie, s’apprête à voter, contre ses convictions intimes, en faveur d’un candidat qui n’est pas plus celui de son choix que celui des humbles, à l’heure où surgissent, venues de différents horizons, des créations artistiques qui nous parlent de notre monde, de ses pulsions inavouables, des souffrances infligées à maintes communautés, il me semble bon de parler des luttes courageuses qui y afférent. Car, ainsi que le dit le musicien Jordi Saval sur la station radiophonique France Inter, il faut que les arts, quels qu’ils soient, servent à quelque chose et, « si la musique, et les autres arts, ça ne sert pas pas à faire que les êtres soient meilleurs, alors ça ne sert à rien ! »· Comment ne pas le croire, lui qui est allé dans la jungle de Calais offrir aux émigrés, « gens qui fuient l’horreur de la guerre, hommes en détresse » le réconfort d’un généreux concert⋅

Interpellée par l’article « Je ne suis pas votre nègre », paru sur le site Madinin’Art, il me faut ici parler d’identité noire, puisque dire que le problème de couleur n’existe pas s’avère malheureusement être encore du domaine de l’utopie.

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En avril, le théâtre comme interpellation

— par Janine Bailly —

À Tropiques-Atrium : « M’appelle Mohamed Ali »

Au théâtre Aimé Césaire : « Ô vous frères humains »

Aujourd’hui, entrée dans cet âge où l’on peut sur soi et ses chemins de vie se retourner, il me semble juste de dire que tout acte théâtral, qui m’a fait grandir et comprendre le monde comme il va, était un acte engagé, non pas essentiellement au sens politique du terme, mais engagé toujours auprès des hommes, engagé car inscrit dans une dynamique de progrès et de cheminement vers une société plus juste, plus tolérante et plus belle. Les deux derniers spectacles, vus à Fort-de-France, en dépit de certaines faiblesses m’ont confortée dans cette idée— utopique ? — que le théâtre est vital, et que par les arts on pourrait bien tenter de sauver le monde !

« M’appelle Mohamed Ali » est un monologue écrit, avant et pendant le spectacle, car au texte initial s’adjoignent des propos liés au lieu et à l’actualité. Un monologue écrit-improvisé-joué, qui se voudrait dialogue, mais qui est plutôt une sorte de longue conversation à sens unique proposée à la salle.

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Louisa Marajo, à la recherche de « Point de Chute »

— par Janine Bailly —

Au 14°N 61°W, espace qui a pris ses quartiers dans une aile du bâtiment Camille Darsières à Fort-de-France, et qui devient à l’occasion « musée miniature », avait lieu ce vendredi quatorze avril le vernissage d’une étrange exposition, « Point de chute », de la jeune et talentueuse artiste martiniquaise, Louisa Marajo. Serait-ce à dire que, partagée entre la France et son île natale, elle-même est à la recherche de son « point de chute ? ».

Comme un écho à la rétrospective « Le Geste et la Matière », venue de Beaubourg à l’habitation Clément, il nous est proposé une œuvre singulière et labyrinthique, qui ne se donne pas au premier coup d’œil, qui enferme ses mystères et demande, pour être ressentie, que l’on s’y immerge et se laisse bousculer dans ses certitudes. Une œuvre éminemment contemporaine, qui s’inscrit dans le fil des jours et l’évolution des arts. Ici pas de couleurs, dont l’artiste pour cette création aurait, dit-elle, craint la « joliesse », mais une déclinaison à l’infini des blancs, des gris et des noirs, sur des matériaux composites, toile, bois, papier, papier bristol, aluminium brossé…

Entre accrochages et installations en conformité avec le lieu, le regard cherche et trouve le « point de chute », morceau de bois peint tombé au pied de cette série de petits tableaux figurant, au long d’une planche — rampe adjointe au mur — la descente d’un escalier (« Détails dans l’Escalier »).

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Lire ou relire : « Les Ragazzi », de Pier Paolo Pasolini

— par Janine Bailly —

Écrit et publié en 1955, le roman, taxé d’obscénité et de pornographie pour avoir évoqué l’homosexualité et la prostitution masculines, rencontrera un vrai succès public. Le procès dressé à Milan se conclura d’ailleurs par un acquittement, en dépit de la férocité des critiques exercées contre le livre. Un livre qui fut adapté pour le cinéma, en 1959, sous le titre de La Notte Brava (Les Garçons), et réalisé par Mauro Bolognini. Un livre qui, s’il a plus de soixante-ans d’âge, conserve quelque part une brûlante contemporanéité.

Avec Pasolini, nous entrons dans la Rome de l’après-guerre. Rome, son grouillement fébrile, ses quartiers déshérités où survit un sous-prolétariat urbain, où les Ragazzi, groupes d’adolescents et d’enfants dépenaillés, se débrouillent et vivent à la va-comme-je-te-pousse. La Rome des faubourgs, ses enfilades d’immeubles délabrés, son fleuve aux eaux grasses et lourdes de déchets, dans lesquelles vaille que vaille on se rafraîchit, joue, se défie et se baigne. Rome, ses bordels et ses prostituées sans grâce, aux chairs flasques qui attisent pourtant les fantasmes jamais assouvis de garçons à peine pubères ; ses pères sans emploi, imbibés de mauvais vins et qui cognent ; ses mères tôt flétries peinant à élever et nourrir une progéniture galopante, et qui vite leur échappera.

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Aux RCM 2017, d’un continent à l’autre, les derniers feux sur la toile.

— par Janine Bailly —

De ces ultimes séances aux RCM, j’ai eu loisir de voir trois films, venus de continents ou pays différents, Afrique, Amérique, République de Haïti. Trois films propres à nous dépayser, par les lieux, par les personnages, par la forme ou par les sujets abordés.

Guetty Felin a écrit une ode à son île, Haïti, un poème d’images en forme de déclaration, et c’est  Ayiti mon amour, qui sur fond de mer et sable blond, entrelace la vie réelle aux fantasmes de ses personnages. De son île, quand bien même certains plans sont aptes à nous faire entrevoir la pollution des eaux, chiffons épars dans la mer, débris sur la côte au milieu des galets, quand aussi le jeune Orphée pleure son père disparu dans le dernier tremblement de terre, elle donne une vision belle et positive, presque idyllique, effaçant les clichés qui toujours nous parlent de misère et pauvreté, de catastrophes, cyclones et séismes.

L’intrigue reste assez mince, qui entremêle pourtant trois vies. Celle d’Orphée qui découvre la Femme, mais perd alors ce don étrange grâce auquel il communiquait aux autres l’électricité, par son corps adolescent produite.

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RCM 2017, mercredi 23 : Un jour de soleil voilé

— par Janine Bailly —

De la Colombie, à l’honneur sur l’écran de la salle Frantz Fanon ce jour-là, je garderai une image essentiellement douloureuse, deux films s’étant succédé pour dire du monde la face sombre et violente. Et quand bien même à la fin le ciel se fait plus clair, c’est l’image d’une humanité sans clémence qui sous nos yeux a pris corps. Mais ce cinéma-là aussi, en dépit du malaise qu’il peut générer, m’est nécessaire, nourrit ma réflexion et me demande de repenser mon rapport au monde. Aride par ses sujets, il reste œuvre d’art, et non reportage documentaire, par le travail sur le cadrage et la lumière, par un montage fictionnel élaboré, par le talent et la beauté de ses acteurs, parfois si singulière.

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Aux RCM 2017, un regard neuf sur le monde

— par Janine Bailly —

Nous faire, en sus des « films dont on parle », découvrir et aimer des cinémas nouveaux et différents, ou des cinéastes trop peu connus du grand public, loin des blockbusters à l’américaine qui remplissent régulièrement et (trop ?) longuement les salles, telle est une partie de la mission que s’est donnée Steve Zébina, à la tête des RCM. Et quand en début de séance, souvent essoufflé d’avoir couru à ses tâches diverses et variées, il nous livre de façon si communicative ses émotions et coups de cœur, nous ne pouvons qu’adhérer à ses propositions ! J’aimerais en donner pour preuve trois films vus ces lundi et mardi de printemps, trois films qui m’ont émue, interpellée, enrichie et donné un regard neuf sur le monde.

Lundi il y eut, à Madiana, de Claudia Sainte-Luce, Jazmin et Toussaint, film venu du Mexique, et dont les rôles-titres sont avec maestria tenus par la réalisatrice elle-même et par le parrain du festival, un Jimmy Jean-Louis étonnamment véridique en sexagénaire malade et déclinant. C’est bien là la magie du cinéma, que de nous faire croire à une transformation radicale de l’acteur, dans l’acceptation d’une personnalité si loin de son âge, si différente de son aspect et de sa condition physiques véritables ! De

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Sur les premiers écrans des RCM 2017 : Par la grâce des enfants

— Par Janine Bailly —

Faute de temps, et parce que d’autres activités culturelles fort intéressantes s’offrent à nous, peu nombreux sont ceux qui pourraient dire « Aux RCM, j’ai tout vu ! ». Consolons-nous en pensant que la qualité est souvent préférable à la quantité !

La soirée d’ouverture nous offrait la primeur d’un documentaire, Nannan, première production de Tropiques-Atrium. Réalisé par Aymeric Cattenoz et Christian Foret, le film, s’il n’est pas parfait, s’il lasse par sa répétitivité et par la trop longue prestation de certains personnages, s’il offre parfois des images approximatives, a cependant le grand mérite de nous entraîner sur des chemins différents, vers ces artistes, dont certains trop peu connus, qui sont et l’âme et le sel de La Martinique. Qu’elle est touchante, la séquence où l’on voit le corps aérien de Josiane Antourel danser pour nous, et comme est beau ce visage de Bambooman, retourné vers nous et qui lentement s’éloigne, sur la toile !

Trois œuvres ensuite, parmi celles proposées, issues de trois pays différents, mais qui ont en commun de privilégier, comme en une promesse d’avenir, enfants et adolescents.

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Lire-écrire en Martinique, des propositions innovantes

— par Janine Bailly —

À l’heure où, sur les ondes venues de « là-bas », les voix enjôleuses de la station radiophonique France Inter nous incitent à rédiger une lettre de motivation dans l’espoir un peu fou d’être sélectionnés au Jury du Livre Inter à Paris, sachant que nous serons des milliers, doux rêveurs, à répondre à l’appel, tournons-nous plutôt vers le pays Martinique, et regardons où il serait loisible d’exercer notre esprit, critique ou pas, et nos talents de « lecteurs-scripteurs », si tant est que nous en possédions quelques soupçons…

Depuis quelques mois déjà, (comme on a pu le découvrir dans le journal France-Antilles du mardi 10 janvier 2017), de beaux week-ends nous attendent, qu’il pleuve vente ou fasse grand soleil, si toutefois nous avons pris soin de nous inscrire à ce que j’aime nommer les « Rando-Écriture »proposées par trois sœurs bienveillantes, toutes trois compétentes et chaleureuses, toutes trois habitées par l’âme de leur île, l’une plus mûre et plus posée, l’autre pétillante et si souriante, la dernière primesautière et traversée toujours par une « chanson-pays », que parfois on sait avec elle fredonner.

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Basquiat l’éphémère, mais Basquiat pour l’éternité

— par Janine Bailly —

Le spectacle Samo, a tribut to Basquiat, proposé à Tropiques-Atrium, fut unique, en ce sens qu’il n’eut lieu qu’une seule fois, en ce sens surtout qu’il a donné à voir une création de forme particulièrement inventive et novatrice. Nécessaire travail de mémoire, étrange poème en prose, ode au peintre si tôt disparu, sorte d’opéra-rock, opéra-jazz tirant sur le hip-hop, tragi-comédie musicale aussi… et pourquoi pas ?

D’abord il y a le son. Qui troue seul l’obscurité de la salle. Qui s’intensifie alors même que la toile verticale, écran tendu en fond de scène, s’éclaire de blanc, de bleu, bientôt ciel à transpercer de violents coups de pinceaux. Le son, comme un sourd battement de cœur, annonciateur de toute vie, frémissement du fœtus au ventre maternel. Le son projeté au devant de lui, l’homme demi-nu  qui va entrer en scène. Et de l’indistinct naissent les paroles, voix off, posée et sûre, autoritaire presque dans ses accents. Des paroles qui peu à peu se font claires et disent de Basquiat l’identité, psalmodiée en une phrase déclarative: « Je suis américain… ».

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La famille, objet éminemment cinématographique

Ces derniers jours à Fort-de-France, et ce pour quelques semaines sans doute, trois films ont l’heur de remplir les salles, et non les plus petites, du complexe cinématographique de Madiana.

— par Janine Bailly —

Ces trois films nous parlent de ce qu’est ou pourrait être la famille, sous différents cieux, à différentes époques, et selon des problématiques qui, si elles sont dissemblables, ont en commun d’analyser le vivre ensemble, ses bonheurs et ses difficultés, les traumatismes aussi qui lui sont indiscutablement liés. La famille comme cellule close sur elle-même et souffrant de ses propres maux intérieurs, mais aussi la famille en ce qu’elle est unité constitutive de nos sociétés occidentales, une cellule ouverte sur l’extérieur, un membre indissociable du reste du corps social. Entrer au cœur d’une famille singulière, au plus intime de son fonctionnement, c’est aussi nous faire appréhender les problèmes plus universels qui sont ceux des rapports humains, de la communication établie ou brouillée entre les êtres. L’écrivain portugais Miguel Torga, n’affirme-t-il pas que l’universel, c’est le local moins les murs ?

C’est, dans Il a déjà tes yeux, de Lucien Jean-Baptiste, traité sur le mode de la comédie mais sans exclure le sérieux du propos, l’histoire touchante de ce couple français mixte, lui d’origine antillaise, elle d’origine sénégalaise, mais tous deux de peau noire, qui adopte un enfant de peau blanche, yeux et cheveux clairs, acte généreux qui les remplit d’un bonheur immense, acte d’ordinaire salué comme courageux, mais acte qu’ici la société de façon assez unanime réprouve, tant il est vrai que sortir du rang et des comportements moutonniers fait que bien volontiers l’on vous fustige et vous montre du doigt !

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« F(l)ammes » : et le phénix renaît de ses cendres

— par Janine Bailly —

C’est un samedi soir peu ordinaire sur la terre. À l’extérieur, le Carnaval se déploie. Dans la nuit foyalaise, la « Bet a fé » déroule ses anneaux, et ses luminescences font surgir de l’obscurité les lisières de la Savane. Il nous faut donc louvoyer, un œil sur les groupes chamarrés qui se déchaînent au rythme endiablé des percussions, l’autre sur les aiguilles de la montre, pour être sûrs de rejoindre à temps la scène de Tropiques-Atrium. Car là, à l’intérieur nous attendent d’autres lumières, d’autres chants, d’autres danses, et les mots de ces femmes-feu, femmes-filles, femmes-volcans qui laissent couler une parole libérée, brûlante de sincérité et d’énergie vitale.

Ahmed Madani a choisi, pour nommer l’œuvre, d’inscrire entre parenthèses le « L » de « F(l)ammes », cette lettre signifiant, dit-il, le pronom « elles » autant que le nom « ailes ». Puisqu’aussi bien celles qui, jusqu’alors étaient enfermées dans les territoires de quartiers dits sensibles, celles qui étaient victimes d’une double discrimination, en tant que femmes et comme descendantes de parents immigrés, celles-ci donc vont prendre leur envol, refusant le carcan des préjugés et des coutumes si elles s’avèrent nuisibles, décidant de tracer leur propre destin, rejetant l’idée d’une quelconque prédestination, qui serait inéluctable et funeste.

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De la migration, sur scène, en littérature, et dans la vie

— par Janine Bailly —

L’actualité nous en donne régulièrement des échos, les médias s’emparent de leurs odyssées, transcontinentales ou européennes, de préférence si elles se font tragiques, et puis on s’habitue, on vit près d’eux sans les voir sans les regarder sans leur faire même l’aumône d’un sourire, d’un signe de reconnaissance, d’une parole, qui viendraient à l’appui d’une possible aide matérielle.

Ils sont les sans-papiers, les déracinés, les déshérités, les exilés, les migrants, les « à expulser », ceux que l’on dit réfugiés quand bien même la terre où ils ont pris pied au péril souvent de leur vie, ne leur offre aucun refuge, et qu’on les voit dormir sur les trottoirs des villes, dans les encoignures des portes, dans les replis des murs, hommes femmes et enfants blottis à même le sol dur ou sur quelque carton censé les isoler du froid qui terrifie. Ils, ce sont ceux que la vie a poussés vers nous, fuyant les vicissitudes de pays devenus pour eux invivables, pays en guerre, pays en misère, pays soumis à quelque petit chef dictatorial, pays devenus, par la faute des activités incontrôlables des hommes, ingrats et de sols improductifs.

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Le théâtre, quand la femme reconquiert sa parole

— par Janine Bailly —

Sur les tréteaux foyalais, trois figures de femmes ont pris corps et vie en ce mois de janvier, si différentes dans leur singularité, et pourtant si proches dans leur combat pour être au monde : il y eut l’Antigone, de Sorj Chalandon, à ressusciter dans Beyrouth soumise à la fureur guerrière des hommes, sœur de l’Antigone antique qui, bravant la volonté du roi Créon, de ses mains grattait la terre pour donner à son frère Polynice une digne sépulture. Puis vint la Médée Kali de Laurent Gaudé, figure triangulaire revisitant les mythes, faite de Méduse à la chevelure de serpents qui pétrifie les hommes, de Kali la déesse meurtrière aux multiples bras, de Médée enfin, amante, épouse et mère assassine, qui par son crime fait expier à Jason sa trahison, qui revient chercher les corps de ses enfants et de ses mains nettoie compulsivement le marbre du tombeau. La troisième, mais non la moindre, se nomme Jaz, qui nous ramène à des temps plus universels.

L’écriture dramatique de Koffi Kwahulé a pu être qualifiée de déambulatoire, et c’est bien la déambulation de la femme violée que nous suivons sur scène, dans la représentation de la pièce Jaz, que nous proposent pour quelques soirs, au théâtre Aimé Césaire, Jandira Bauer et ses acteurs.

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