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À lire, de Jean-Claude Grumberg: « La plus précieuse des marchandises »

 

— Par Janine Bailly —

Alors qu’en 2018 les actes antisémites étaient en France, « en hausse de 74% par rapport à l’année précédente » ;  que tout récemment à Paris les portraits de Simone Veil — rescapée elle-même de la Shoah où elle eut le malheur de perdre ses parents et son frère — furent ignominieusement tagués de croix gammées ; que le président Macron soulève la polémique en disant vouloir intégrer l’antisionisme à la définition juridique de l’antisémitisme ; à cette heure donc où la « bête immonde » redresse la tête, il est des écrivains qui par la générosité, l’intelligence et l’engagement de leurs écrits, fussent-ils de fiction, nous rappellent que le danger est toujours là, qui guette et s’invite jusqu’au cœur de nos démocraties européennes ! Sans polémiquer, mais par le truchement du conte, du conte philosophique ou de la fable, ils se font éveilleurs de conscience, en cela qu’ils s’adressent autant à nous autres adultes qu’aux plus jeunes, pour lesquels ils apparaissent suggestifs, compréhensibles et sans nul doute aptes à faire réfléchir.

On pourrait ici rappeler la pièce de théâtre Rhinocéros, d’Eugène Ionesco, cette « métaphore de la montée des totalitarismes à l’aube de la Seconde Guerre mondiale » ; ou l’assez longue nouvelle de Franck Pavloff, Matin Brun, qui évoque par ce titre le surnom de “Chemises brunes”, donné autrefois aux miliciens nazis des S.A

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« Mea Culpa », de la vraie vie à la scène

— par Janine Bailly —

Comme tout un chacun, je crois savoir les différends cruels qui opposèrent Hervé Deluge aux instances de Tropiques-Atrium, du moins ce qu’on a bien voulu nous en dire. Et si je pensais oublier cet épisode, la porte de l’établissement, pour n’être pas réparée, viendrait souvent me le rappeler… Aussi attendais-je avec une certaine impatience la représentation du seul en scène « Mea Culpa », conçu par Hervé Deluge, avec l’aide de Jean-Durosier Desrivières, et joué par lui-même deux soirs de suite seulement au théâtre Aimé Césaire. Mais, dans un désir d’objectivité, je pris d’abord la peine d’écouter quelque interview donnée dans le cadre de la promotion du spectacle. J’ai donc appris qu’initialement « Mea Culpa » répondait à une commande de Michèle Césaire, qui offrait ainsi au comédien la possibilité de revenir sur cet assez tragique moment de son existence.

Comment faire de sa vie un spectacle ? Comment dire la souffrance, la descente aux enfers et la renaissance ? Comment se défaire des “passions tristes” — évoquées dans  le beau titre de Christian Antourel et Ysa de Saint-Auret —, celles dont Spinoza disait qu’elles viennent « au moment où nous sommes au maximum séparés de notre puissance d’agir, aliénés, livrés à la superstition… » ?

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Trois films « noirs », au propre comme au figuré

— par Janine Bailly —

« Green Book, Si Beale Street…, The Hate U Give »

En attendant l’ouverture des Rencontres Cinéma Martinique, n’hésitons pas à prendre dès que possible le chemin des salles de Madiana. Certes, il arrive que les séances VO, plus souvent que les autres peut-être, se voient soumises à de désagréables infortunes, maints spectateurs se trouvant confrontés à ce dilemme, voir le film en français, ou se faire rembourser dans l’espoir de revenir un autre soir, ou de guerre lasse ne jamais voir le film ! Cependant, force est de reconnaître que depuis la dernière décennie, beaucoup de progrès ont été faits, et il me fut bien difficile de satisfaire ce mois-ci toutes mes envies de pellicule tant la programmation — qu’elle soit du fait de Tropiques-Atrium ou de Madiana — s’est montrée alléchante, diverse, et prometteuse. Par bonheur, certaines séances du “dimanche-onze heures” donnent à la retardataire que je suis parfois l’opportunité de se rattraper, et la sérénité particulière du lieu en ces calmes matins-là contribue aussi à mon plaisir ! 

Des États-Unis ne sont pas venus que les traditionnels blockbusters — trop longtemps squattant l’affiche ? 

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Michel Herland dans « Le Déparleur »

Le 2 février à 19 h au CDST, Saint-Pierre

— par Janine Bailly —

Ou comment dire le tragique au quotidien

Il vient en silence s’allonger, ou mieux dit se recroqueviller sur un banc de bois brut, dos au public, et le spectacle commence. Par un chant enregistré, qui parle de nantis et de pauvres, de riches et de démunis, un peu à la façon, dans l’air et les paroles, de ce qui fut « Le Chant des Canuts ». Au refrain qui clamait « C’est nous les Canuts, nous sommes tout nus », fait écho le « C’est nous les clochards, c’est vous les jobards ».

Le ton est donné, il planera sur la salle le fantôme d’Aristide Bruant. Mais  plus encore celui de Jehan Rictus, dans « Les Soliloques du Pauvre ». Car du banc se lève, pour tenir la scène, le seul Déparleur, qui pendant plus d’une heure dira sa vie vécue sous le signe des déboires et du boire, de la déveine familiale et des amours malheureuses ; dira aussi le monde comme il ne va pas, comme il s’embourbe et déraille ; dira la vie et la mort, celle-ci ouvrant et fermant le discours : la première apostrophe — en direction des passants de la rue, en direction des spectateurs de la salle — n’affirme-t-elle pas « Y a des jours où je voudrais être déjà dans le trou » ?

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« Moi, fardeau inhérent », une ballade sauvage et poétique

— par Janine Bailly —

Peut-être me faudrait-il seulement, au sortir de la représentation de « Moi, fardeau inhérent », donnée dans son premier “seule en scène” par Daniely Francisque, écouter Anatole France et me contenter d’être celle « qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d’œuvre ». Tant il est difficile d’analyser ce qui plus qu’à notre raison a su d’abord parler à nos sens et à notre cœur, faisant éclore une émotion poignante, un bouleversement parfois proche des larmes. La comédienne, actrice et responsable de la mise en scène, nous donne non seulement à entendre, mais encore à ressentir le texte du dramaturge haïtien Guy-Régis Junior : en nous il s’insinue, par les oreilles, par les yeux, par la peau qui frissonne, langage de mots, langage de corps, langage de mains qui nous saisit et au long d’une heure ne nous lâche plus, nous traverse et ne nous laissera pas indemnes.

Dans l’obscurité de la salle, la voix de la comédienne dit le texte, qui annonce l’histoire, le statut de la femme, seule dans la nuit sans lumière mais qui se défend d’être abandonnée.

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A Parté, de Françoise Dô : être femme

— par Janine Bailly —

Françoise Dô, l’une des artistes cette année en résidence de création à Tropiques-Atrium, a de toute évidence plus d’une corde à son arc. Les bonnes fées se seraient-elles penchées sur son berceau ? Pour l’avoir vue les années dernières dans Aliénation Noire, devenu plus tard Aliénation(s), puis dans la « maquette » de Reine Pokou, je la sais merveilleuse interprète, qui conjugue sur un plateau intelligence et sensibilité, au service de ses propres textes autant que de ceux des autres.

Nous l’avons retrouvée avec bonheur, pour le Festival des Petites Formes, mais à la mise en scène cette fois de sa propre pièce A Parté, dont elle confie les rôles à Astrid Bayiha et Abdon Fortuné Khoumba. Une histoire censée être vécue par cinq personnes, mais deux personnages seulement à faire exister sur scène, Nicole et Stéphane, couple en rupture de ban. Nicole et Stéphane, tous deux chargés de dire l’histoire, de se dire, de dire les autres, dont ils rapportent aussi les dialogues. Dire le présent et le passé. Nous faire découvrir, et pas à pas reconstituer, par leurs monologues alternés, en différents lieux de la ville, une vie en lambeaux.

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« La Saveur des ramen » : un film côté cuisine et côté cœur

— par Janine Bailly — 

D’un pays à l’autre, d’une famille à l’autre, d’une cuisine à l’autre. De la mélancolie au sourire retrouvé. Ainsi se tisse le chemin de Masato, jeune chef de Ramen auprès d’un père veuf et dépressif, et qui à la mort de ce dernier quitte le Japon. Mettant ainsi ses pas dans ceux de ce père parti autrefois à Singapour, où l’attendait celle qui deviendrait son épouse ; accomplissant ce voyage de retour vers le pays natal que jamais sa mère, exilée par amour au Japon après son mariage, la naissance de l’enfant, et le rejet par sa propre mère, n’eut l’heur de réaliser. 

À Singapour, Masato retrouve  un oncle maternel, qui l’accueille et le guide vers une grand-mère acariâtre, confite dans ses rancœurs, et qui n’a pas pardonné la “mésalliance” de sa fille avec un Japonais, parce qu’en lui elle voyait l’occupant sanguinaire d’une époque révolue. Là, Masato apprend l’art de confectionner le bak kut teh, “un consommé de côtes de porc cuit à feu doux avec un mélange d’herbes chinoises et d’épices”. Et retrouve enfin la saveur de ces plats maternels, qu’en vain il essayait de reconstituer, saveur de bouche et réminiscence de l’enfance perdue.

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Miraï, ma petite sœur – Diamantino : des films pour renaître

— par Janine Bailly —

Quand tu vas au cinéma, tu peux te laisser bercer par le défilement des images, te satisfaire de l’histoire qui au premier degré t’est racontée. Tu peux aussi, spectateur actif, chercher ce qui se cache derrière ces images, et que le réalisateur n’a pas choisi de te délivrer trop crûment. Pas à pas tu construis toi-même le sens. Petit Poucet des salles obscures, tu suis les cailloux semés sur le chemin, et qui te mènent au cœur même du propos. Le film alors te délivre sa « substantifique moelle » ! Il en va ainsi de deux productions récentes, vues en séance VO, l’une proposée par Madiana, l’autre par Tropiques-Atrium, l’une japonaise, l’autre luso-américaine, l’une traitée en dessin animé, l’autre sous la forme habituelle. Toutes deux présentes à Cannes 2018, lune à La Quinzaine des Réalisateurs, l’autre à La Semaine de la Critique.

« Miraï, ma petite sœur », du Japonais Mamoru Hosoda, est ciselé comme un petit bijou, chaque dessin si minutieusement réalisé que les personnages acquièrent sur l’écran une véritable profondeur, et qu’on se laisse attendrir par l’histoire de Kun, ce petit garçon dont la vie est troublée par la venue au sein de la famille d’un bébé, la petite sœur, nouvel objet de l’affection et de l’attention parentales.

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« Au plus noir de la nuit » : de la lumière à l’ombre

— par Janine Bailly —

D’André Brink, je garde le souvenir ému d’une soirée au Grand Carbet de Fort-de-France, où il assista en compagnie de la réalisatrice Euzhan Palzy à la projection du film « Une saison blanche et sèche » qu’elle avait, avec l’autorisation de son auteur, adapté du roman éponyme. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud nous revient en plein cœur, sur la scène de Tropiques-Atrium, par la grâce du spectacle « Au plus noir de la nuit » que le metteur en scène Nelson-Rafaell Madel nous apporte, après avoir connu le succès au Théâtre de la Tempête, à Paris. Une représentation en direction des scolaires, deux seulement en direction du public, cela semble hélas bien peu.

« Au plus noir de la nuit » est à l’origine un épais roman de plus de cinq cents pages publié en 1974 par l’écrivain afrikaner André Brink, et qui fut à sa sortie censuré. En tirer une heure cinquante de texte, en faire un spectacle cohérent en dépit des ellipses temporelles, des omissions nécessaires et des mystères qui faute d’avoir lu le livre resteront pour nous inexpliqués, cela tient déjà du prodige.

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« Soleil couchant », quand l’homme est astre qui s’éteint

— par Janine Bailly —

Si son existence est attestée dès l’Antiquité, d’abord dans des cérémonies religieuses puis comme accessoire de spectacle, la marionnette est devenue aujourd’hui un personnage de théâtre à part entière. Parce qu’elle a toujours fasciné non seulement les enfants mais aussi les grands, en cela qu’elle est une figurine, une figure animée créée à notre propre image, elle s’est vue à son tour imitée par l’homme, dans certaines mises en scène où l’acteur adopte son maintien et ses mouvements.

De cette ambiguïté, dans Soleil Couchant Alain Moreau se joue, acteur de chair et d’os mais aussi marionnette dont le vêtement l’habille, à qui il prête ses jambes et ses bras, l’un chargé d’en manipuler la tête, l’autre destiné aux gestes de la vie à accomplir. Par cette manipulation à vue, et qui reste minimaliste en raison de l’âge supposé du personnage joué, le comédien et son double pourront au fil du récit se rejoindre, entrer en connivence, l’un buvant la bière que l’autre lui tend, comme aussi tous deux respirent émus le parfum de ce que l’on suppose être châle, ou vêtement d’une épouse disparue.

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À ETC Caraïbe : Françoise Dô, ou le théâtre en devenir

— par Janine Bailly —

Après Bernard Lagier, invité à ouvrir en septembre la nouvelle saison des « Mercredis d’ETC Caraïbe » à l’Université des Antilles, c’est Françoise Dô, jeune artiste martiniquaise de talent, qui était ce 24 octobre reçue par Axel Artheron, Maître de conférence en Études Théâtrales et qui anime avec compétence et conviction des entretiens intitulés « Paroles d’auteur.e.s ».

La salle de cours L3, prêtée à ces rencontres, accueillait un public trop restreint, où peu d’auditeurs extérieurs s’étaient joints aux étudiants présents. Une absence regrettable en comparaison de la qualité inhérente à ce type de rencontre ! Une qualité qui fit oublier la relative tristesse des murs, comme le parasitage des bruits alentour !

Cheveux fous aujourd’hui disciplinés en une natte sage, toute de noir vêtue, tantôt grave tantôt souriante, Françoise Dô s’est livrée volontiers à l’exercice, répondant à toutes les questions, avec une sincérité sans faille. Un sérieux n’excluant pas l’humour, un désir de parler au plus juste, une disponibilité réelle ont permis que l’échange soit chaleureux, enrichissant, et qu’il ne distille pas une seule once d’ennui.

Comment définir le théâtre ? Pour elle c’est d’abord un lieu, lieu clos où l’on va comme dans un autre monde.

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Ta-Nehisi Coates : « Le grand combat »

— par Janine Bailly —

Ce 18 octobre, j’ai eu le bonheur de réaliser un de mes rêves, voir et entendre enfin Ta-Nehisi Coates, et ce fut au Grand Carbet du Parc culturel Aimé Césaire. C’est pourquoi j’ai envie de me remettre en mémoire ce modeste compte-rendu de lecture que je fis le jour où je découvris ce grand écrivain américain.

Le Grand Combat

Interpellée par l’article « Je ne suis pas votre nègre », paru sur le site Madinin’Art, il me faut ici parler d’identité noire, puisque dire que le problème de couleur n’existe pas s’avère malheureusement être encore du domaine de l’utopie.

Parler de cela, au travers d’abord de la littérature, le lien se faisant par l’écrivain James Baldwin, figure du film documentaire précité, et figure présente aussi dans Le grand combat, ce deuxième opus traduit en français de l’américain Ta-Nehisi Coates, qui fait suite à Une colère noire/lettre adressée à mon fils. Une colère noire, un essai bouleversant publié par l’écrivain-journaliste après la mort de son ami d’université, Prince Jones, tué par un officier de police qui l’avait pris pour un trafiquant de drogue.

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Ta-Nehisi Coates, en ce 18 octobre : une découverte !

— par Janine Bailly —

Amphithéâtre plein au lycée de Bellevue, et salle du Grand Carbet au Parc Culturel pleine aussi comme un œuf pour recevoir ainsi qu’il se devait Ta-Nehisi Coates, un journaliste-écrivain qui aujourd’hui s’affirme comme une des grandes voix afro-américaines des États-Unis.

Invité par la municipalité de Fort-de-France, Ta-Nehisi Coates découvrait en compagnie de son épouse l’île de la Martinique, lui qui n’a pu se rendre à Paris que tardivement il y a quelques années, lui qui ne connaît aucune autre île des Antilles, et qui jamais n’eut l’opportunité de se rendre en Afrique, les ressources à sa disposition n’étant en rien comparables aux nôtres, ou à celles des écrivains blancs de son pays !

Le public, souriant et chaleureux, visiblement conscient du privilège qui lui était offert, très tôt dans la soirée se pressait sous une pluie fine aux portes du Grand Carbet pour voir et entendre un des intellectuels qui, en dépit de certaines contestations, s’affirme comme un des plus influents penseurs de l’Amérique contemporaine. Et ce public tous âges confondus sut pendant plus de deux heures prêter une oreille attentive à la conversation initiée par deux intervenants universitaires particulièrement compétents en raison de leurs domaines de recherches, Steve Gadet et Audrey Célestine.

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« Trois ruptures », ou la tragi-comédie du désamour

— par Janine Bailly —

Le décor est minimaliste, table-chaises et fauteuil qui tend à évoquer de douloureuses séances d’extraction dentaire… puisqu’aussi bien toute rupture dans le couple a pour motivation le désir d’échapper à ce qui contraint, au quotidien qui enferme, à l’autre qui soudain nous insupporte ! La scène est donc intemporelle, hors d’un lieu défini, elle pourrait être d’ici, de là-bas ou d’ailleurs. Que nous importe !

Ils sont deux, ou trois si entre eux se matérialise la haine debout, compacte et drue. Elle, plutôt dans sa belle maturité, Lui en un âge déjà quelque peu déclinant  — mais il est dans la « vraie vie » des couples, fussent-ils présidentiels, qui eux aussi font fi de ce paramètre. Elle, dans une beauté un peu agressive, un rien vulgaire, talons hauts et maquillage accentué. Lui un tantinet négligé, ventre rebondi sur ceinture serrée, à qui elle pourrait bien retourner la belle déclaration misogyne de Charles Aznavour : « Non… tu t’laisses aller, tu t’laisses aller ». Lui, cheveux grisonnants plus ou moins peignés selon la scène, Elle dont on ne sait si la fixité implacable de la noire chevelure est due à la nature ou au truchement d’une perruque ; et son personnage exude une certaine artificialité de poupée Barbie, opposée à la pesante présence terrienne de l’Autre.

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À Bussang « Les Molière de Vitez », version Gwenaël Morin

— par Janine Bailly —

En 1978, au Festival d’Avignon, Antoine Vitez créait l’événement en présentant, au Cloître des Carmes, quatre parmi les pièces majeures de Molière, quatre qui ont pour point commun de saisir les personnages à un moment crucial de leur vie, quand tout s’exacerbe et mène à un dénouement inévitable : L’École des Femmes, où se décide le destin de la jeune Agnès ; Tartuffe ou l’Imposteur, où se joue l’avenir de toute une famille ; Dom Juan ou le Festin de Pierre, à l’heure où le héros iconoclaste et libre doit faire le choix de rentrer ou non dans le rang, et Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux, qui pareillement est placé et place l’autre dans une cruelle alternative.

De cette expérience, qui consistait à faire jouer les quatre pièces par les mêmes jeunes acteurs, dans un décor unique mais en costumes d’époque, le metteur en scène Gwenaël Morin, directeur du Théâtre du Point du Jour, garde l’idée d’une seule troupe pétillante de jeunesse puisqu’il met sur scène, pour interpréter dans leur ordre chronologique d’écriture « Les Molière de Vitez », dix comédiennes et comédiens pris dans la même promotion du Conservatoire Régional d’Art Dramatique de Lyon.

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Les Impromptus de treize heures au théâtre de Bussang

— par Janine Bailly —

L’impromptu est un genre théâtral qui se doit d’être spontané et éphémère. L’impromptu est aussi quelque chose que l’on fait « sur le champ, sans préméditation ». Est-ce le hasard seul qui a voulu que se nomment « Impromptus » les manifestations courtes offertes à treize heures, au jour le jour, dont on ne connaît pas par avance le programme et qui se donnent sur le podium à l’ombre des arbres, ou dans la petite salle nommée Salle Camille (en souvenir de l’épouse de Maurice Pottecher créateur du lieu) ? Ou faut-il y voir une connivence avec la troupe de Gwenaël Morin venue de Lyon nous donner Les Molière de Vitez ? On sait aussi de Molière L’impromptu de Versailles, petite comédie qu’il écrivit à la demande pressante du roi, Molière qui dans Les Précieuses Ridicules fait dire à Cathos que « L’impromptu est justement la pierre de touche de l’esprit ». Des Impromptus proposés au début de ce mois d’août, je n’ai pu voir hélas qu’un seul film et assister à une seule rencontre.

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Au Théâtre du Peuple, les méandres de Wajdi Mouawad

— Par Janine Bailly —

Wajdi Mouawad, artiste libano-canadien aujourd’hui à la tête du Théâtre de la Colline à Paris, a donné à voir dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, en 2009 au Festival d’Avignon, les trois premières pièces de sa tétralogie : Littoral (l’eau), Incendies (le feu), Forêts (l’air et la terre). Trois tragédies pour parler de la guerre et de l’exil, de la quête de soi et de ses racines. Du quatrième opus, représenté la même année au Parc des Expositions, le dramaturge dira qu’il vient contredire le propos, Ciels étant « une chose différente… quelque chose qui pourrait affirmer que le passé et les origines ne sont pas nécessaires pour avancer dans la vie ».

En cet été 2018, c’est Littoral que, metteur en scène et comédien, Simon Delétang a élu pour subir son baptême du feu en tant que nouveau directeur du Théâtre du Peuple de Bussang. Au cours de l’année, et pour respecter la tradition, des stages de formation ont permis à douze comédiens amateurs de se préparer à rejoindre six de leurs confrères professionnels, et bien malin qui saurait dire au vu du spectacle qui appartient à l’un ou l’autre groupe !

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Le bel et le vivace été, au Théâtre du Peuple de Bussang

— par Janine Bailly —

Bussang : un bourg paisible ancré tout au bout de la vallée de la Moselle, au cœur du Massif Vosgien. Bussang qui, comme la Belle au Bois Dormant, sommeille mais tout soudain se réveille quand revient avec l’été son beau Prince, charmant et fidèle, le Théâtre.

Le bâtiment lui-même où se donnent les spectacles, souvent comparé à une nef inversée, résiste depuis plus de cent vingt ans à toutes les intempéries, celles du temps, du froid et de la neige, celles des deux guerres mondiales qu’il a vaillamment traversées, celles aussi de controverses quant à sa destination et à ses programmations. Construite à la fin du dix-neuvième siècle par les gens du village, à l’instigation de Maurice Pottecher, enfant du pays revenu de Paris où il n’avait pu concrétiser ses rêves, la structure s’est érigée peu à peu, faite du bois de la forêt proche et selon le savoir-faire des artisans du lieu. À l’origine simple scène de plein air, ouverte après que les villageois eurent prouvé leur désir de théâtre en venant en foule assister à une représentation de Molière donnée sur la place, aujourd’hui véritable salle couverte, le Théâtre du Peuple racheté par l’État et classé Monument Historique depuis 1976 garde, il faut bien le dire, un petit air kitch et désuet, qui sans nul doute ajoute à son attrait.

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Au Festival de Almada, avec ou sans paroles : Dr Nest 

— par Janine Bailly —

Dr Nest : par le collectif Familie Flöz (Berlim/Alemanha), sous la direction de Hajo Schüler

En 1995, un petit collectif d’acteurs et de mimes se constitue en Allemagne, à l’initiative de Hajo Schüler. Il deviendra la troupe aujourd’hui dénommée « Familie Flöz », et qui très vite, dès la création de sa troisième pièce, abandonnera l’utilisation du langage pour ne garder que le jeu des corps, les tableaux visuels, les sons et la musique. Redonnant vie à l’art du masque, et maîtrisant l’art de tout dire et tout faire entendre sans paroles, Familie Flöz s’est approprié un langage universel qui résonne avec force, que l’on peut décrypter sans peine, et qui sait trouver le chemin de notre cœur, que nous soyons petits ou grands.

Conçus pour chaque pièce par Hajo Schüler lui-même, dans l’atelier berlinois du collectif, les masques, loin de cacher démasquent, chacun ayant une individualité bien marquée, chacun suffisant à camper un personnage rapidement identifiable. Car le masque, s’il est adéquat, en figeant les traits dévoile un caractère. Le comédien au visage caché devient, selon l’actrice Anne Kistel, « beaucoup plus vulnérable, et plus nu », en ce sens qu’il lui faut par le corps, par les gestes, par les postures et les déplacements en scène, faire comprendre ce qu’il ne saurait dire.

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Au festival de Almada, un théâtre de l’émotion

— par Janine Bailly —

La Gioia (A alegria) : production de Emilia Romagna Teatro Fondazione e Compagnia Pippo Delbono

Loin de tout classicisme, certains des metteurs en scène actuels semblent explorer de nouvelles voies, à la recherche d’autres façons de dire sur scène notre humanité, ses beautés et ses laideurs, ses forces et ses faiblesses.

Venus de Modène en Italie, Pippo Delbono et sa Compagnie, qui ont eu déjà le bonheur d’être présents dans une cinquantaine de pays comme aux festivals d’Avignon, de Vienne ou de Venise, présentent un spectacle étrange, différent de tout ce que je connaissais déjà, mais qui possède une qualité d’émotion très rare au même temps qu’il est une véritable réussite esthétique. Un spectacle qui selon la façon dont il est reçu peut déranger, interpeller ou bouleverser jusqu’aux larmes.

Et d’ailleurs, plus qu’à un spectacle, c’est à une sorte de célébration que nous sommes conviés, sans dramaturgie, sans narration construite, sans dialogue, sur le mode plutôt d’une conversation intime qui se ferait avec le public. « Sintam a vossa própria loucura, sentez votre propre folie », c’est à quoi nous enjoint le comédien-metteur en scène.

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Au Festival de Almada, Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène convaincant

— Par Janine Bailly —

L’État de siège (Estado de sítio) : le spectacle, au Teatro São Luiz de Lisbonne 

Emmanuel Demarcy-Mota, qui assume à Paris la direction du Théâtre de la Ville, est venu en personne présenter à Lisbonne, au Théâtre São Luiz, la pièce d’Albert Camus vue cette saison à L’Espace Cardin. Créée en 1948 au théâtre Marigny par la Compagnie Renaud-Barrault, cette œuvre n’eut pas l’heur de plaire d’abord à la critique, en dépit de la présence de Jean-Louis Barrault dans le rôle de Diego et de Maria Casarès dans celui de Victoria. Emmanuel Demarcy-Mota, soixante-dix ans plus tard, dit avoir voulu monter L’État de siège « pour combattre la peur ».

Une petite ville, une épidémie, un tyran qui survient, allégorie de la Peste qui décime maintenant la population. La dictature s’installe, ennemie des libertés, avec son cortège d’injustices, d’obligations absurdes et d’inhumaines mesures répressives. On a peur, on se soumet, on ne pense qu’à se sauver soi-même, et certains apportent au tyran leur soutien, leur collaboration pourrait-on dire. Mais il y a aussi ce couple de jeunes gens amoureux, Diego et Victoria, qui choisissent de se révolter, de résister à toutes les contraintes et pressions que la société exerce sur eux.

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Au Portugal, le festival de Almada, version langue française.

— par Janine Bailly —

Au Festival de Théâtre de Almada, dans une ambiance toujours chaleureuse, on découvre ou redécouvre de grands textes, d’aujourd’hui et d’autrefois, et qui sont pour certains donnés en cette belle langue française, supplantée aujourd’hui au Portugal par l’anglais mais encore bien connue des générations plus anciennes.

Liliom, ou la vie et la mort d’un vaurien (Liliom ou a vida e a morte de um vagabundo) : au Teatro municipal Joaquim Benite, de Almada

« Je voulais aussi écrire ma pièce de cette manière. Avec le mode de pensée d’un pauvre gars qui travaille sur un manège dans le bois à la périphérie de la ville ». Ainsi parlait le dramaturge hongrois Ferenc Molnár qui présentait sa pièce Liliom, créée en 1909 et sujette à de multiples adaptations cinématographiques, celle de Fritz Lang n’étant pas la moindre. Jean Bellorini, qui donna à la carrière Boulbon le fabuleux Karamazov dans le cadre du 70° Festival d’Avignon, offre ici de Liliom une version poétique, qui repose sur une scénographie inventive et par instants féérique. De la fête foraine, il retient l’espace carré d’un manège d’auto-tamponneuses, les quatre véhicules s’offrant aux entrées et sorties des personnages.

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Au Portugal, regard(s) curieux sur le festival de Théâtre de Almada

— par Janine Bailly —

Si Avignon reste, pour les amateurs autant que pour les professionnels, une destination incontournable, il est de par le monde d’autres lieux où le théâtre va et nous emmène à sa propre découverte. Il en est ainsi du Festival International d’Almada, au Portugal, qui propose sur les deux rives du Tage, du 4 au 18 juillet, sa trente-cinquième édition. Une édition un temps compromise par des réductions financières, mais qui par bonheur peut avoir lieu, organisée conjointement par la CTA (Companhia de Teatro de Almada), la Câmara Municipal de Almada, et quelques-uns des grands théâtres de Lisbonne. Une édition qui propose cette année vingt-quatre spectacles en différents lieux ; un festival populaire en ce sens qu’il s’offre à tous pour un prix fort raisonnable, l’abonnement donnant accès à l’ensemble des manifestations pour soixante euros seulement ; un festival de qualité, audacieux et novateur, qui convie auprès des réalisations portugaises certaines des grandes créations européennes de ces derniers temps. Expositions, conférences, spectacles de rue et concerts gratuits viennent compléter le programme.

De tradition ouvrière et socialiste la ville, aujourd’hui privée en partie de ses activités portuaires, garde cette ouverture vers la culture et vers l’autre qui est un peu sa marque : l’actuelle « Presidente da Câmara Municipal » en fonction n’est autre que Inês de Meideiros, comme sa sœur cadette Maria actrice de théâtre et cinéma, mais aujourd’hui investie en politique après avoir dirigé le Teatro da Trindade dans Lisbonne.

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Au Cénacle de Fort-de-France, l’hommage à Paulette Nardal

— par Janine Bailly —

Par le film Les Figures de l’ombre, du réalisateur américain Theodore Melfi, nous découvrions sur nos écrans, en mars 2017, le destin extraordinaire de ces trois femmes noires qui, engagées comme mathématiciennes à la Nasa sur le programme Apollo, durent pour s’imposer affronter et vaincre tous les préjugés du temps, racisme, machisme, sexisme… Grâce à Gerty Dambury, nous retrouvions sur scène, au mois de mai, dans la pièce La radio des bonnes nouvelles, quelques autres femmes fortes dont on n’a pas toujours, en dépit du rôle qu’elles ont pu jouer dans l’évolution de nos sociétés, gardé un souvenir assez vivace. Et ce mardi de juillet, pour la deuxième soirée que nous offrait en bord de mer le Cénacle, c’est une grande figure martiniquaise que nous apprenions à découvrir, à redécouvrir ou à mieux connaître : Paulette Nardal était donc à l’honneur, fille de l’île qui tôt sut partir, s’arracher à sa vie foyalaise, au cocon familial, à la maison de la rue Schœlcher,  pour se confronter au reste du monde, en France, en Amérique aux Nations Unies alors naissantes, au Sénégal chez Senghor ami des Nardal, avant que de revenir chez elle, riche de ses expériences, se mettre au service des siens et de son pays.

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« Reine Pokou », dans une lecture de Françoise Dô

— par Janine Bailly —

De Stéphanie Loïk, actrice, metteur en scène et dramaturge, nous avions découvert en 2016 à Tropiques-Atrium, un spectacle présenté comme une « adaptation-lecture théâtrale » de l’ouvrage éponyme d’Alain-Gilles Bastide, Tchernobyl Forever ; puis en 2017, La fin de l’Homme rouge, pièce issue d’un livre de témoignages recueillis, en Russie et Biélorussie, par Svatlana Alexievitch. De Françoise Dô, comédienne écrivaine metteur en scène, nous connaissions L’Aliénation noire, monologue écrit, mis en scène et merveilleusement interprété par elle-même, en ce même lieu en 2017, avant qu’elle ne le reprenne sous le titre de Aliénation(s) à la Bibliothèque Universitaire de Fort-de-France en 2018.

Il était donc normal que ces deux talents se rejoignent, dans le cadre de ce « dispositif national de compagnonnage à la mise en scène/dramaturgie » initié par le Ministère de la Culture et de la Communication, et pour lequel Françoise Dô a eu le privilège d’être retenue. Normal que les deux femmes se rejoignent dans cette volonté de faire découvrir, en les adaptant et les mettant en scène, des œuvres qui à priori n’avaient pas été écrites pour le théâtre, puisque le travail présenté ce mardi dans l’intimité de La Terrasse, Reine Pokou, est tiré du roman de Véronique Tadjo, Reine Pokou, concerto pour un sacrifice.

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