— par Janine Bailly —
Dans le « paysage » qu’est Artaud, il faut « s’y promener, il faut prendre le temps d’aller de saillie en trou, de sentier en piste, il faut s’y exposer, s’y aventurer. » (Kenneth White, in Le monde d’Antonin Artaud, essai, 1989). C’est bien à cette sorte d’aventure que nous convie l’écrivaine, responsable de la mise en scène de son propre texte, Billes de verre, éclats de plomb, avec la complicité de deux comédiens chargés d’assumer ses paroles, comme aussi celles d’ Antonin Artaud et Frantz Fanon, qui traversent en fulgurantes insertions l’écriture ardente et métaphorique de Thérèse Bonnétat.
Quand commence le jeu, l’un se tient de dos en fond de plateau, l’autre est couché au devant de la scène, blotti sous des linges qui d’abord le dissimulent. Et le temps s’arrête, un moment qui peut sembler durer, un moment fait de silence, d’immobilité recueillie, comme une transition entre le « ici-maintenant » et « l’ailleurs » d’un univers théâtral où on nous inviterait à entrer. Pour venir à nous, il faudra à l’un se retourner, à l’autre émerger de linges qu’il déposera à l’avant-scène ; l’un de ces linges, clair, étant à prendre quand il sera parlé pour la première fois d’Antonin Artaud, poète maudit né sous le ciel de Provence, « grand Monsieur masqué de blanc », qui « tel un oiseau de proie » s’offre au grand vent ; l’autre de ces linges, sombre, étant à saisir pour parler de Frantz Fanon, médecin-psychiatre et essayiste, « petit Monsieur à la peau noire », imaginé se tenant face au poète sur le port de Marseille.