Étiquette : Dominique Daeschler

Avignon 2022 : « L’Art de perdre », « Ghazal »

— Par Dominique Daeschler —

L’Art de perdre. Alice Zeniter, m.e.s. Sabrina Kouroughli. Le 11.

Ghazal. Collectif, m.e.s. Tiffany Duprés. La Factory.

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L’Art de perdre. Alice Zeniter, m.e.s. Sabrina Kouroughli. Le 11.

Sabrina Kouroughli adapte « l’art de perdre »  d’Alice Zeniter dans une sororité : toutes deux nées en France, passées par « l’école de la république » ont de la terre algérienne de leurs ascendants, une histoire trouée. Ici deux grand’mères analphabètes, là un grand père harki, des déracinements où la culture est piétinée, les souvenirs enfouis. Seul le silence permet de garder le respect de soi-même, ultime armure d’une identité fêlée par la honte sociale.

Nous entrons dans une enquête mémorielle où tout est raconté à partir de la famille et y retourne avec des confidences, des souvenirs, des fantasmes et des rêves. Naïma, jeune galériste navigue dans un milieu intellectuel pseudo mondain sans état d’âme particulier jusqu’aux interrogations violentes que suscitent les attentats de Paris. Un burn out, une invitation à se rendre en Algérie pour préparer une exposition seront des prises de conscience qui l’engageront, sautant la génération de son père, à engager le dialogue avec cette grand-mère ( formidable Fatima Aibout) arrachée à ses champs d’olivier, parquée pendant des années dans un camp pour atterrir dans un HLM de Normandie, sauvée quelque part par les exigences du quotidien.

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Avignon 2022 : « La galerie. Machine de cirque », « Ici la nuit »

— Par Dominique Daeschler —

La galerie. Machine de cirque. La Scala Provence
Ici la nuit. Jon Fosse, m.e.s. Frédéric Garbe. Théâtre Transversal.

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La galerie. Machine de cirque. La Scala Provence.

Nouveau lieu à Avignon, la Scala Provence a repris les salles d’un ancien cinéma : plus de places et de grands plateaux , ce qui est rare en off. Le luxe ! Comme à la Scala Paris, la programmation est axée sur des spectacles mêlant le cirque, la performance, la danse faisant souvent appel à des références plastiques.

Machine de cirque, compagnie québécoise composée de sept acrobates et d’une musicienne y présente un spectacle déboulonnant les codes d’une galerie d’art branchée terriblement monochrome, adepte d’un dépouillement ascétique. Tabernacle ! Ils foutent le souk, le boxon, le bordel en exécutant des numéros de haut vol, réglés à l’américaine, valorisant la performance en toute décontraction. Le décor bouge autant qu’eux : tout se transforme pour que l’imaginaire reprenne possession de l’espace et de la poésie qu’une musicienne intemporelle distille d’un saxo impertinent. La couleur éclate sur d’immenses toiles, avec un sourire de connivence à Pollock, barbouillant salopettes et cheveux.

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Avignon 2022 : « La diversité est-elle une variable d’ajustement? », « Jogging »

— Par Dominique Daeschler —

La diversité est-elle une variable d’ajustement… Collectif : A Adjina, G Akakpo, M Navajo.
Jogging. Hanane Hajj Ali. Théâtre Benoît XII. In.

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La diversité est-elle une variable d’ajustement… Collectif : A Adjina, G Akakpo, M Navajo. Le 11.

Trois écrivains de théâtre, Amine Adjina, Gustave Akakpo, Metie Navajo se plient à un exercice à la mode : la conférence où le public est pris à partie. C’est tout bénef, pas de décor, un minimum de mobilier qui fait qu’on peut jouer n’importe où sans compter qu’on s’économise car on peut très bien lire son texte quand on passe l’autre à la question ! Chiche ! en route pour la diversité car ces auteurs ont en commun soit d’être nés dans un autre pays que la France, soit d’être liés à d’autres pays par leurs ascendants. La diversité est un fait mais quelle est sa reconnaissance sociale, culturelle, politique ? Les auteurs qui jouent leur propre rôle vont, lors de leurs présentations respectives émettre des doutes, glisser quelques peaux de banane .

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Avignon 2022 : « La mort grandiose des marionnettes », « Double jeu de l’amour et du hasard », « Moi, Kadhafi », « Macbeth »

— Par Dominique Daeschler —

La mort grandiose des marionnettes. Création de Old trout puppet.
Double jeu de l’amour et du hasard. m.e.s. Patrick Ponce.
Moi, Kadhafi. Véronique Kanor, m.e.s. Alain Timar
Macbeth. Shakespeare, m.e.s. Geoffrey Lopez

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La mort grandiose des marionnettes. Création de Old trout puppet. Girasole.

Trois filles en frac manipulent des marionnettes à tige dans et devant un castelet, démystifiant l’histoire de la marionnette et la tentation d’une réception ébahie. La mort, la disparition, la dévoration, le rejet sont au rendez vous dans toutes les scénettes qui développent un humour sarcastique. Le travail est raffiné, inventif . Défilent à toute allure le chanteur d’opéra qui se fait régulièrement casser la gueule, l’animateur exsangue et mortifère, le grand cordon des intestins-tuyaux d’arrosage de l’homme mort devant le castelet. Tout est passage à l’acte, désinhibition, volte-face avec parfois, le temps de reprendre souffle une accalmie poétique (l’homme feuille). C’est avec férocité que les trois marionnettistes canadiennes enterrent leurs créatures nous renvoyant à un parterre de figurants dans le castelet, histoire d’enfoncer férocement le clou. C’est détonant : un seul regret on voit parfois les mains.

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Avignon 2022 : « Toxique », « Kan lamour èk lo azar i zoué avek », « Spectre », « Une opérette à Ravensbrück »

— Par Dominique Daeschler —

Toxique de Françoise Sagan m.e.s. Cécile Camp- adaptation Michèle Ruivo – Théâtre des lilas.
Kan lamour èk lo azar i zoué avek- Le jeu de l’amour et du hasard. Marivaux. m.e.s. et traduction en créole réunionnais Lolita Tergemina. Toma.
Spectre – chorégraphie, mes : David Milôme. Toma.
Une opérette à Ravensbrück -Germaine Tillion-m.e.s. Claudine Van Beneden- Le Chien qui fume.

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Toxique de Françoise Sagan – m.e.s. Cécile Camp- adaptation Michèle Ruivo – Théâtre des lilas.

— Par Dominique Daeschler —

La comédienne Christine Culerier, familière de l’œuvre de Sagan, s’empare de son journal écrit lorsque l’autrice est en cure de désintoxication pour une dépendance à un dérivé de la morphine administré après un grave accident de voiture.

La sobriété recherchée dans le décor ( un petit lit, une table de nuit qui croule sous les livres, une chaise) est également développée dans le jeu qui met en valeur la mise à nu d’un journal : point d’effet de voix et des déplacements de chat. La jeune Sagan se livre, avec déjà la distance de l’écrivain, avec une pointe de malice quand elle évoque la nature et sa légendaire mondanité quand elle évoque sa vie tumultueuse.

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« Penthésilé.e.s amazonomachie », texte Marie Dilasser, m.e.s. Laetitia Guédon.

— Par Dominique Daeschler —

Quand Laetitia Guédon s’empare de Penthésilée reine des amazones, elle fait équipe avec Marie Dilasser et ça décoiffe !

Juste un petit flash-back : nous sommes en pleine guerre de Troie. Penthésilée entre en combat aux côtés des troyens à la mort d’Hector, tué par Achille, car il a tué Patrocle, l’ami de cœur d’Achille. Œil pour œil, dent pour dent. Au cœur du combat Achille tue Penthésilée et est bouleversé par sa beauté( zoom sur Eros et Thanatos). Cette situation est renversée dans la pièce de Kleist où Penthésilée tue Achille le dévore et se suicide ( grandeur et misère de l’amour vache).

D’Eschyle à Homère les amazones sont des barbares femmes guerrières ne reconnaissant les hommes que dans leur pouvoir de reproduction, leur disputant place et reconnaissance sociales.

De cet héritage, Laetitia Guédon, gardera sans doute le mythe du phénix puisque la pièce commence peu après la mort de Penthésilée dans un au-delà brumeux ( entre Styx, sanctuaire , hammam)où elle règne en figure de proue, interrogeant l’âme d’ Achille qui lui répond sur grand écran.

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« Cendrillon » m.e.s. Joël Pommerat

— Par Dominique Daeschler —

La reprise de Cendrillon au théâtre de la Porte St martin, spectacle créé en 201, nous fait entrer de plein pied dans l’univers de Joël Pommarat , fondé sur un travail entre imaginaire et réel, entre savants jeu de cache -cache, de détournements, de non-dit et de révélé.

Un monde poétique qui part de sa propre écriture où les contes ( cf. le Petit Chaperon Rouge Pinocchio) sont d’âpres morceau de vie où l’on part à la conquête de soi. Cendrillon n’échappe pas à la règle, en apprenant, entre autres, à faire son deuil et à faire « résilience ». Dans une langue qui ne craint pas d’être crue, familière ou cynique nos personnages sont pleins de défauts, le père de Cendrillon est lâche, le prince est un petit rondouillard un peu falot, indécis, réfugié dans le passé, Cendrillon toute au deuil de sa mère se laisse un temps manipuler par sa propre culpabilité et une soumission aux ordres de sa belle-mère …. Tous sont soumis aux mensonges …bref ils nous ressemblent dans leurs faiblesses, leurs doutes, leurs chagrins, leurs rêves ou leurs difficultés à communiquer.

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Rencontre avec Laëtitia Guédon, metteure en scène

Penthésilé.e.s/ Amazonomachie du 6 au 22 mai Théâtre de la Tempête

— Propos recueillis par Dominique Daeschler —

Flash-back : Laëtitia guédon, sourire éclatant et yeux gourmands, vient présenter son projet Bintou et son travail sur le théâtre grec à la Drac Martinique. Bingo ! Le lycée Schoelcher, la scène nationale bénéficieront de son goût de la transmission et de son entrée en « mise en scène » une dramaturgie précise, un sens de la direction d’acteurs, bousculent le plateau.

Aujourd’hui la metteuse en scène , qui reprend ce mois-ci Penthésilé.e.s au théâtre de la Tempête, pièce créée en in au festival d’Avignon l’an dernier, dirige « Les Plateaux Sauvages », lieu culturel de quartier ( 20ième arr ) repensé, relooké. Aujourd’hui Les Plateaux s’affirment comme une véritable fabrique artistique, tout en gardant sens et missions d’un lieu partagé. L’espace d’accueil est déjà un lieu où l’on peut se poser, avec des murs où l’on peut afficher. Dans le bureau de Laëtitia, une toile d’Henri Guédon d’un jaune foudroyant nous invite à la lumière. Il est temps de dire.

D Daeschler : De quels outils disposez-vous pour créer, diffuser, transmettre ?

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« Arlequin poli par l’amour », m.e.s. Thomas Jolly : un Marivaux plus féroce que bien léché

— Par Dominique Daeschler —

Il n’y va pas de main morte Thomas Jolly ! Le jeune directeur du Centre Dramatique National D’Angers nous avait habitué au festival d’Avignon à sa façon d’aller « farfouiller » dans l’âme humaine sans ménagement ( Thyeste, Henri VI, Richard III ).

En reprenant Arlequin poli par l’amour créé en 2006 avec sa compagnie La piccola famiglia, il décape la pièce de Marivaux, passe le verbe au scalpel, découpe les situations et prend les sentiments au collet. Pas de psychologie mais toujours un punching ball incessant entre « maître et esclave » au sens hégelien, entre faible et fort. C’est aussi le temps d’aujourd’hui ,celui des avatars et des jeux de rôle . Temps de l’amour ou de la manipulation ? Arlequin est bien vite déniaisé quand il comprend ce que peut lui apporter le pouvoir, son amour pour Silvia apparait comme une tocade où la valorisation de sa propre personne par le fait d’être amoureux passe au premier plan . Chacun rêve d’une liberté définie par son propre désir. Folle, inconsciente et impatiente jeunesse : je fais comme je veux, comme je sens…De simples petites ampoules se balancent au bout d’un fil pour éclairer personnages et discours.

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DEAL : une magistrale mise en demeure de la fraternité du désespoir.

— Par Dominique Daeschler —

Dans la solitude des champs de coton marque le début du long compagnonnage de l’auteur Bernard-Marie Koltès avec Patrice Chéreau . Ce texte est la source d’inspiration de Deal. Jean Baptiste André s’en empare , pour nous donner, entre cirque, théâtre, danse, un spectacle criant d’intelligence et de talent sur la relation à l’autre, sur le désir d’altérité et son rejet.

Dans un lieu improbable, deux hommes, entre chien et loup, errent, se voient, se heurtent, se parlent : sans qu’on ne sache jamais – et ce n’est pas innocent -ce qu’il y a à vendre. S’établit un rapport marchand entre vendeur et client, un deal un peu louche, dans un dispositif scénique carré qui joue joliment de la quadrature du cercle. On se cherche, on se rencontre, on s’esquive, on se détourne : chasse à l’autre mâtinée de danses, d’acrobaties, de bouts de textes proférés dans le souffle de l’effort. Debout ou au sol, le mouvement dit à la fois le refus de l’autre et son désir, le désir du désir de l’autre : juste, pas juste, oui, non.

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Exposition Georg Baselitz au Centre Pompidou : comment renverser le sens de la représentation.

— Par Dominique Daeschler —

Dans une exposition chronologique, le centre Pompidou a fait le choix de jouer son va-tout avec l’immense, le démesuré, qu’il s’agisse des toiles ou des sculptures. On y découvre un Baselitz brut de décoffrage avec souvent un clin d’œil à l’expressionnisme. Enfant en RDA, Baselitz naît près de Dresde dans une Allemagne détruite par la guerre, coupée en deux, subissant les conséquences du nazisme. Que faire de la violence, comment vivre dans une société sans dessus – dessous ? Baselitz confesse être reparti à zéro : à lui de trouver ses propres mythologies, à lui de trouver sa propre renaissance et son style. La déformation des corps, des choses sera un de ses traits distinctifs. Alors ses peintures sont chaotiques, blessées, à vif. Les personnages sont cabossés, aux aguets de leur vie intérieure. Reste à tout renverser : que faire de l’héroïsme et de la définition d’une virilité triomphante ? Entre blessés de guerre, pénis hypertrophiés, Baselitz prend le contrepied d’une imagerie normée.

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« Kingdom », m.e.s. d’Anne-Cécile Vandalem

Avignon

Dernier volet d’un triptyque dont les deux premiers -Tristesses, Arctique – ont été joués au Festival, Kingdom termine les récits dans le grand Nord d’Anne-Cécile Vandalem. Si le premier volet était consacré à un étouffant huis clos politique, le second au désastre climatique, le dernier Kingdom, se demande quel monde pourront imaginer les enfants demain, à partir des désastres écologiques, des bouleversements politiques et des rêves avortés des parents ? Que peuvent-ils espérer ? comment vont-ils réinventer ?

Une famille s’installe dans la taïga sibérienne pour fuir la civilisation et vivre un rêve communautaire. Chacun doit entrer dans l’histoire racontée par le chef de clan, démontée peu à peu, au fil du mélange des propos de chacun ? un documentaire de clément Cogitore sur les utopies et l’a vie en autarcie d’une communauté sibérienne est la trame de l’adaptation d’Anne-Cécile Vandalem. Au départ, la faille semble vivre une vie paisible, où chacun vaque à ses occupations où les jolies têtes blondes se partagent entre jeux et chants.

Besoin de conflits ? Problème de territoire et reconnaissance de la différence de l’autre ?

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Mois kreyol : un festival résistant malgré les restrictions

— Par Dominique Daeschler —
Cette quatrième édition (29 oct-28 nov) axée sur l’écologie et les luttes sociales s’est vue tronquée, covid oblige, de représentations, gardant avec l’évolution des mesures, tables rondes et ateliers.
C’était aussi les 25 ans de la compagnie Difé Kako, conceptrice et organisatrice de ce festival : l’occasion de rencontrer sa directrice, danseuse et chorégraphe, Chantal Loial.

D Daeschler : Comment avez-vous vécu ce réajustement permanent avec notamment des spectacles en ligne ?
Chantal Loial : Avec l’envie encore plus forte du partage. De fait, sur la région parisienne, nous avons pu, grosso modo, respecter notre programme les trois premières semaines d’octobre : l’exposition photographique des 25 ans de Difé Kako, les contes pour enfants (Ymelda Marie-Louise, Valère Egouy, Eric Lauret), le concert de l’orchestre Dokonon de Guyane mais malheureusement pas celui de notre parrain Tony Chasseur… La compagnie n’a pû jouer qu’une seule fois son dernier spectacle « Cercle égal demi-cercle au carré) Une partie du travail commencé sur le patrimoine immatériel des Antilles(films) a été repoussé même si le spectacle sur le quadrille a vu le jour. De même la programmation pour Strasbourg et Bordeaux a été repoussée.

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Saline d’Arc et Senans : deux expositions majeures sur le cirque croisent poésie et histoire

— Par Dominique Daeschler —

Présentée dans la grande berne ouest du Centre de Rencontre d’Arc et Senans, l’exposition Le cirque Plume : l’éternité du saut périlleux, conçue par son directeur artistique Bernard Kudlak n’a rien d’un parcours didactique, chronologique ou nostalgique. Dans une joyeuse zizanie poétique, se mêlent photos (et quels photographes !), captations de spectacles, costumes, dessins et petites phrases.

Tracer le cercle, omniprésent dans toutes les mythologies c’est parler des mondes, entrer dans un rituel, dans un schéma cosmologique (cf. Mircea Eliade). Kudlak a conçu l’exposition comme un « poème en actes » où l’humain a la première place : « le spectacle du cirque Plume est fait par des vivants, pour des vivants. Il est joyeux, coloré, profond, poétique, sale, brouillon, extrêmement précis… Il est comme la vie : en sauts périlleux sur des vélos, en souffle sur des rayons de lumière, en invention sur des musiques, en équilibre sur des plumes. Créé en 1989, Plume a apporté au cirque la liberté du vent qui s’insinue, emporte les graines, joue de la brise avec la pluie qui crachote. Avec leur « métier » (trapéziste, jongleur, fil de ferriste…) chaque artiste entre dans une histoire qui a un nom et se déroule, comme au théâtre avec l’impérieuse nécessité d’un collectif soudé et du regard de l’autre.

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Le droit d’asile à l’épreuve de la crise sanitaire

Entretien avec Maître Matthieu Perdereau. Propos recueillis par Dominique Daeschler

Si la crise sanitaire nous a questionnés sur le respect des libertés publiques et individuelles dans un Etat démocratique, elle a renforcé des prises de positions politiques sur un contrôle de l’immigration dans une nostalgie d’un monde fermé, localiste.

Quelles conséquences de la crise sanitaire sur l’accueil des migrants ? Nous avons souhaité aborder avec Maître Matthieu Perdereau, avocat au barreau de Paris, membre d’ELENA France, association d’avocats praticiens du droit d’asile, les incidences que la pandémie a pu avoir sur les droits des demandeurs d’asile.

Une économie à l’arrêt, une population confinée : dans quelle situation se sont retrouvés les demandeurs d’asile ?

Maître Matthieu Perdereau. Face au confinement, à des administrations au point mort et à des juridictions en berne, le gouvernement a rapidement pris des mesures pour prolonger les documents de séjour des étrangers comme les attestations des personnes dont la demande d’asile est en cours d’instruction.

Ceux qui n’avaient pas eu la possibilité de faire enregistrer leur demande auprès de l’administration préfectorale avant les mesures de confinement ont fait face à de plus grandes difficultés.

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Soigner le corps et les murs : des graffeurs sénégalais au service de la lutte contre la covid 19

— Par Dominique Daeschler —

La Fondation Dapper avec ses derniers nés, des e-books à télécharger gratuitement sur son site, poursuit sur un mode plus ludique, plus directement accessible aux jeunes via smartphone et WhatsApp, la promotion de l’art contemporain africain. Dernière parution en ligne, « Le graffiti pour sauver des vies » qui valorise à la fois l’engagement des artistes graffeurs sénégalais au service du coronavirus et la volonté de la Fondation de présence au monde d’aujourd’hui pendant la pandémie.

L’ouvrage édité sous la direction d’Aude Leveau Mac Elhone, illustré par de nombreuses photos d’œuvres et d’artistes, se compose d’un historique sur le développement du graffiti, d’interviews et de présentations d’artistes et de collectifs, mettant particulièrement en exergue son rôle dans les rapports sociaux et dans sa façon d’aborder les problèmes de santé publique. Le propos tenu est clair et rigoureux, dans la lignée des livres d’art édités par Dapper. L’autrice s’est mise « au service de » : pas de discours redondant ou sentencieux mais une volonté d’entrer dans le vif du sujet en privilégiant le descriptif et la parole recueillie. A notre tour, écoutons – la.

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Foire bruxelloise du livre : T’as voulu voir Paris et tu as vu Bruxelles…

— Par Dominique Daeschler —

Paris annule son salon (Livre Paris), Bruxelles le maintient (du 5 au 8 mars) avec peu de défections de visiteurs et d’auteurs : 60 000visiteurs, 1050 auteurs, 300 rencontres.

Placée sous la triple égide d’Alessandro Baricco, Leila Slimani et Liao Yiwu, avec le Maroc comme invité d’honneur, cette foire du livre gratuite, dans des bâtiments industriels réhabilités « nickel chrome » est bon enfant. Un peu de gel antibactérien obligatoire à l’entrée et nous voilà partis en cheminement curieux …Facilité de déplacement sans agression sonore, un petit air de promenade familiale.

Tellement de livres ! Tellement d’éditeurs ! une mention spéciale à l’édition pour enfants (en force) avec le talent belge côté images et québécois côté texte (avec humour et sans ambages, une approche fine des pré-ado). Fuyant les auteurs à champagne, les parutions déjà sacrées par les médias, nous chaussons nos bottes pour nous rendre sur l’un des sept lieux d’échanges et d’ateliers : Place de l’Europe.

Politique- f(r)ictions avec Alexandra Schwartzbrod, Diane Ducret, Alain Lallemand : la corruption politicienne et l’aveuglement de nos opinions.

Voilà trois auteurs, trois livres qui arrivent en fanfare pour nous parler de l’état de notre monde entre conflits et lâcheté.

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TOMA : nouvelles missions pour un lieu ouvert à l’année

— Par Dominique Daeschler —

Forts d’une expérience de vingt ans d’accueil des créations ultramarines en Avignon, Marie Pierre Bousquet et Greg Germain, codirecteurs du Toma remettent le canevas sur le métier. Nul doute que les projets expérimentés ou abandonnés ici et là autour des cultures des Outremers n’aient nourri leur réflexion et conforté leur envie d’aller plus loin en partant des atouts De la Chapelle du Verbe incarné (situation et potentiel du bâtiment), d’un travail de dialogue constant avec la ville.
Une étude (bâtiment et missions) financée par le Toma, la ville d’Avignon, le Ministère de l’Outremer explore les possibles d’un projet culturel à l’année offrant une connaissance plus large des cultures ultramarines en tricotant à sa manière les liens entre diffusion-création-formation- pratiques artistiques – territoires et publics.
L’ambition est d’en faire un lieu-ressource qui puisse répondre par la transformation du bâti à la mise en œuvre du projet. Ainsi une maquette, prenant en compte les impératifs du monument, laisse entrevoir une deuxième salle de spectacles (répétitions, résidences de création), une bibliothèque-médiathèque qui, outre des ouvrages, permettra de consulter les archives collectées depuis 1998 sur les créations et les compagnies, des espaces pour conduire des ateliers (actions à l’année envers le jeune public et formation continue en lien avec l’ISTS) , un «studio » pour continuer à construire un  kit de communication (radio, toma-scoop, critiques, blog sur Médiapart…).

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Avignon 2019. « Outside » de Kirill Serebrennikov : dramaturgie scénographie et m e s.

— Par Dominique Daeschler —

Kirill Serebrennikov impressionné par les photos de nu du photographe chinois Ren Hang, y voyant une poétique liée à une culture et découvrant ses écrits, décide de le rencontrer avec l’envie de bâtir un projet ensemble. Hang se suicide avant. Serebrennikov empoigne alors ses mots, ses images et fait Outside.
Nous voilà entraînés dans une surimpression de scènes et d’images pour dire que l’art n’est pas une tour d’ivoire, que l’artiste est témoin de son temps, « mouillé » qu’il le veuille ou non et surtout pas politiquement correct. Des liens se tissent : pluridisciplinaires, multiculturels. Les hommes nus de Hang rencontrent les perquisitions et les interrogatoires russes. Pour fuir tout totalitarisme la liberté est débordante, désordre et provocation qu’il s’agisse de sexe, de genre, de pensée. … « Il est interdit d’interdire », il faut fuir la dépression, l’invitation au suicide. Alors tout se bouscule : un couple marche sur un toit, une chanteuse chinoise devient sirène puis enfile une tête de cochon. Des hommes et des femmes nus se couvrent de fleurs : statues, croix, tombes ? Une petite boule verte -qui nous rappelle l’homme vert de Cetelem- traverse le plateau.

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Avignon 2019. « Le reste vous le connaissez par le cinéma » de Martin Crimp, m.e.s. de Daniel Jeanneteau.

— Par Dominique Daeschler —

Le texte de Martin Crimp reprend la trame singulière des Phéniciennes d’Euripide. Trame singulière car Euripide soumet le mythe fondateur (Œdipe) à la parodie, au jeu, orchestre avec malice et critique les aventures de ces héros grecs, les soumet « à la question » par le biais d’un chœur de « filles » omniprésent et omnipotent. Ces filles d’aujourd’hui, étudiantes ou dans la vie active, brillamment conduite par la déjantée et gouailleuse Elsa Guedj, ne sont rien moins que ces Phéniciennes, femmes d’Orient, migrantes avant la lettre. En pleine guerre du Péloponnèse qui entraînera la décadence de la Grèce, ce sont des femmes qui parlent et qui s’opposent. Crimp fait de ce chœur l’axe de la représentation.

Dans une salle de classe désaffectée, au mobilier renversé, les filles exhument et convoquent tous les personnages, les interrogent, les interrompent, les confessent, changent leur destin. Quel héritage ! Défilent la vacuité de la recherche du pouvoir (Empédocle et Polynice), la responsabilité d’Œdipe (une sorte de péché originel), l’impossibilité de l’effacement et de la réunion (Jocaste) etc.…Dans les mots d’aujourd’hui des filles, des liens se font avec le présent.

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Avignon 2019. « La Brèche » de Naomi Wallace, m.e.s. de Tommy Milliot. 

— Par Dominique Daeschler —

Ils sont quatre adolescents qui se réunissent dans un sous-sol de banlieue aux USA. Deux milieux s’affrontent : deux nantis et deux prolos. Déjà des jeux de pouvoir, des défis, des serments et des paris. Jude, la révoltée, sœur d’Acton petit frère protégé par les fils de famille Frayne et Hoke, en est l’enjeu. Les voilà grands, se retrouvant à l’enterrement d’Acton qui s’est suicidé ne supportant pas sa lâcheté qui a permis le viol de sa sœur par les deux autres. Deux équipes d’acteurs au jeu vif font le va et vient entre ces deux époques. Sur une simple dalle de béton, l’espace étant délimité par une lumière vive ou un noir qui appelle le vide, les mots traversent les corps, les déconstruisent dans leurs mensonges, leur rationalité leur bonne conscience ou leur remords. Tous ont triché et le plus faible a trinqué. Deux dénonciations fortes : le viol lié à la présence de substances pharmaceutiques pose la question du consentement, le fossé entre les classes sociales crée une inégalité et donne une lecture de l’Amérique d’aujourd’hui.

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Avignon 2019. « Qui a peur de Virginia Woolf ? » d’Edward Albee, m.e.s. de Panchika Velez.

— Par Dominique Daeschler —
Voilà un spectacle bien huilé qui roule tout seul avec le plaisir de retrouver de vrais dialogues (oui, on l’avoue), des retournements de situations, un décor qui fonctionne dans son classicisme absolu et ses répartitions d’entrée-sortie de cour à jardin. Pépère ? Le duel à fleuret moucheté Martha- George l’en empêche : voilà deux comédiens toniques qui derrière le cynisme laissent éclater leur douleur (la perte du fils) tout en buvant sans modération. Ils entraînent dans la danse les jeunes Nick et Honey qui finiront par se mettre au diapason (excellents acteurs eux aussi). Jeu de dupes et jeu de rôles. La mise en scène et la direction d’acteurs frôlent parfois le boulevard comme pour donner une ambiguïté supplémentaire ce qui retentit habilement sur la joute oratoire. Un seul regret, le choix d’un jeu trop hystérisé pour Martha ce qui renforce la maitrise de George. A quelque chose malheur est bon.
D.D.

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Avignon 2019. « Ava, la dame en verte ». de Pavlata et 0. Bernard. m.e.s. d’Alexandre Pavlata.

— Par Dominique Daeschler —
Totalement allumée, Ava : râlant d’être trop belle et multipliant les poses lascives, elle ne veut plus être uniquement cet objet de désir qu’elle provoque pourtant. Ava a un univers : trapéziste, acrobate, chanteuse, fakir c’est une femme orchestre qui maitrise le rire avec humour et dérision (les bouts d’essai de cinéma). Elle joue. Drôle et sensuelle ce n’est pas incompatible, le comique au cirque n’est pas l’apanage de l’homme, le clown ne se décline pas qu’au masculin. Ava est brillante et a du mal à trouver chaussure à son pied : c’est aussi souvent comme ça dans la vraie vie. Pourquoi n’arrive-t-on pas à croire qu’elle nous permet de décliner une image différente du clown en introduisant sa féminité ? Question des auteurs et du cirque actuel que ne pose pas le spectateur car elle introduit un univers poétique qu’elle conduit avec le panache d’un Cyrano. La fin, comme une pirouette est trop convenue c’est dommage car Orianne Bernard, en vraie circassienne, assure de bout en bout ce personnage fantasque et doué.
D.D.

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Avignon 2019. “Music-Hall” de Jean Luc Lagarce. m.e.s. d’ Eric Sanjou.

— Par Dominique Daeshler —
Une vieille artiste et ses boys qui ont roulé leur bosse de salle des fêtes en foyers ruraux se racontent, se montrent, de l’habillage au maquillage : les faux cils, les vestes usées, les perruques, on verra tout par le menu et en même temps la scène centrale et les deux espaces loges avec leurs petits mensonges renvoyant à la réalité de l’exercice du métier dans des lieux miteux où fleurissent plus de moqueries que d’applaudissements. Dans le rôle de la Fille, Céline Pique ne manque pas d’abattage mais pourquoi tant de détails, de couleurs, de costumes ? Le spectateur devient voyeur : le kitsch s’impose à lui, effaçant la construction de la langue particulière de Lagarce qui crée un va et vient à la fois codé et grinçant. C’est dommage.
D.D.

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Avignon 2019. « Ventre » de Steve Gagnon, m.e.s. de Vincent Goethals. Cie théâtre en scène.

— Par Dominique Daeschler —
Dans le cadre de la sélection Grand Est, Théâtre en scène s’empare d’une pièce de Steve Gagnon jeune auteur québécois qui explore la séparation amoureuse d’un jeune couple. Il n’est pas si facile de faire le deuil de ses espoirs d’adolescent idéaliste, comment s’aimer sans se résigner, être guetté par l’usure et la convention sociale ? Vincent Goethals dont les créations sont très liées à l’écriture théâtrale francophone contemporaine (Québec, Afrique) est totalement à l’aise dans la saveur de la langue québécoise et le mode interpellatif de la pièce même si le spectateur y perd parfois le souffle tant le rythme et le débit sont rapides, tant les « marde » et les « tabernacle » lui tombent dessus comme autant de grêlons. Tant, pis, tant mieux, le but n’est pas de le préserver. Le décor : une baignoire, un appartement avec des bâches de protection, des éclairages de chantier, un univers sonore : tout va bouger, se mettre au rythme du jeu des acteurs et de leurs mouvements chorégraphiés dans l’amour pour affirmer l’espoir des retrouvailles.

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