— Par Danièle Linhart, sociologue, directrice de recherche au CNRS —
Au moment où la souffrance au travail s’impose comme un problème majeur, le management moderne persiste à placer, dans son discours au sujet des salariés, leur épanouissement au cœur de son projet. Un consensus nouveau serait né entre patrons et employés. Or, selon Danièle Linhart dans son dernier ouvrage, « la Comédie humaine du travail », « le drame du travail contemporain » réside précisément dans « le fait qu’il joue sur les aspects les plus profondément humains des individus », au lieu de mobiliser leurs registres professionnels. Aux antipodes du vieux taylorisme déshumanisant ? Seulement en apparence, montre ici la sociologue.
Au cours des années 1970, les directions du personnel se sont transformées en directions des ressources humaines (DRH). En 1999, le syndicat patronal CNPF (Conseil national du patronat français) a changé de dénomination pour s’appeler MEDEF (Mouvement des entreprises de France). Avec le recul, on peut y voir les prémisses du nouveau modèle managérial qui consiste à considérer les salariés, non pas tant comme des professionnels, dotés d’expérience, de règles de métier, de connaissances, mais avant tout comme des humains, des hommes et des femmes, avec leurs émotions, leurs désirs de réalisation, leurs besoins et leur fragilité, ce qui autoriserait leurs employeurs à s’approprier les entreprises: l’entreprise, c’est avant tout ses dirigeants bien plus que les salariés qui y travaillent et œuvrent en son sein.