— Par Dominique Widemann —
Le premier film de Leyla Bouzid, « À peine j’ouvre les yeux », revient sur le bouillonnement de la jeunesse tunisienne quelques mois avant la chute de Ben Ali.
«Àpeine j’ouvre les yeux/ je vois les gens privés de travail, de bouffe, d’une vie hors de leur quartier. Méprisés, dépités (…).» Ce sont les premiers vers du chant de la jeune Farah (Baya Medhaffar), accompagnée de son groupe de rock sur les scènes tunisiennes. Chant subversif des derniers mois du régime de Ben Ali quand la répression étend encore ses voiles de peur. Peur intégrée dans les cœurs et les esprits qui s’insinue dans tous les espaces de liberté, jusqu’au moindre interstice. Farah vient d’avoir dix-huit ans. C’est une jeune fille fougueuse qui dévale rues et troquets, embrasse son amoureux dans les parcs, au-delà des lisières de l’ombre. Elle obtient son bac et les siens vouent d’emblée, sinon d’autorité, à la profession de médecin cette première universitaire de la famille. Mais en cette année 2010, retour vers un futur antérieur à la révolution, Farah entend n’en faire qu’à sa tête bien pleine, aux tourbillons de ses jupes courtes, à ses lignes de résistance et aux riffs corrosifs de guitare.