« Small Axe, la série coup de poing nommée aux Golden Globes, un chef d’œuvre en cinq actes »
Steve McQueen, le réalisateur britannique oscarisé pour Twelve Years a Slave en 2013, propose, sur la plateforme Salto, une anthologie de cinq films pour raconter le racisme qu’a rencontré la communauté noire et antillaise, à Londres, des années 60 aux années 80. Dans le long-métrage qui lui a valu une réputation bien méritée, il disait déjà la descente aux enfers d’un homme noir, devenu esclave dans le Sud des États-Unis, au XIXe siècle. Aujourd’hui, il choisit avec soin cinq histoires de vie, cinq histoires authentiques de harcèlement, de racisme, de discrimination et d’injustice, mettant en scène la communauté de ces immigrés caribéens, partis de leur terre d’origine pour rejoindre l’Angleterre, et parfois aider à la reconstruire.
Télérama : En mettant en lumière des événements souvent absents des livres d’histoire britanniques, et en reconstituant avec soin les conditions de vie de la communauté caribéenne londonienne sur deux décennies, McQueen délivre une œuvre puissante, nécessaire, où l’esthétique est toujours au service du politique. Et redonne une voix à ceux que l’on a voulu faire taire.
Une œuvre à « la densité foisonnante … pour faire voler les œillères du pays »
Le premier épisode, Mangrove, conte l’histoire du harcèlement par la police de Frank Crichlow, le propriétaire du café “Le Mangrove” à Notting Hill. Un café où l’on se retrouvait pour manger, boire, écouter et jouer de la musique, reggae et calypso, exorciser pour certains le mal du pays. Les habitués pouvaient aussi débattre avec des activistes, Black Panthers et autres, au sujet de leurs conditions de vie, et du racisme systémique dont ils étaient victimes. Un racisme émanant en premier lieu des forces de l’ordre.
Dans Lover Rocks, nous voici sur une piste de danse, ouverte à celles et ceux qui n’ont pas accès aux boîtes de nuit des Blancs, et où le reggae se fait tour à tour slow torride, cri de joie et cri de guerre… Nous voici au cœur d’une fête où une jeune femme devra trouver sa place, résister au machisme, aux agressions, encaisser le départ de sa meilleure amie, pour finalement parvenir à exprimer son propre désir et à exulter, entre ivresse, sensualité, et lâcher prise… De ce volet, le réalisateur dit que c’est un film conte de fée. : « C’est inspiré par ma tante qui allait à ces “blues parties”, des soirées organisées par la population antillaise parce qu’elle n’était pas bienvenue dans les clubs de Londres. »
Red, White and Blue est l’histoire de Leroy Logan, un jeune homme brillant qui a grandi au cœur d’une famille noire aimante mais sévère, exigeante, le père faisant tout pour que son fils soit « plus anglais que les Anglais ». Il l’avait d’ailleurs prévenu : « Ne deviens pas un voyou et ne ramène jamais la police à la maison ». Autant dire qu’en ayant choisi de devenir lui-même policier, Leroy enfreint la loi paternelle… Face à la rareté manifeste des gens de couleur dans la police métropolitaine de Londres et à la violence raciste dont celle-ci fait preuve, le héros, idéaliste pragmatique, décide de se porter candidat pour y entrer, avec l’espoir de changer le système de l’intérieur.…
Alex Wheatle, avant -dernier fragment d’une vraie vie, raconte la jeunesse de l’écrivain Alex Wheatle, devenu l’auteur à succès de romans destinés aux ados. Abandonné à sa naissance, en 1963, le môme grandit en foyer, dressé à coups de baffes et d’insultes qu’on n’a pas envie de retranscrire. En d’autres temps, Dickens aurait raconté ça très bien. Le réalisateur de Hunger et de 12 Years a Slave, qui sait filmer l’univers carcéral et la brutalité, s’acquitte de cette tâche sans complaisance, avec une sobriété sèche et empathique à la fois… Le parcours d’Alex, incarcéré en raison de sa participation aux émeutes de Brixton, échappe in extremis au déterminisme, par un accès conjugué à la culture et à sa propre histoire. Édifiant ? Peut-être, mais chez McQueen, édifiant ne veut pas dire niais !
Éducation, un dernier opus, pour montrer la faillite d’un système inique… Dans une société sclérosée par ses convictions de supériorité, une ségrégation officieuse a sciemment entraîné une mise à l’écart des élèves issus de la classe ouvrière, en grande partie noirs, sournoisement “parqués” dans des établissements qui n’avaient d’école que le nom, réservés aux “sous normaux”. Le terme, insupportable, fait frémir, et fusille sans ménagement le principe fondamental d’égalité des chances proposé par tout système éducatif qui se respecte. Le but était clair : empêcher cette catégorie de la population d’accéder à des jobs autres que manuels.
Un projet artistique et politique
Steve McQueen s’est intéressé aux différentes formes que peut prendre la lutte contre le racisme dit institutionnel, et il a mis sur le devant de la scène des individus ayant décidé de se lever contre l’injustice. Il réalise avec Small Axe une anthologie extrêmement engagée, et inspirée de faits réels, qu’il a par la suite dédiée à la mémoire de George Floyd…
Imaginé il y a plus de dix ans pour la BBC, ce projet d’abord conçu comme une série est devenu un ensemble de cinq films. Small Axe est aussi, pour son réalisateur, un projet politique : « C’était un désir, un besoin et un devoir. Parce que dans l’histoire du cinéma britannique, de l’histoire britannique, les Noirs n’avaient jamais eu droit à un espace. J’avais besoin de raconter ces histoires pour remplir ce vide. Nous avons une influence immense au Royaume-Uni dans la culture, le sport, la politique, la vie de tous les jours. Des choses ont changé radicalement grâce à la population noire. »
Small axe (Petite Hache) est un titre de Bob Marley and The Wailers
If you are the big, big tree, let me tell you that / Si tu es le grand, grand arbre, laisse-moi te dire que
We are the small axe / Nous sommes la petite hache
Ready to cut you down (well sharp) / Prête à t’abattre
To cut you down / À t’abattre
Sharpened… / Aiguisée…
Fort-de-France, le 28 février 2021, compilation par Janine Bailly.