– Pour le directeur de La Tribune de l’art Didier Rykner, la destruction de deux statues de Victor Schoelcher à Fort-de-France par des manifestants relève d’une volonté idéologique de réécrire l’histoire de la lutte contre l’esclavage.
— Par Didier Rykner —
Didier Rykner est journaliste et historien de l’art français. Engagé pour la défense du patrimoine, il publie régulièrement ses enquêtes et analyses sur La Tribune de l’art.
La statue de Victor Schoelcher, que l’on pouvait voir il y a quelques jours encore devant l’ancien Palais de Justice à Fort-de-France, était due à Anatole Marquet de Vasselot. Il s’agissait, tout autant que de la célébration d’un grand homme de notre histoire, d’une œuvre d’art. Certes, cet artiste ne bénéficie pas d’une aura comparable à certains de ses contemporains comme Auguste Rodin, mais il s’agit d’un sculpteur très honorable dont les œuvres sont conservées notamment aux musées des Beaux-Arts de Lyon et d’Angers, au Petit Palais à Paris ou encore à la Maison de Balzac, écrivain qu’il a souvent représenté.
Ce préambule paraît nécessaire pour expliquer que les destructions le 22 mai dernier des deux sculptures représentant Schoelcher (nous ne connaissons pas l’auteur de la seconde, de nettement moins grande qualité, qui se trouvait dans la ville ayant pris le nom de l’abolitionniste), jetées au sol et brisées en plusieurs morceaux d’une telle manière qu’elle ne seront pas restaurables, sont en réalité des actes de vandalisme guère différents de ceux qu’on a connus encore récemment en Syrie et en Iraq, qui ont touché des chefs-d’oeuvre mais également des objets plus courants et moins importants. Pour les vandales, seul compte le symbole. Les œuvres d’art ou le patrimoine historique n’ont aucune espèce de valeur.
Les nouveaux censeurs sont persuadés de détenir la vérité et d’être les gardiens de la vertu.
On a connu, ces dernières années, de nombreuses velléités de destruction ou, au mieux, de volonté de faire disparaître de l’espace public des représentations de personnages controversés. Les nouveaux censeurs sont persuadés de détenir la vérité et d’être les gardiens de la vertu. Ils ne supportent pas la complexité propre à toute vie humaine et ne conçoivent l’existence que comme un combat permanent du bien absolu (eux) et du mal absolu (tout ce qui n’est pas eux). Plus grave encore, ils veulent juger l’histoire à l’aune d’aujourd’hui, refusant de comprendre qu’on ne peut modifier l’histoire et que l’essentiel est de la comprendre pour éviter le retour de ce qu’elle a engendré de pire.
Ce qui s’est passé à Fort-de-France et à Schoelcher va néanmoins encore plus loin. Quand certains sont outrés de voir des effigies de Colbert sous prétexte que celui-ci est à l’origine de la légalisation de l’esclavage, d’autres s’attaquent désormais à celui qui, au contraire, l’a aboli. Ces nouveaux vandales sont donc des racistes à tendance fascisante? Pas du tout: ce sont, peu ou prou, les mêmes. Dans un constat bien connu qui veut que les extrêmes finissent toujours par se retrouver, il s’agit d’activistes marqués très à gauche, qui considèrent que Victor Schoelcher n’aurait agi que par intérêt personnel, et qu’il n’était donc pas assez antiraciste. Le célébrer (comme si des sculptures vieilles de plus d’un siècle constituaient encore une célébration) serait donc intolérable, ce qui justifierait leur destruction.
Même Aimé Césaire qui a rendu un vibrant hommage à Victor Schoelcher ne trouverait plus grâce à leurs yeux.
À ce degré de réflexion (terme bien mal choisi, j’en conviens), il est clair que plus aucune œuvre d’art, plus aucune sculpture, plus aucune peinture représentant un personnage historique ne pourra désormais être tolérée. Car quels hommes ou quelles femmes ont été vertueux toute leur vie, dans le moindre de leurs actes? Surtout si la vertu consiste uniquement à penser comme nos nouveaux censeurs voudraient que l’on pense. À ce compte donc, même Aimé Césaire ne trouverait plus grâce à leurs yeux, lui qui rendit un vibrant hommage à Victor Schoelcher, déclarant notamment: «Contre la propension à la tyrannie, il y a un antidote: l’esprit de Victor Schoelcher. Contre le préjugé et l’injustice, il y a un antidote: l’esprit de Victor Schoelcher».
La suite n’est pas difficile à deviner. Si nos prédécesseurs sont condamnables car ils n’avaient pas toutes ces vertus exigées par nos nouveaux Savonarole, nous le sommes encore davantage, nous qui ne pensons pas comme eux. Derrière ce vandalisme se cache en réalité une volonté totalitaire de contrôler les pensées et les actes de tout ceux qui oseraient s’opposer à leur vision de l’existence. Ces antifascistes, ces antiracistes autoproclamés sont les pires fascistes et racistes que l’on ait vus depuis longtemps. Ils doivent être combattus pied à pied.
Source : LeFigaro.fr