C’est la première création de Stanislas Nordey depuis qu’il a pris la direction du TNS. Avec la complicité active du dramaturge allemand Falk Richter. Je suis Fassbinder fera date.
Strasbourg (Bas-Rhin),envoyée spéciale.
C’était le spectacle que l’on attendait. Un spectacle manifeste. Un spectacle qui n’a pas froid aux yeux, qui prend l’actualité brûlante à bras-le-corps, la décortique, l’interroge, cherchant avec effervescence, avec entêtement, des ébauches de réponses à une multitude d’interrogations, d’incertitudes, de doutes. L’Europe, les réfugiés, Merkel, les attentats, Cologne, l’état d’urgence… Comment en est-on arrivé là ? C’est quand qu’on va où ? Pour sa première création au Théâtre national de Strasbourg, dont il est directeur depuis septembre 2014, Stanislas Nordey a travaillé avec Falk Richter, son « frère de théâtre », auteur, metteur en scène, artiste associé au TNS mais aussi à la Schaubühne de Berlin. Ensemble, ils ont imaginé Je suis Fassbinder, un théâtre qui parle d’aujourd’hui en temps réel, sans passer par la case répertoire et toquer à la porte des maîtres anciens pour évoquer notre présent. Falk Richter a écrit sur le vif, dans cette urgence de raconter, de tenter de démêler les fils de notre époque, sacrément emmêlés, les fils… Et ils sont tombés d’accord sur Fassbinder, Rainer Fassbinder. Il fut l’une des figures de proue de la scène artistique allemande et européenne des années 1970, un artiste qui ne prenait pas de gants pour dénoncer les tabous et les non-dits de la société allemande, la présence de l’idéologie nazie dans un pays qui n’avait pas hésité à réintégrer dans les rouages de l’industrie comme de l’administration quelques-uns des dignitaires du Troisième Reich. En toute discrétion. Dans ces films, que ce soit les Larmes amères de Petra von Kant, Tous les autres s’appellent Ali, le Mariage de Maria Braun, Fassbinder révèle les soubassements de l’idéologie présente jusque dans les rapports intimes où la femme, l’étranger, l’homosexuel sont méprisés, maltraités, humiliés.
Comment résister à cette vague ? Comment redonner du sens quand tout est confusion ?
Mais c’est principalement à partir du canevas de l’Allemagne en automne que Falk Richter et Stanislas Nordey ont conçu Je suis Fassbinder. Dans ce film, le dialogue d’une violence inouïe entre le réalisateur allemand et sa mère revient sur le délitement de la société allemande, le glissement progressif de l’idéologie nazie vers l’idéologie libérale. La question du terrorisme alors se pose. La Fraction armée rouge (Die Rote Armee) revendique des attentats contre des institutions et des bâtiments militaires américains. La police allemande est sur les dents. L’état d’urgence est déclaré. Quarante ans après, c’est cette même question de la restriction des libertés dans l’espace public au nom de « l’éradication » du terrorisme qui nous est posée. Dans quelle mesure peut-on dénoncer ces mesures coercitives sans être accusé d’être pro-terroriste ? La marge de manœuvre est plus qu’étroite. Quand Manuel Valls déclare sans vergogne après les attentats du 13 novembre au Bataclan que tenter d’expliquer, c’est déjà excuser… Et puis il y a eu Cologne, ces centaines de femmes sexuellement agressées. Que s’est-il passé le 31 décembre 2015 ? Pourquoi, comment ces hommes ont-ils pu agir ? Chaque année, lors des fêtes de la bière, des femmes allemandes sont violées derrière les stands sans que cela n’émeuve ni la police, ni la presse, ni les journalistes, rappelle Falk Richter. Est-ce parce qu’ils sont arabes ? Est-ce à cause de ce climat malsain entretenu sur la question des réfugiés et le choix de Merkel de les accueillir que, soudain, tous les yeux se sont braqués sur cette nuit terrible ? En Allemagne, l’extrême droite passe à l’acte. Des groupuscules nazillons incendient des foyers de réfugiés. En France, en Pologne, en Hongrie, dans toute l’Europe, les populistes et autres nationalistes ne prêchent plus dans le désert. Jouant sur la peur, toutes les peurs, ils engrangent des bénéfices, qu’ils soient électoraux ou non…
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