— Par Selim Lander —
Deux commandes du New York City Ballet (datant respectivement de 2013 et 1997) au maître aixois, remontées pour notre plus grand plaisir avec des danseurs de sa compagnie. La première pièce est inspirée de l’histoire des sorcières de Salem, condamnées sur la foi d’une « preuve spectrale ». Les robes blanches des quatre danseuses sont marquées dans le dos d’une tache de sang en témoignage de leur supplice, tandis que les quatre danseurs sont revêtus du costume noir à col ecclésiastique des inquisiteurs. Le dispositif scénique est aussi simple qu’efficace : une longue table qui se divise en quatre plans inclinés, lesquels à la fin, retournés et redressés, deviendront les brasiers où brûlent les sorcières. Il faut tout de suite souligner la qualité particulièrement remarquable de l’éclairage constamment centré sur les seuls danseurs, qui laisse tout le reste du plateau dans la pénombre. Et même si la musique de John Cage n’est pas une surprise dans la danse contemporaine, elle apparaît ici en parfaite adéquation avec le propos, en particulier le morceau où elle se résume à une série de souffles. Mais s’il fallait résumer d’un mot cette pièce, c’est le mot élégance qui viendrait en premier, bien avant celui de tragédie ou de drame. C’est en tout cas celui qui s’impose au spectateur abordant ce ballet avec un œil neuf, sans avoir consulté la notice explicative distribuée à l’entrée : sans doute la meilleure méthode pour apprécier une œuvre, ce qui n’empêche pas, a posteriori, de relire la pièce à la lumière des explications fournies. On découvre alors, en effet, une certaine brutalité dans les corps à corps des danseurs et des danseuses, pas nécessairement perceptible au premier regard. On s’explique également pourquoi le seul pas de deux de la pièce tombe parfois dans la trivialité.
Changement total d’atmosphère avec La Stravaganza. Au début, six des huit danseurs de la pièce précédente entament une danse joyeuse aux accents du concerto n° 8 de Vivaldi. Les filles sont vêtues d’une robe blanche vaporeuse, les garçons également en blanc. Ils sont tous comme des elfes s’ébattant joyeusement et sans contrainte. L’impression est renforcée lorsqu’apparaissent les six autres danseurs, vêtus à la mode du XVIIe siècle, tels des nobliaux de province. Toute la pièce joue sur ce contraste. À cause en particulier des costumes, mais encore parce que son objectif évident est d’amuser, elle évoque irrésistiblement un divertissement donné à la Cour en présence du roi, au Grand Siècle. On a noté comme particulièrement drolatiques la sortie de l’un des « nobles » qui enchaîne les révérences ou les couples formés par ces mêmes « nobles » s’exerçant pesamment à danser sur un fond sonore de coups de canon.
Si le chorégraphe n’a pas cherché dans ces deux pièces à impressionner par des actions acrobatiques, on est séduit comme à l’accoutumé par la maîtrise des danseurs, la synchronisation parfaite. Spectral Evidence et La Stravaganza furent présentées naguère au public aixois dans le cadre plus resserré du Pavillon noir. Le passage à la scène bien plus vaste du GTP leur donne une autre ampleur sans rien leur ôter de leur séduction.
Ballet Preljocaj, Spectral Evidence et La Stravaganza, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, du 19 au 21 octobre 2017.