— Par Dégé —
C’est l’ami Bernard Maris qui dans son Houellebeck économiste1 m’a convaincue de refaire l’effort de lire ce pénible auteur. Et grâce à son regard bienveillant, cette fois le narrateur, malgré sa sexualité si obsédante et si typiquement masculine, paraît émouvant à plusieurs titres.
Au début du roman, François (Tiens ?) semble se débattre contre une sorte de vision autiste du monde qu’il n’arrive à percevoir, ainsi heureusement atténué, qu’à travers le filtre de l’œuvre de Huysmans dont il est devenu « le » spécialiste universitaire. Sa souffrance vient non seulement de ses relations difficiles avec les femmes, du déni de ses affections, mais du fait que son intelligence remarquable l’éloigne de la plupart des hommes. Ainsi, comme à contre courant, il devine que les équilibres politiques de la France vont être pulvérisés. De fait le leader de la Fraternité musulmane, Ben Abbès, gagne les élections. L’enquête, comparable et parallèle à celle personnelle de Huysmans, mène François à interroger des représentants politiques, des intellectuels, des religieux, et même un espion car l’humour n’est jamais loin… Il serait plus juste de parler de quête car, au-delà des valeurs temporelles, les intemporelles importent au point d’être une tentation. L’extase religieuse comme repos du guerrier. Notre héros combatif la refoule douloureusement, mais pendant combien de temps résistera-t-il : imbécile heureux ou intelligent malheureux ? Cruelle lucidité. Il interroge, s’interroge. Pour nous aussi. Nous souffrons avec et pour lui. Et l’inquiétude, celle qui nous empêche d’être en paix, est source d’un étrange suspens fondé non pas sur l’événementiel ou le psychologique (que va-t-il (lui) arriver ?) mais sur de la métaphysique. (Voltaire, ô Voltaire, pourquoi l’as-tu abandonné !).
Selon Rédiger, ministre du Président Ben Abbès, « le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue (…) de l’homme à Dieu, telle que l’envisage l’islam». L’avantage indéniable de cette religion est que, grâce à la polygamie, elle ne garantit pas seulement au paradis les jeunes vierges.
La fin du roman est terrifiante : le narrateur regarde avec étonnement Loiseleur (Tiens, tiens !?) son vieux et répugnant collègue de la Sorbonne qui va être intronisé professeur de l’Université Paris IV : nouveau marié et converti, ce chercheur émérite et célibataire endurci nage dans le bonheur de la soumission. Le narrateur le regarde et c’est son portrait, c’est son reflet futur dans le miroir. Demain ce sera son tour d’être reconnu et encensé. Demain. Et ce futur, décrit magistralement au conditionnel, nous renvoie alors à notre propre fin, à notre propre indécision, à notre propre choix. Michel Houellebeck est un auteur malin i.e. diabolique : au moment de nous apporter sa réponse, il retourne brutalement le miroir et nous renvoie la question.
Dans le roman également de science fiction, L’Esclave2, de Michel Herland les jeux sont faits depuis longtemps et dans le village où se sont regroupés les derniers « résistants » la colère a disparu dans son nom retroussé, « Ercol ». La soumission règne, il n’y a plus de place pour l’humour. Sinon que le vivier de leurs étudiantes semble vouloir être éternel aux désirs des universitaires. Les convertis comme les tenants de l’islam sont rarement sympathiques. La leçon de ce roman, paru en premier, devient l’illustration de la sanction des lâches. La soumission proposée par Houellebeck, douce et séduisante, pernicieuse et sournoise, souhaitable et désirable … ? De fait une réflexion nécessaire.