Retranscription : Isabelle Aubert-Baudron
Christophe Dejours, vous êtes psychiatre, titulaire de la chaire de psychanalyse santé travail au Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris, vous êtes responsable de l’équipe psycho-dynamique du travail et de l’action, vos travaux portent donc sur la souffrance au travail, en cause selon vous le tournant gestionnaire des années quatre-vingt, qui a donné une emprise de plus en plus importante à l’évaluation individualisée des performances, au contrat d’objectifs, résultat un collectif atomisé, vous êtes donc parfaitement dans le thème de cette semaine.
Alors tout d’abord, Christophe Dejours, une première question,une question rituelle: à la lumière de vos travaux, dans quelle mesure assiste-t-on, selon vous à une crise du collectif, et à quelles conditions pourrait-on en sortir pour donc refaire l’histoire ?
Christophe Dejours: En une seule réponse ?
France culture : On a trente-cinq minutes.
CD: Oui, je pense que le travail est un bon analyseur de la situation. C’est effectivement dans les dernières décennies que des transformations importantes ont été introduites dans des méthodes d’organisation du travail, et que ces méthodes ont une incidence majeure justement sur la vie du collectif. Alors comme j’en ai déjà beaucoup parlé, que j’ai beaucoup écrit, je vais être très bref, mais ça tourne autour de l’introduction, disons principalement, parmi ces nouvelles méthodes, une des trois qui est l’évaluation individualisée des performances. Donc cette évaluation individualisée des performances s’est généralisée en quelques années, et modifie complètement les rapports des individus entre eux, parce qu’elle crée la concurrence évidemment entre les services, entre les départements, entre les entreprises, mais aussi maintenant elle crée la concurrence généralisée entre collègues. Si, à cette évaluation individualisée des performances, vous ajoutez une menace, ce qui est fréquemment le cas, c’està-dire que si votre évaluation n’est pas au niveau de celle de vos collègues, hé bien vous serez prioritaire pour une pénalisation, éventuellement pour une sanction, et donc la concurrence devient très vite déloyale entre les gens, tous les moyens sont bons. Ces modifications très radicales des relations du collectif dans la mesure où le succès de votre collègue, aujourd’hui, c’est mauvais pour vous. Donc vous n’avez pas intérêt à ce que votre collègue réussisse, puisque ça annonce en quelque sorte votre propre précarisation. De sorte que tous les coups bas sont permis: la rétention d’information, les fausses rumeurs, et donc les gens se considèrent maintenant comme à la fois des adversaires, quelquefois des ennemis, et en même temps, ils se préoccupent de l’efficacité vis-à-vis de la performance, et souvent sont amenés, pour obtenir une telle performance, quantitative, parce que ces méthodes d’évaluation sont toutes quantitative, objectives, et passent par un mesurage, et donc pour obtenir la performance en quantité, ils bradent éventuelle la qualité. Tout ceci détériore les relations, les gens sont à la fois donc dans des relations d’hostilité, mais aussi ils sont très seuls. C’est cette solitude aussi qui est vraiment un des éléments neufs de la situation.
F. C. : On peut peut-être le préciser donc cette évaluation individualisée des performances, comment elle se met en place concrètement ? Vous parlez de critères objectifs, mais ça doit varier quand même malgré tout en fonction des métiers. Est-ce que vous pouvez nous décrire par exemple un processus de ces mesures d’évaluation, et sur quoi ça porte essentiellement , pour ceux qui n’auraient pas eu la chance de ne pas avoir affaire à ça ?
CD : Aujourd’hui, ça passe beaucoup par l’utilisation d’un outil, c’est-à-dire d’un instrument, d’un objet technique matériel, qui est l’ordinateur, ou le terminal d’ordinateur, dans lequel vous devez introduire toutes les données relatives à votre travail pendant que vous travaillez, vous devez signaler les erreurs que vous faites; même sur une chaîne de montage automobile aujourd’hui les ouvriers doivent signaler quand ils font une erreur, parce qu’avec la marque informatique qui est absolument partout, on retrouvera forcément leur trace. C’est ce qu’on appelle la traçabilité. Et du coup, s’ils ne se sont pas dénoncés avant qu’on le trouve, ils seront sanctionnés, donc il faut qu’ils se dénoncent. On passe si vous voulez d’un système qui autrefois était un contrôle exercé par l’encadrement, par la hiérarchie, par les contremaîtres, par les régleurs, par les chronométreurs, tous ces gens-là ont disparu. C’est l’ordinateur qui vous contrôle, qui sert un peu de boite noire, si vous voulez, de mouchard, comme on dit dans l’aviation, mais c’est vrai pour tout le monde. Donc il enregistre tout ce que vous faites, tout ce que vous ne faites pas, tout ce que vous ne faites pas bien, et du coup vous êtes dans un système où vous êtes contrôlé par l’appareil que vous-même vous remplissez. C’est ce qu’on appelle l’auto-contrôle. Mais l’auto-contrôle, c’est un changement, du point de vue psychologique, c’est un changement radical, complet, parce que maintenant vous êtes tout seul, vous êtes vous-même votre propre policier, alors qu’autrefois on était face à un contremaître, mais ensemble, collectivement, donc c’est un changement très important. Donc ça passe beaucoup par l’ordinateur.
F. C. : Voilà… Effectivement, même dans les entretiens les pus simple, on vous demande « Qu’est-ce que vous pouvez améliorer, quels sont vos problèmes, qu’est-ce que vous faites mal ? » C’est la question qui est posée, soi-même devant être la personne qui vient se corriger.
CD :Oui, c’est exact. C’est-à-dire qu’en réalité le système ne fonctionne pas que sur l’analyse et la quantification des performances, il repose également en amont sur un contrat d’objectifs. Donc c’est objectifs des performances, lesquels objectifs sont fixés par le gestionnaire et les performances sont mesurées finalement et jugées par le gestionnaire, et entre les deux il y a toute la question du travail, mais là, le gestionnaire n’en veut rien savoir et ne voit que « objectifs-résultats », « objectifs-performances », et vous êtes pris là-dedans maintenant de façon très seul, c’est-à-dire que vous ne pouvez pas vous faire aider. Donc je pourrais vous raconter des quantités de situations dans lesquelles la solidarité, l’entraide, le respect de l’autre, la prévenance, tout ça a fondu sous l’effet de l’évaluation individualisée, ce qui fait que vous avez des gens qui travaillent dans des open-spaces, ils sont à deux mètres l’un de l’autre, mais ils ne se parlent plus.
F. C. : Ils s’envoient des mails éventuellement.
CD : Voilà, et donc quand ils ont une question à poser, quand ils ont un renseignement à demander au voisin, qui est un autre ingénieur qui travaille également , par exemple au technocentre de Billancourt, chez Renault, où il y a eu des suicides parmi ces ingénieurs, vous avez un ingénieur qui a besoin d’un renseignement qu’il doit demander à son collègue à côté, mais comme il n’a aucune raison de l’aider, alors il va lui envoyer un mail . De toutes façons ils ne se disent plus bonjour depuis longtemps et ils ne se disent pas au revoir, ils ne se parlent plus. Donc il pose la question par mail et en plus, il balance sa question à quarante personnes, pour avoir des témoins et des traces qu’il a bien demandé. Donc l’autre est maintenant obligé de répondre puisque… voilà.
F. C. : Mais comment se fait cette bascule finalement entre l’évaluation quantitative au lieu d’une évaluation qualitative, ce que vous venez de décrire, à ce que vous décrivez aussi, c’est-àdire la perte de qualité finalement des rapports humains, puisque finalement, en quoi remplir des fiches d’objectifs empêche de dire bonjour à son voisin ou de lui parler directement quand il est à côté de vous ?
CD : Ce n’est pas les objectifs qui vous empêchent de parler avec votre voisin, c’est le fait que vous êtes en concurrence l’un avec l’autre et que vous n’avez plus intérêt à ce que votre voisin réussisse. Autrefois dans une équipe, quand il y avait un travail collectif, le succès d’un collègue, c’était un succès pour toute l’équipe. Donc tout le monde se réjouissait, tout le monde le fêtait ensemble. J’ai connu, je ne vous raconte pas des choses qui datent de Mathusalem, c’est des choses que j’ai connues quand j’étais plus jeune, quand je travaillais, le succès d’une équipe de recherche, un d’entre nous était honoré par un prix ou par…, voilà, une gratification, donc tout le monde le fêtait ensemble. C’était pour l’équipe, c’était une joie. Bon, bien sûr qu’il y avait toujours des amertumes, mais parce qu’il ne faut tout de même pas enchanter le monde a posteriori, mais ça n’allait pas du tout l’emporter et ce qui l’emportait, c’était le succès d’une participation à une œuvre collective, et toutes les gratifications, elles avaient toujours un caractère collectif, elles étaient vécues et appréciées comme quelque chose de collectif. Bon, aujourd’hui, c’est fini, vous n’avez pas du tout… il faut apprendre à marcher sur les pieds de votre voisin, à montrer que vous êtes plus fort que lui, que vous le disqualifiez d’une certaine façon par la puissance de vos propres performances, et c’est comme ça que vous obtenez une promotion dans le monde de la recherche. La recherche elle-même est atteinte par ça.
F. C. : Ce que vous décrivez, en définitive, c’est la fin de la coopération au profit de la coordination, c’est-à-dire le succès des donneurs d’ordre contre la coopération qui oblige finalement quand on travaille, à parfois dépasser un peu les ordres, les oublier, les détourner, et finalement on a une approche mécanique aujourd’hui du travail, c’est ça que vous décrivez.
CD :L’essentiel, c’est que dans ce mouvement d’individualisation, où la solitude et la peur se sont installées dans le monde du travail, dans l’ombre de la performance individuelle se dégrade la performance collective. Notamment ce qu’on appelle la coopération de Keter, une production, une construction sociale extrêmement raffinée, d’ailleurs bouleversante et passionnante, et qui vient se substituer aux ordres, les ordres qui sont donnés par la direction pour que les gens travaillent ensemble, ce sont des ordres, ce sont des consignes, on divise les tâches, on les répartit entre les personnes, c’est un ensemble d’ordres et de prescriptions. Mais on peut montrer que jamais les gens ne font ce qui est prescrit. Même dans une armée par exemple, où on est pourtant dans un système extrêmement disciplinaire, où l’obéissance aux ordres est vraiment la qualité fondamentale, hé bien dans l’armée, si les gens s’en tenaient à obéir aux ordres, ce serait une armée vaincue. Dans l’armée-même on dit : « Il faut interpréter les ordres ». Bon, qu’est-ce que ça veut dire, « interpréter les ordres »? Et surtout, qu’est-ce que ça veut dire, les interpréter collectivement ? Il faut donc qu’ensemble on arrive à une intelligibilité commune de ce que sont ces ordres, et de la manière de tricher ensemble avec ces ordres, pour les rendre efficaces, et c’est ça qu’on appelle la coopération, et tout le processus de construction de la coopération, qu’on connaît bien maintenant, est ruiné là par cette nouvelle forme d’organisation du travail. Donc dans l’ombre de la performance individuelle, en réalité on perd toute une partie, non seulement de la qualité du travail, c’est le cas du travail collectif, mais on perd la qualité du vivre ensemble.
F. C. : La question se pose quand même de savoir quel est l’intérêt précisément des gens qui dirigent l’entreprise, par exemple de détruire ainsi ce que vous dites, est-ce que ce n’est pas aussi au dépend de ce que l’entreprise fabrique ? Comment expliquer qu’on en soit arrivé là et que tout le monde soit pris dans cette sorte d’idéologie indépassable ? Christophe Dejours ?
CD : L’intérêt, pour les gestionnaires et pour les dirigeants, est massif dans un premier temps, et il est un calcul tout à fait efficace ; c’est-à-dire, depuis toujours, dans toutes les formes d’organisation du travail, on a le vœu de contrôler, de pouvoir contrôler chaque individu isolément des autres. Ça n’a jamais été possible en dépit de, enfin il y a eu des méthodes quand même déjà très efficaces, comme le système Taylor, qui est également un système d’individualisation, mais Taylor n’avait pas réussi à aller aussi loin que ce que permet aujourd’hui l’évaluation individualisée des performances. Donc la division des gens est souhaitée par les dirigeants d’entreprise, parce que c’est une condition de la paix sociale : casser le collectif , c’est aussi casser la coopération certes, mais l’avantage, c’est que vous cassez aussi la coopération dans la lutte, ou la coopération dans la protestation, ou la …
F. C. : En quoi vous êtes intéressé finalement par le contrôle et la maîtrise, alors que vous êtes quand même essentiellement quelqu’un qui doit produire quelque chose, donc logiquement on devrait être intéressé par le but, pas uniquement par le fait de maîtriser les gens qu’on dirige ?
CD : Vous avez raison, mais toute organisation du travail est toujours double : d’un côté elle est structurée par des préoccupations techniques et des préoccupations d’efficacité dans la répartition des tâches entre les différentes personnes, donc là c’est ce qu’on appelle la division technique du travail, mais après il faut s’assurer que les gens font bien ce qu’on leur a dit, et donc il y a tout un système de contrôle, de surveillance, de hiérarchie, de commandement, qui ne cesse de surveiller les gens pour qu’ils fassent bien ce qui a été prévu. Et c’est ce système qui aujourd’hui a connu une amplification, une amélioration on pourrait dire du point de vue des gestionnaires qui est considérable, à partir de ce qu’on a appelé « le tournant gestionnaire », mais dans l’ombre évidemment on a cassé la coopération, le vivre ensemble. Donc on perd du côté de la coopération, on perd aussi en qualité, on perd en sécurité, on perd en sûreté, notamment pour les installations dangereuses comme le nucléaire, ou comme la chimie. Le collectif, c’est un élément fondamental de la qualité du travail et de la sécurité des personnes, et enfin de la sûreté des installations. Parce que quand les gens travaillent individuellement, je peux vous en donner un exemple très précis, c’est chacun d’entre nous, dans le travail ordinaire, est amené à faire des erreurs. Nous faisons tous des erreurs, pour un certain nombre de raisons que je ne vais pas analyser là, mais c’est comme ça. Le collectif, quand existe une vraie coopération et un vrai vivre ensemble, c’est les gens qui, les uns les autres, s’entraident, se rendent compte que le collègue a fait une erreur et la corrigent quelquefois spontanément, ou bien se trouvent eux-mêmes devant une difficulté, posent la question au voisin en disant : « Mais je ne comprends pas ce qui m’arrive. », et c’est à ce moment-là que l’autre se rend compte, par la question de son collègue, que lui-même vient de faire une erreur. Donc le jeu du collectif est un moyen de contrôler les erreurs, et surtout de les corriger collectivement avant qu’elles n’aient toutes les conséquences désastreuses qu’elles pourraient avoir, que vous ne pouvez pas remplacer, s’il n’y a pas le collectif. Donc il y a une augmentation des erreurs. Voilà un des problèmes qui se trouvent dans les appareils de santé aujourd’hui, les institutions de santé, il y a plus d’erreurs qu’il n’y en avait autrefois, si vous allez dans le nucléaire, il y a plus d’erreurs qu’autrefois, et partout où on se penche sur l’analyse du travail aujourd’hui, le nombre d’erreurs s’accroît, tout simplement parce qu’on ne bénéficie plus du regard croisé de la coopération, et voilà.
F. C. : On a évoqué ce tournant gestionnaire, Christophe Dejours, vous l’avez évoqué plusieurs fois, des années quatre-vingt, et pour comprendre ce qui se joue là véritablement, est-ce qu’il ne faut pas aller chercher du côté d’un phénomène, c’est-à-dire la séparation finalement entre la qualification technique des dirigeants et leur capacité à diriger. Ce que je veux dire par là, c’est que est-ce qu’on n’a pas perdu aussi une certaine qualification technique des personnes qui sont amenées à manager, à être des managers aujourd’hui ?
CD : Oui, vous avez entièrement raison. Ça fait partie effectivement de ce tournant gestionnaire, ça fait partie de la doctrine du tournant gestionnaire, c’est dans la hiérarchie, c’est voulu. Et on voulait, pour avoir des gens qui soient plus efficaces dans le contrôle, qu’ils ne connaissent pas, c’est-à-dire qu’ils soient ignorants du contenu-même du travail. Parce que dès qu’on entre dans la matérialité du travail, c’est-à-dire les difficultés, ce qu’on appelle le réel, c’est-à-dire ce qui se fait connaître à celui qui travaille par sa résistance à la maîtrise, quand on commence à entrer dans l’analyse du travail proprement dit comme on le faisait autrefois, alors il faut négocier avec celui qui travaille, parce qu’il va avoir besoin d’un délai supplémentaire en disant « Non, je ne peux pas, parce qu’il faut que je fasse trois essais pour vérifier que ça marche bien », donc il négocie en fonction de son savoir-faire. Si vous partagez le même savoir-faire que lui, parce que vous avez vous-même été à cette place avant de monter dans la hiérarchie, si vous avez une vraie connaissance du métier, vous êtes vulnérable à la discussion. Donc on a volontairement remplacé les gens de métier dans les hiérarchies par des gens qui avaient une formation de gestionnaires ignorant tout du travail. Parce que dans les formations de gestion, les formations de commerce, les écoles de commerce, on apprend la gestion, mais pas le travail, et on apprend aux nouveaux gestionnaires et aux nouveaux managers à ne pas négocier, à ne pas entrer dans la matérialité du travail. Ça fait partie de la doctrine, et même la doctrine, elle a voulu à certains moment que les anciens, c’est-à-dire ceux qui sont dans des postes d’« exécution », entre guillemets « exécution », parce qu’en réalité c’est des gens qui ont le savoir-faire, donc ils n’exécutent jamais, ils remanient. Ces gens-là, comme ils connaissent le métier, ils sont tout le temps en train de contester les contrats d’objectifs, et aussi l’analyse de la performance, de sorte qu’on a lancé, hein, souvent, dans beaucoup d’entreprises, y compris dans le service public, des campagnes où il fallait se débarrasser des gens qui avaient quarante-cinq, cinquante ans, parce qu’eux, ils étaient le noyau de résistance. Vous voyez de nouveau on retrouve ce problème de la domination, une organisation du travail, elle est toujours en même temps une technologie de la domination, et quand les gens savent leur métier et le connaissent bien, évidemment ils discutent. Donc les managers dont vous parlez aujourd’hui, on a remplacé les contremaîtres, on a remplacé la hiérarchie de proximité d’autrefois par des bacs plus deux, puis des bacs plus trois, bacs plus quatre, gestion, qui, eux, sont très dociles vis-à-vis de la direction de l’entreprise, et sont absolument intolérants à toutes les contestations qui viennent du côté du travail proprement dit.
F. C. : Vous mettez le doigt aussi sur ce que vous avez appelé la disparition des métiers, et ce qui provoque cette souffrance au travail en partie, c’est précisément le fait que les gens qui travaillent ne sont plus considérés pour la manière dont ils pourraient être compétents dans leur métier très concrètement. Et c’est une façon de casser le collectif, parce qu’il n’y a plus de métiers, mais c’est aussi une façon de désengager les gens du travail et de provoquer la souffrance, c’est un phénomène que vous avez beaucoup étudié.
CD : Oui, dans de très nombreuses situations de travail, le privilège qui est accordé à la performance quantitative conduit les gens à brader la qualité du travail. On va traiter le nombre de dossiers. Je peux le prendre dans la police, ou je peux le prendre dans les allocations familiales, ou dans les impôts, il faut faire le nombre de dossiers, puisque ce qu’on mesure, c’est le nombre de dossiers traités, mais pas la façon dont il est traité. Même dans la justice aujourd’hui on a introduit l’évaluation individualisée, on traite le nombre d’affaires en nombre, et non pas en qualité. De sorte que, même pour le juge, on est dans des situations, pour le magistrat, dans des situations très paradoxales, où pour faire le chiffre, il va brader la qualité du jugement, de l’instruction du dossier, et surtout de la délibération, parce que vous savez, il y a une délibération au moins à trois magistrats pour prendre une mesure. Là maintenant ils le font tout seul, chacun, parce qu’il faut faire du chiffre. Dans la police, c’est la même chose, on retrouve le même problème. Alors la qualité du travail se dégrade, et ça a une incidence majeure sur le plan psychologique, c’est que, que vous soyez juge, que vous soyez policier, que vous soyez infirmier ou médecin, ces gens là, ils ont un rapport à leur travail, dont la qualité dépend beaucoup de leur engagement personnel, de l’engagement de leur personnalité toute entière, d’une vie entière souvent au service du travail. Et quand ils sont amenés, au nom des quantités, à finalement dégrader la qualité de leur travail, ces gens-là font des choses qui sont contre leur sens moral, contre ce qu’ils jugent bien, juste, équitable, etc.
F. C. : Vous avez parlé de violence éthique.
CD :Et c’est comme ça qu’on arrive à ce problème de la souffrance éthique, c’est-à-dire d’accepter finalement d’apporter son concours à des actes que moralement on réprouve. Et ça, c’est une nouvelle souffrance qui s’est introduite aussi par le truchement de l’évaluation individualisée des performances.
F. C. : Christophe Dejours, ce sujet dont on parle aujourd’hui a été très présent en 2009, au moment des vagues de suicides, aujourd’hui à France Télécom sur les lieux de travail, aujourd’hui, c’est vrai qu’il est moins présent. Pourtant il y a un web-documentaire que je voudrais signaler quand même, qui est en ce moment disponible, notamment sur le site du Monde.fr, qui s’appelle « Le grand incendie »de Samuel Bollendorff et Olivia Colo, où on apprend ce chiffre absolument hallucinant, du fait qu’il y a une personne qui s’immole par le feu tous les quinze jours aujourd’hui en France. Alors ce n’est pas toujours pour des raisons de souffrance au travail, mais très souvent on entend des témoignages dans ce web-documenaire, des témoignages poignants de gens qui racontent ce que vous décrivez, c’est-à-dire cette séparation entre les objectifs, et, comment dire, la satisfaction d’un travail bien fait, pour le dire vite. Comment vous expliquez que ce sujet soit si vite sorti finalement des préoccupations communes ?
CD : Écoutez, là je serais peut-être plus nuancé que ce que vous en dites: effectivement en 2009, les choses ont changé, les journalistes ont commencé à prendre vraiment au sérieux cette question du suicide au travail et s’en sont vraiment occupés, et donc une fois qu’ils l’ont en tête, ils ne la lâchent plus, donc on a quand même encore pas mal d’apparitions dans les média de cette question, et puis surtout elle diffuse pas seulement dans les média, mais elle diffuse dans la culture en général, en particulier dans le cinéma, dans le théâtre, le nombre de pièces de théâtre qui traitent des problèmes aujourd’hui de souffrance au travail est considérable, même dans la littérature vous avez des romans qui sortent. Si vous voulez, il y a toute une sensibilisation de l’espace public, cette fois-ci dans la culture elle-même, où ces questions sont au contraire beaucoup plus présentes qu’elles ne l’étaient par le passé, et de surcroît, je pense qu’il n’y a pas seulement les média, les journalistes à qui effectivement je dois beaucoup personnellement, parce qu’ils ont relayé ces questions et maintenant les portent quand même beaucoup plus que par le passé. Il y a la culture dont je viens de vous parler, et puis il y a les juristes, parce que les juristes ont beaucoup évolué, enfin, commencent à évoluer beaucoup, un certain nombre d’entre eux ont évolué considérablement. Ils ont appris ce que c’était que le travail, et du coup dans les procès qui portent sur la souffrance au travail, voire sur le suicide au travail, on a des jurisprudences, puisqu’il y a d’abord des jugements en première instance, puis en appel, puis finalement qui sont jugés en cassation, et là c’est extrêmement impressionnant, on a plusieurs arrêts de cours de cassation qui étaient impensables il y a dix ans et qui aujourd’hui quand même constituent des avancées énormes, si vous voulez, des points d’appui considérables pour pouvoir poser ces problèmes, non seulement du travail et de son organisation, mais aussi du vivre ensemble dont nous parlions, et aussi de la coopération…
F. C. : De poser des problèmes, de parler des problèmes, Christophe Dejours, mais on a quand même l’impression globalement, si on prend le système managérial dans les entreprises, les choses n’évoluent pas fondamentalement, il n’y a pas de remise en cause sérieuse de tout ce que vous décrivez, de tout ce que vous avez décrit jusqu’à présent, un peu comme la crise financière, on parle des problèmes et puis finalement les choses continuent comme avant , parce que, comme vous l’avez dit aussi, il y a une logique à ce que ça continue. Est-ce que ça s’améliore un peu quand même malgré tout ?
CD : Ecoutez, globalement je partage votre impression et votre jugement : dans l’ensemble la situation continue à se dégrader, d’ailleurs les suicides au travail continuent à se produire, pas seulement en France, mais là nous avons eu récemment un colloque international sur suicide et travail et donc on a vu ce qui se passe aussi en Asie, c’est épouvantable, c’est peut-être encore pire que ce qui se passe en France, en Chine, à Taïwan, en Corée, au Japon, il y a énormément de suicides au travail, donc la situation globalement continue à se dégrader. Mais, et c’est un paradoxe, vous avez raison, il y a une avancée considérable dans l’espace public, mais dans les entreprises globalement la situation continue à se dégrader, d’autant plus que les forces syndicales de l’autre côté elles-mêmes ont été victimes de l’impact de l’évaluation individualisée des performances, et les syndicats sont défaits…
F. C. : C’est-à-dire ? Pourquoi victimes ?
CD : Parce que l’individualisme, si vous voulez, qui est le produit de cette évaluation individualisée, la concurrence généralisée entre les gens, elle nuit à la solidarité, y compris la solidarité syndicale. Donc les gens ne se syndiquent plus, ils n’ont plus confiance dans les syndicalistes puisque, en fait, leur expérience quotidienne, c’est que, non seulement on n’a pas confiance, mais c’est la méfiance qui s’est installée partout, non seulement on a peur des autres, si vous voulez, mais on ne les aime pas, parce qu’on sait que le collègue en question, qui devrait être le syndicaliste, c’est une planche pourrie, et lui, il sait très bien que moi aussi je suis une planche pourrie. Donc pour mener des actions collectives dans un contexte comme ça, délabré, sapé si vous voulez par cette nouvelle forme de méthode d’orientation du travail, les syndicats eux-mêmes en ont été profondément affectés, ils sont en très mauvaise posture, de sorte que c’est plutôt par le droit aujourd’hui que se font les progrès, et même les syndicalistes aujourd’hui sont obligés de recourir au droit pour mener leurs actions, beaucoup plus que par le passé. Avant il suffisait d’être une force qui s’affichait en tant que force d’un collectif qui protestait, on n’avait pas besoin de passer par les juristes, la négociation devenait possible.
F. C. : Vous faites des propositions tout de même, Christophe Dejours, pour améliorer les choses. Alors d’abord vous prêchez un peu pour votre parole, et vous avez bien raison, et vous voulez redonner de l’importance aux sciences du travail. En quoi est-ce que redonner de l’importance, comme vous le dites, aux sciences du travail, peut être en en parlant plus, en formant évidemment plus à ces questions-là les personnes qui sont amenées à devenir des managers par la suite, en quoi ça peut améliorer concrètement les choses ?
CD : D’abord, parmi les managers, parmi les dirigeants d’entreprise, il faut quand même compter avec le fait que si la situation continue à se dégrader, un certain nombre d’entre eux ont des réserves et commencent à être très partagés sur la légitimité, sur l’efficacité …
F. C. : Ça devient contre-productif.
CD : Elle devient… on commence à voir les effets contre-productifs ; on ne commence pas, on est vraiment dedans, c’est-à-dire qu’il y a une dégradation du service public d’une manière absolument patente partout, donc c’est très pénible pour les gens qui avaient une éthique de service public, de dégrader leur rapport au travail pour faire du chiffre…
F. C. : Là on est au-delà de la question managériale, parce qu’ il y a aussi des questions de budget, enfin des questions de politiques publiques.
CD : Oui, ce sont des questions de politiques publiques, on est en plein dans le politique, on n’est pas dans l’économique, on est dans le politique, ce sont des choix qui sont faits, vous avez raison. Mais de ce fait, beaucoup de managers, beaucoup de dirigeants souffrent eux-mêmes. Un certain nombre de leurs collègues tombent aussi malades ; un certain nombre d’entre eux font des dépressions ; certains vont même jusqu’à commettre des tentatives de suicide ou des suicides. Donc il y a une sensibilité, si vous voulez, qui commence à bouger quand même chez beaucoup de dirigeants. Et puis il y a quelques entreprises malgré tout où ils ont carrément commencé à critiquer, je dirais cette fois-ci concrètement, ces méthodes d’organisations du travail et cherchent des voies de remplacement. C’est comme ça qu’on a commencé avec mon laboratoire un certain nombre d’expériences dans des entreprises, pour essayer de voir si on pouvait inventer d’autres manières de penser l’évaluation donc plus seulement l’évaluation individualisée des performances, mais au contraire, d’essayer de penser l’évaluation du collectif, l’évaluation de la coopération.
F. C. : Comment on fait, alors, ça ?
CD :Donc on a un certain nombre d’expériences dans l’entreprise qui sont assez bouleversantes, parce que, pour évaluer le collectif ou évaluer la coopération, il faut des instruments théoriques, on ne peut pas comme ça décider qu’on va le mesurer. Ça n’est pas mesurable, pour un certain nombre de raisons, je pourrais vous expliquer d’ailleurs que ce que l’on mesure dans les performances, ce n’est pas le travail, dans le meilleur des cas, c’est le résultat du travail. Mais entre le résultat du travail et le travail, il n’y a pas de proportionnalité du tout : je peux travailler comme une bête sur des dossiers très difficiles, avoir des résultats en termes quantitatifs qui sont faibles, alors que mon voisin va avoir des résultats très brillants, sauf qu’il a pris tous les dossiers les plus simples. Donc si vous voulez, la quantité ne reflète pas du tout le travail de fond. De la même façon, si vous voulez aborder la question de la coopération, il faut lâcher le quantitatif, et commencer maintenant à penser le rapport qualitatif au travail, et comment se construisent les relations entre ceux qui travaillent, pour porter ensemble une œuvre commune. Alors il y a des instruments pour ça, des instruments théoriques que j’ai beaucoup développés ces dernières années, qui intéressent beaucoup un certain nombre de ces entreprises, et donc on commence à travailler avec eux sur ces concepts de coordination, c’est ce qui est prescrit, coopération, c’est ce que les gens font, entre les deux, je vais le dire en quelques mots pour que vous voyiez un petit peu, mais c’est d’une ampleur gigantesque, c’est extrêmement intéressant et passionnant. Pour gérer ce décalage, pour arriver à cette interprétation commune des ordres en sorte de faire un travail de qualité collectif , il faut produire ce qu’on appelle des règles de travail, c’est-à-dire des accords qui sont passés entre ceux qui travaillent sur la manière de tricher; tricher au sens noble du terme, c’est-à-dire comme on dit, tricher un ourlet, tricher une cote, on triche pas pour le plaisir de transgresser, mais pour bien faire, parce qu’il y a tout le temps des incidents qui n’ont pas été prévus, et donc on triche et en plus on triche en essayant d’anticiper l’incident. Mais si chacun triche à sa façon, ça va être le désastre, c’est-à-dire que c’est très divergeant et ça risque de produire le chaos. Donc le problème, c’est que toutes les tricheries se mettent ensemble, c’est-à-dire qu’il faut se mettre d’accord sur la manière de tricher. C’est là que commence l’activité de production d’accords entre les gens sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ce qui est efficace, ce qui l’est moins, ce qui est bien et ce qui est mal. Et don pour un tas de raisons, il faut discuter, échanger des opinions sur les manières de travailler, les manières d’interpréter les ordres, jusqu’à ce qu’on arrive à un accord. Alors quand on a un accord, ça s’appelle un accord normatif, parce qu’il se stabilise, et quand vous avez plusieurs accords normatifs qui sont articulés entre eux, vous aboutissez à ce qu’on appelle une règle de travail. Donc chaque collectif, quand il procède à cette discussion, aboutit à des règles de travail. C’est-à-dire que les règles de travail qui sont montées par une équipe infirmière dans un hôpital ne sont pas les mêmes que les règles de travail dans l’équipe voisine, c’est-à-dire que vous avez des styles de travail différents et dans deux services hospitaliers, et mêmes dans deux équipes, entre le jour et la nuit, les gens ne travaillent pas de la même façon, ils se dotent de leurs propres règles. Alors cette activité de construction de règles, qu’on appelle techniquement l’activité déontique, c’est-à-dire une activité qui est en amont de la déontologie, c’est une activité bouleversante, mais qu’on peut très bien analyser et qui passe par un certain nombre de chaînons intermédiaires et quand les managements, quand les dirigeants commencent à connaître ces choses-là, alors ils vont favoriser évidemment les conditions qui permettent aux gens de discuter sur les manières de tricher, ce qu’on appelle un espace de délibération; pour un tas de raisons que je pourrais vous montrer que ces espaces de délibération sont toujours et en même temps des espaces de convivialité, ce qui est très intéressant pour nous du point de vue de la santé.
F. C. : Notre série s’appelle « Comment refaire Histoire »on a mis un grand H, est-ce que vous pouvez nous donner, ce que vous avez fait là par exemple, ce dont vous nous parlez, peut être utilisé aussi dans un domaine plus large, qui serait le domaine de la société, de la politique ? Est-ce que ça peut être transposé évidemment toutes choses égales par ailleurs, selon vous, Christophe Dejours ?
CD : Oui, je pense très explicitement qu’il y a un lien entre la coopération ordinaire dans le monde du travail ordinaire et la question politique et générale de la formation des solidarités ou de la destruction des solidarités. Alors les nouvelles formes d’organisations du travail montreraient, si on les analysait bien, que le monde du travail est le lieu d’expérimentations par le truchement des nouvelles formes d’organisation, c’est le lieu électif d’expérimentation des nouvelles formes de domination. Ça touche les gens d’abord dans le travail, mais quand vous devenez un salaud avec vos collègues dans le travail, vous l’êtes aussi à l’extérieur. Et donc il y a une dégradation des rapports dans la cité qui sont directement un produit de ces nouvelles formes d’organisation du travail. C’est ce qu’on appelle la « centralité du travail » pour le pire. Ça peut être renversé pour le meilleur. Si au contraire dans le travail, au lieu d’apprendre le pire, qui est l’instrumentalisation des gens et la concurrence à tout crin, jusque et y compris la concurrence déloyale, si au contraire vous y apprenez la coopération, alors vous apprenez, je vais évidemment très vite au but, on apprend l’exercice ordinaire de la démocratie, c’est-à-dire non seulement de parler non seulement pour défendre son point de vue sur la manière de travailler, mais apprendre aussi à écouter le point de vue de l’autre. Ces espaces de délibération sont vraiment structurés comme l’espace démocratique, ce qui fait que si vous apprenez dans le travail l’exercice de la démocratie, évidemment vous le reportez à l’extérieur et vous devenez tout-à-coup plus actif dans la vie associative, voire dans la vie politique. C’est ce qu’on appelle la centralité politique du travail. J’ai déjà dit, j’y reviens, c’est un point fondamental, à mon avis, si on veut reconstituer aujourd’hui du politique dans la cité, il faut repartir du travail, parce que nous sommes dans un individualisme, bon, qui s’est répandu d’une manière très brutale, mais à mon avis, bon, là j’ai des divergences beaucoup avec les autres scientifiques, je pense que le travail a joué un rôle majeur dans l’apparition de l’individualisme social dans lequel nous sommes aujourd’hui, et c’est extrêmement intéressant, si vous voulez, de voir que l’on peut repartir de.., le travail est une ressource incroyable, non seulement de formation à la démocratie, mais aussi de formation de vivre ensemble. Je peux vous dire que sur le plan historique, sur le plan politique, les idées que j’ai développées à partir du travail et cette idée de centralité du travail, centralité politique du travail, sont reprises actuellement par des gens qui font de la politique, plus spécialement c’est ceux qui s’occupent de ce qu’on appelle les études de conflits, « conflict studies », notamment dans les pays anglo-saxons, mais aussi dans le monde entier. Vous savez, après les guerres, comment reconstituer un tissu social quand les gens se sont détruits les uns les autres comme vous le savez. Donc les études de conflits aujourd’hui, dont une de mes collègues qui s’appelle Tessier, qui dirige le centre d’études de conflits à l’université d’Ottawa, utilise la théorie de la coopération pour penser la question du conflit, et de la reconstitution de la paix et du vivre ensemble après les guerres. Vous voyez, je pense qu’on a quelques éléments comme ça, plutôt encourageants.
F. C. : Encourageants, mais il faut regarder le travail pour repenser le collectif, ça paraît évident à vous écouter, Christophe Dejours. Merci beaucoup d’avoir été avec nous.
Christophe Dejours: Evaluation individualisée des performances et tournant gestionnaire
France culture, LA GRANDE TABLE (2ème partie) , 1.1.2014
3/5. Comment refaire Histoire? Le collectif à l’épreuve de l’individualisme
Enregistrement: http://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=4769410
Retranscription : Isabelle Aubert-Baudron
Voir également sur France culture :
Les enregistrements des 5 émissions de « Comment refaire Histoire? »
https://generalsemantics4all.files.wordpress.com/2014/01/christophe-dejours-evaluation-individualisc3a9e-des-performances-et-tournantc2a0gestionnaire.pdf