—Par Selim Lander —
Sony Labou Tansi (SLT – 1947-1995) est l’un des auteurs les plus talentueux de cette école littéraire congolaise trop mal connue en France. Le spectacle qui lui est consacré et qui a été créé au printemps dernier au Tarmac (Paris) rappelle opportunément la pléiade de littérateurs qui ont émergé sous la bonne étoile de Tchicaya U Tam’si, jusqu’à Dieudonné Niangouna aujourd’hui. Des intellectuels qui se sont souvent mêlés de politique, dans un pays pourtant soumis à une censure tatillonne. Parmi ces écrivains, la figure de SLT émerge comme la plus anticonformiste, son expérience de la politique s’étant d’ailleurs limitée à un bref passage par l’Assemblée nationale. Professeur d’anglais puis homme de théâtre et romancier, il est l’auteur d’une œuvre baroque qui ne recule ni devant les invraisemblances ni devant la vulgarité, quand celles-ci sont nécessaires pour rendre compte de situations qui, pour invraisemblables et vulgaires qu’elles paraissent, ne sont pas moins trop souvent réelles dans une Afrique soumise à des dictatures aussi arbitraires que cruelles.
Pour non seulement survivre dans un tel environnement mais pour s’y faire remarquer comme un créateur de premier plan, il faut du talent – SLT en avait à revendre – et encore de la prudence et de l’astuce. SLT a fondé le « Rocado Zulu Théâtre » dont le nom dit tout. Pour quoi « Rocado » en effet ? Parce que « rocade », la rocade étant cette route qui fait le tour des grandes villes comme le théâtre de SLT qui use de subterfuges – souvent transparents à vrai dire – pour traiter des maux de son pays, plutôt que d’attaquer frontalement ceux qui en sont responsables. La reconnaissance internationale est aussi une puissante protection. Le festival du théâtre francophone, organisé à Limoges chaque automne, auquel il était régulièrement invité, lui a apporté une indispensable consécration.
Bernard Magnier, qui connaissait bien SLT, a conçu le spectacle comme un dialogue entre deux comédiens : l’un qui raconte qui fut SLT et l’autre incarnant SLT lui-même, les deux se rejoignant à l’occasion pour interpréter des morceaux des pièces de SLT. La mise en scène de Hassane Kouyaté insiste sur le contraste entre les deux personnages : l’un – le raconteur – très extériorisé, aux accents de bateleur de foire ; l’autre au contraire – SLT – au jeu tout intériorisé et souvent émouvant. Le dispositif scénique est simple et efficace : un demi-cercle est tracé sur la scène avec des livres posés par terre ; sur les côtés deux estrades : à jardin, celle où LST se repose parfois, sur une simple chaise – à cour une bibliothèque et un bureau pour le raconteur. Au fond un écran sur lequel apparaissent, par instants, des bouts de lettres de la main de SLT, quelques photos.
Le spectacle, qui dure une heure, va très vite et la seule frustration vient de ce qu’il se termine trop tôt. On regrette, en particulier, qu’il n’y ait pas davantage d’extraits des pièces de SLT. Et, maintenant qu’on nous a mis l’eau à la bouche, nous attendons de voir monter ici, en Martinique, ou arriver d’ailleurs, une pièce intégrale de cet auteur inventif et … culotté.
Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi. Texte Bernard Magnier ; mise en scène Hassane Kouyaté ; avec Marcel Mankita et Criss Niangouna. Fort-de-France, Tropiques Atrium, 14-15 janvier 2015.