Entretien avec Bernard Magnier
Le Tarmac : Pouvez-vous nous dire comment est née l’idée de ce spectacle ?
Bernard Magnier : C’est une commande du comédien et metteur en scène Hassane Kouyaté qui souhaitait depuis longtemps aborder l’œuvre de Sony Labou Tansi. Nous en avons parlé et de cet échange est née l’idée d’un spectacle qui présenterait l’itinéraire de l’écrivain et tenterait une traversée de l’œuvre. En outre, pour le 20e anniversaire de sa mort, il me semblait important de saluer cet écrivain qui, en quelques années de création romanesque et dramaturgique, a bouleversé la scène littéraire africaine.
Comment avez-vous rencontré Sony Labou Tansi ?
J’ai lu en 1979, son premier roman, La Vie et demie. Ce fut un choc. Il y avait là quelque chose de neuf, tant dans le propos que dans la manière de le dire ou, plus exactement, de le crier. J’ai tout de suite souhaité entrer en contact avec l’auteur pour un entretien et lui demander des poèmes car je constituais à l’époque une petite anthologie pour la revue Encres Vives. Je lui ai écrit par l’intermédiaire de son éditeur. Il m’a répondu très vite, et nous nous sommes rencontrés pour la première fois, à Lomé, au début de l’année 1980. Et de nos relations littéraires est née une amitié qui n’a jamais cessé jusqu’à sa mort en 1995.
Quel genre d’homme était-il ?
Très accessible et très simple. Très attentif aux autres, aux voisins du quartier comme au journaliste venant l’interviewer ou à l’écrivain lui présentant ses premiers textes. À ses amis, il aimait adresser des signes, une attention. C’était une visite surprise, un coup de téléphone, un message (bien qu’il détestait les répondeurs), une carte postale (parfois avec des adresses incomplètes), un cadeau. Il était le même à Brazzaville et à Paris. Et contrairement à ce que d’aucuns ont pu dire, quelqu’un qui, avec moi, n’a jamais changé. Son tour de tête n’a pas pris un centimètre. C’était toujours le même béret qui le coiffait.
BON NOMBRE D’ÉCRIVAINS SE SONT ENGOUFFRÉS DANS LES BRÈCHES QU’IL A SU OUVRIR
Qu’a t-il apporté aux littératures africaines ?
Il a ouvert des possibles ! Bon nombre d’écrivains se sont engouffrés dans les brèches qu’il a su ouvrir, ici et là. Lorsque vous interrogez les écrivains africains -qui ont été ses contemporains ou qui sont ses cadets- presque tous le citent comme une référence. Son nom est souvent associé à celui d’Ahmadou Kourouma pour être, l’un avec Les Soleils des indépendances en 1968, et l’autre avec La Vie et demie en 1979, deux créateurs charnières dans l’histoire littéraire francophone africaine. La dimension théâtrale de son œuvre, le fait qu’avec sa troupe, le Rocado Zulu Théâtre, il ait pu présenter ses pièces devant les publics africains et européens, et même américains, contribuent évidemment à cette reconnaissance. Il faut hélas ajouter la brièveté de sa carrière, sa disparition à l’âge de 47 ans, sa personnalité et son engagement qui en ont fait une personnalité emblématique sur le continent africain, auteur d’une œuvre souvent hélas pas assez lue.
Comment Sony Labou Tansi a t-il obtenu cette reconnaissance internationale qui fut la sienne, à un moment où peu d’auteurs bénéficiaient d’une telle attention ?
Sony a bénéficié de l’admiration -qui s’est souvent mêlée à de la complicité et de l’amitié- de bon nombre de personnes en Europe. RFI a été une première caisse de résonance internationale par le biais des concours de théâtre et de nouvelles dont il a été, à plusieurs reprises, lauréat. Les éditions du Seuil ont publié ses six romans de 1979 à 1995 et ont largement contribué à sa dimension internationale. Sur le plan théâtral, le premier homme de théâtre européen à s’intéresser à son travail a été Guy Lenoir qui est allé, en 1984, au Congo, jouer La peau cassée avec le Rocado Zulu Théâtre. Par la suite, en 1985, Gabriel Garran, fondateur du Théâtre international de langue française, monte au Théâtre National de Chaillot à Paris, Je Soussigné cardiaque, et Monique Blin, directrice du Festival des francophonies de Limoges, l’invite pour la première fois avec sa troupe. Il y est ensuite régulièrement invité, présentant à chaque fois une pièce nouvelle dans une mise en scène co-signée avec un metteur en scène français : Pierre Vial, Daniel Mesguich, Michel Rostain et Jean-Pierre Klein qui n’est jamais rentré de Brazzaville, victime de l’attentat du DC10 au dessus du Ténéré en 1989. Ses pièces (six d’entre elles éditées par les Éditions Lansman) ont ainsi été jouées à Paris mais aussi à Belgique, en Italie, en Allemagne ou à New-York, tout en étant toujours créées à Brazzaville. Tout partait de Brazzaville et tout y revenait.
TOUT PARTAIT DU CONGO ET TOUT Y REVENAIT
Bien que souvent sollicité, Sony Labou Tansi est toujours demeuré au Congo, comment expliquez-vous cet attachement ?
C’est un point essentiel dans sa démarche de créateur. Sony Labou Tansi est toujours resté fidèle au Congo, à Brazzaville, à Makélékélé, le quartier où il habitait. Et s’il venait souvent en France pour le lancement de ses romans ou pour présenter ses pièces de théâtre, il n’a jamais quitté cet environnement congolais consubstantiel à son œuvre. Il avait besoin de cela pour écrire, même s’il lui arrivait d’écrire en d’autres lieux. Une fois encore, tout partait de là et tout y revenait. Il écrivait à Brazzaville mais aussi là où il se trouvait… Il écrivait tout le temps, surtout la nuit. Sur des petits cahiers d’écolier qu’il remplissait de la marge au bord extérieur et de la première à la dernière page. Une soixantaine d’entre eux ont été sauvés. Ils sont à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. C’est extrêmement émouvant de feuilleter ces cahiers. C’est aussi extrêmement rare (et le sera de plus en plus !) d’avoir sous les yeux plusieurs versions écrites à la main d’un même texte, d’un même roman. On voit le travail de l’écrivain, ses hésitations, ses choix, ses repentirs comme on dit en peinture. L’évolution de son écriture, de la graphie est aussi extrêmement émouvante.
Aujourd’hui qu’en est-il de son œuvre ?
Elle est étudiée dans plusieurs universités africaines et dans le monde. Elle appartient à l’histoire littéraire du XXe siècle. Son nom est connu en Afrique, au-delà de l’œuvre, il est un symbole, une figure de rebelle. Mais il faut reconnaître que, durant ces 20 dernières années, peu de ses pièces ont été montées. Plusieurs œuvres inédites ont néanmoins été publiées, en particulier des poèmes qu’il n’avait jamais pu publier de son vivant, des correspondances, des pièces, etc. Plusieurs initiatives sont annoncées à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort : les éditions Lansman ont réédité les six pièces de leur catalogue, d’autres initiatives éditoriales sont annoncées, des lectures sont programmées, un colloque est en préparation, une exposition qui lui est consacrée va être réalisée par la Bibliothèque de Limoges et sera présentée à Brazzaville et dans différents lieux, en Europe et en Afrique…
VOIR ET ENTENDRE SONY LABOU TANSI
Vous avez donc imaginé cette pièce. Comment l’avez vous conçue ?
Nous voulions un spectacle léger, susceptible d’être présenté un peu partout. J’ai donc imaginé un dialogue entre deux comédiens. L’un est Sony Labou Tansi (interprété par Marcel Mankita) et porte sa parole. L’autre, un lecteur, passeur (Criss Niangouna), feuillette l’œuvre de l’écrivain, relate sa destinée et dialogue avec lui. Tous deux devenant les interprètes de quelques brefs passages de pièces choisis dans son œuvre.
Verra t-on Sony Labou Tansi ? L’entendra t-on ?
Oui effectivement quelques rares vidéos permettront de voir le personnage, des documents sonres permettront de l’entendre, mais ce sont surtout ses mots qui seront présents car toutes les paroles du comédien qui interprétera Sony seront « du » Sony Labou Tansi. Des phrases extraites de ses œuvres, des multiples textes (préfaces, notes d’intention, lettres ouvertes, etc) qu’il écrivait et dispersait au gré des sollicitations, des fragments de courrier, des paroles recueillies en interview. Sony dira du Sony !
Pourquoi avoir choisi ce titre Sony Congo ? Et ce sous-titre « la vie chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi » ?
Le titre veut souligner l’appartenance de l’écrivain à la grande nation Congo (que nous aurions pu écrire Kongo), tant il lui semblait important de dépasser les frontières héritées de la colonisation et retrouver l’aire culturelle dans sa dimension originelle. Le sous-titre est emprunté à une de ses pièces intitulée Une chouette petite vie bien osée. Il me semblait que ce titre correspondait assez bien à sa destinée et cela me permettait de le rendre présent dès le titre.
Quelles ont été vos intentions en écrivant ce texte ?
Faire connaître ou permettre de retrouver cette voix singulière, donner envie de lire cet écrivain, de l’entendre, de monter ses pièces. En retraçant son itinéraire, découvrir quelques facettes de sa personnalité, montrer le processus d’écriture, la démarche de création. Enfin, bien sûr, saluer l’ami et donner un aperçu d’une œuvre d’une grande et évidente actualité.