Sonnés par « The Tribe »

Peuplé de jeunes sourds-muets, ce drame venu d’Ukraine nous captive sans sous-titres ni doublages.

— Par Alexis Campion —
the_tribePas de programmation prévue en Martinique!

Synopsis : Nouveau venu dans un internat pour sourds-muets, un adolescent est contraint de s’adapter aux pratiques délictueuses de ses congénères. Complice de rackets et trafics, au besoin proxénète, il s’intègre à cet univers sombre et y tombe amoureux d’Anna, prête à tout pour quitter l’Ukraine… Cette histoire, le réalisateur nous la conte d’une façon inoubliable avec une mise en scène réaliste magistrale, de bout en bout en langue des signes. Sans doublage ni sous-titres, le spectateur doit observer attentivement les gestes et expressions des acteurs, tous très loquaces malgré leur handicap. Au fil de plans-séquences très aboutis, habités de façon époustouflante par de jeunes malentendants haletants, un ballet impérieux se dessine. Tour à tour sauvage, hyperviolente et ultrasensible, l’expérience est à la hauteur du vécu des personnages, brutale et sans compromis. Al.C.

Avertissement à ceux qui iront voir The Tribe, entièrement tourné en langue des signes. Sa troupe d’acteurs sourds-muets n’est pas la seule singularité de ce film exceptionnel, il y a surtout le mouvement, la violence, la cruauté. Ces jeunes qui hurlent leurs émotions avec leurs corps ne doivent pas seulement se débrouiller avec leur handicap mais aussi avec un pays et un système social sans merci. En marge, ils s’organisent en « mafia sourde »…

« Les sourds n’aiment pas le reconnaître, mais il existe bien une microsociété alternative, non officielle, qui a ses gardiens, ses tribunaux arbitraires et qui peut ressembler à la Camorra », explique Myroslav Slaboshpytskiy, qui, avant de se consacrer au cinéma, était reporter spécialisé dans les affaires criminelles. « Dans les années 1990, quand des guerres de gangs se déployaient dans toute l’URSS, j’ai vu des choses que je n’ai plus envie de voir, mais je ne peux les rayer de ma mémoire. Elles sont devenues parties intégrantes du film. »

Ces souvenirs expliquent certaines scènes d’une brutalité effarante, lesquelles ne sont pas sans lien avec l’actualité. Le cinéaste, qui a inséré une séquence où des lycéens assistent à un cours sur les liens entre l’Europe et l’Ukraine, confirme : « Le film est aussi une métaphore des jeux de pouvoir de l’État ukrainien. L’argent est saisi par la police, par des bandits ordinaires, sous forme de pots-de-vin, et est transféré en haut de la chaîne. C’est contre ça que les gens se sont révoltés cette année en Ukraine. »
« Un film d’amour »

L’énergie combative des personnages de The Tribe n’en reste pas moins universelle. Slaboshpytskiy se rappelle avoir été lui-même racketté enfant et c’est dans l’école qu’il fréquentait alors qu’il a tourné son film, à Stalinka, un quartier glauque de la banlieue de Kiev, nommé d’après Staline, qui le fit ériger par des prisonniers allemands.

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Alexis Campion – Le Journal du Dimanche

The Tribe ***
De Myroslav Slaboshpytskiy, avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova, Rosa Babiy. 2h12. Sortie le 1er octobre.