— Par Emilien Urbach —
Une citoyenne solidaire des réfugiés bloqués à la frontière franco-italienne comparaît aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Grasse pour avoir transporté dans son véhicule deux jeunes Érythréens. Des militants venus de toute la France viennent témoigner de leur solidarité.
Elle a voulu aider deux jeunes réfugiés. Elle doit en répondre devant la justice ! À 72 ans, Claire, maître de conférences à la retraite, comparaît aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Grasse. Sa faute ? Avoir transporté dans son véhicule deux jeunes Érythréens, de la gare de Nice jusqu’à celle d’Antibes (Alpes-Maritimes), afin qu’ils puissent prendre le train. Un geste anodin qui lui vaut d’être poursuivie pour, selon l’acte d’accusation, avoir « facilité, par aide directe ou indirecte, l’entrée irrégulière, la circulation irrégulière, le séjour irrégulier de deux étrangers en France »… En clair, d’être un passeur.
L’affaire s’est déroulée le 13 juillet dernier. Avec une vingtaine d’autres personnes, Claire, qui milite à Habitat et citoyenneté, une association d’aide aux migrants en situation précaire, est venue à la gare de Nice prêter main-forte. Et constater surtout les irrégularités commises par les forces de l’ordre à l’encontre des réfugiés, depuis la fermeture de la frontière franco-italienne, le 9 juin. De nombreuses associations témoignent en effet de contrôles au faciès systématiques à l’intérieur des trains reliant Vintimille à la France et d’expulsions, dont de nombreux mineurs isolés, vers l’Italie, en dehors de tout cadre légal.
« Je suis arrivé à la gare de Nice, à 11 heures, explique Hubert Jourdan, militant également à Habitat et citoyenneté et témoin au procès. Claire était devant les bureaux de la police aux frontières en compagnie d’un jeune Érythréen de 15 ans et d’une jeune femme à peine plus âgée. Lui voulait se rendre à Dijon et elle à Paris. Nous étions rentrés en contact avec des connaissances qu’ils avaient sur place. Bien qu’ils aient tous les deux leur titre de transport, la PAF leur a interdit d’accéder au train. On a alors décidé que quelqu’un devait les accompagner à la gare d’Antibes. » Claire se porte volontaire et fait monter les deux personnes en quête de refuge dans sa voiture. Vingt minutes plus tard, arrivée à Antibes, la police l’arrête. Après un rapide contrôle d’identité, elle est sortie du véhicule, menottée et conduite dans un commissariat de Nice. Peu après, on l’accompagne chez elle, bracelets métalliques toujours aux poignets, pour y mener une perquisition. Rien. Retour à la capitale azuréenne où elle passe 24 heures enfermée dans une des sordides cellules de la caserne Auvare… Elle en ressort avec une convocation au tribunal.
Pour Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés, cette affaire est « le signal que Manuel Valls a menti quand il affirmait que le délit de solidarité n’aurait plus court en France ». Appelé aussi à témoigner à la barre du tribunal, l’avocat compte y faire l’historique des faits qui a mené à la modification, par la loi du 31 décembre 2012, du Code des étrangers. Le texte, depuis, permet à la justice de faire la distinction entre un trafiquant qui s’enrichit sur la détresse d’un réfugié et un citoyen solidaire qui tend la main à son semblable. « La comparution de Claire est donc injustifiée au regard de la loi », souligne aussi Me Sarah Ben Kemoun, chargée de défendre la militante. Une quinzaine d’associations et syndicats se sont également donné rendez-vous à Grasse pour exprimer leur consternation. « Nous sommes des centaines à quotidiennement venir en aide à des réfugiés, rappelle Stéphane Maugendre. Si nous le faisons, c’est parce que l’État est totalement défaillant quant à l’accueil des étrangers. » Pas pour s’enrichir sur le dos des exilés.