Samedi 30 Janvier 2016. Tropiques-Atrium
Mwezi WaQ, Chants de lune et d’espérance est le titre du dernier album produit par le Comorien Soeuf Elbadawi. Musicien, mais aussi dramaturge et homme de spectacles, l’ancien journaliste de RFI a prolongé la magie de ce disque ancré dans la mélodie du quotidien des Comores, en proposant une version live qui reprend les moments les plus forts du CD. « Comme l’esquisse d’un poème s’adressant au monde… », dixit Elbadawi.
Soeuf Elbadawi, né en 1970 à Moroni, est un acteur majeur de la scène artistique comorienne. Ancien journaliste passé au théâtre, il dirige, aujourd’hui, le Muzdalifa House à Moroni à Moroni, O Mcezo* Cie et Mwezi WaQ., après avoir oeuvré, plusieurs années, au sein de Radio France internationale à Paris.
Auteur publié en France et aux Comores, son écriture parle de la difficulté de la relation entre les êtres, lorsque viennent s’y mêler fantasmes et fictions collectives. Elle questionne la mémoire et le vécu politique de ses concitoyens. Soeuf Elbadawi conçoit également des installations à caractère pluridisciplinaire, faisant se rencontrer l’image, le son et le spectacle vivant.
Artiste citoyen
Après plusieurs années de journaliste, Soeuf Elbadawi, toujours collaborateur de la revue Africultures, change de vie en 2005, sur un coup de tête., revenant au théâtre, la passion de ses vingt ans. En 1990, formé par Michel Charles, un anciens e LA Rue Blanche à Paris, il dirige, en effet, une troupe, « Les Enfants du théâtre », sur le plateau de l’Alliance franco-comorienne de Moroni. Il quitte son pays en 1992, s’installe à Paris, où il bosse dans les médias, avant d’être rattrapé, comme il le dit lui-même, par « les démons de l’archipel ». Il considère alors qu’il est « partie prenante » d’une réalité longtemps occultée, méritant d’être questionnée sur un plan artistique.
Il rentre à Moroni et pose ses valises à l’université des Comores où le « premier » des écrivains comoriens de langue française, Mohamed Toihiri, l’invite à expérimenter ses projets de théâtre auprès du public étudiant. Il y crée un laboratoire de recherche, le « laboresvik », qu’il intègre ensuite à sa propre compagnie, O Mcezo*, fondée en novembre 2008. Depuis 2005, il tente, avec le soutien d’amis, d’éprouver les limites d’un théâtre à vocation populaire et citoyen. Sa compagnie est connue aux Comores pour avoir joué dans les villages La Fanfare des fous, spectacle sur la dépossession citoyenne, en 2009, et pour avoir défendu le concept du gungu la mcezo, détournement d’une tradition de justice populaire appelée gungu sous la forme du spectacle de rue. Soeuf Elbadawi et O Mcezo* ont reçu le soutien de la Fondation du Prince Claus aux Pays-Bas pour l’organisation de cette tournée comorienne durant laquelle les fonds récoltés ont tous été versés au bénéfice de projets à caractère citoyen.
Le premier gungu la mcezo, réalisé le 13 mars 2009, vaudra une censure à Soeuf Elbadawi, de la part des autorités culturelles françaises aux Comores. Organisé avec des militants du mouvement Mawatwaniya, ce gungu la mcezo sera orchestré contre la présence française à Mayotte, quatrième île de l’archipel des Comores. Une présence française condamnée par les Nations unies, notamment à travers la résolution 31 (IV) prise le 21 octobre 1976, qui insiste sur la « violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République Indépendante des Comores ». Le succès rencontré par le travail de Soeuf Elbadawi aux Comores et au sein de la diaspora comorienne installée à l’étranger a permis de relancer le débat sur le rôle et la place des artistes dans « un pays défait », le sien.
Soeuf Elbadawi, qui, en 2007, avait été pris à partie par des gens de sa ville natale, Moroni, pour avoir écrit contre le repli communautaire et pour le mieux-vivre ensemble (Moroni Blues/ Chap. II), est un artiste qui compte et dérange aujourd’hui dans l’archipel. « Pays de lune », son installation en cinq volets autour du destin d’un archipel déconstruit, présenté lors du Festival des Arts Contemporains aux Comores (FACC) a été l’occasion pour lui d’interroger la mémoire des siens et de remuer « les fragments entiers d’histoire coloniale rangés sous le lit de nos grands-pères » dit-il.
Soeuf Elbadawi anime le Muzdalifa House, lieu d’agitation citoyenne et d’expérimentation artistique, fondé à Moroni en 2010, et dont la devise est qu’une « utopie de shungu sent toujours le souffre à plein nez ». Le shungu est un concept, issu de la tradition comorienne, portant sur les questions du vivre-ensemble et autour duquel il fédère des amis artistes et auteurs, avec la ferme volonté de l’inscrire dans un espace-monde.
Sous label Washko Ink., sa structure, Soeuf Elbadawi développe également un projet musical, dont le nom, Mwezi WaQ. réinterroge la mémoire musicale de l’archipel des Comores. « Mwezi » veut dire « lune ». Et à ceux qui le lui demandent, il répond désormais qu’il est « prêcheur de lune et expert en intégrisme de la survie. »