— Par Eugénie Boilait —
ENTRETIEN – Le jeudi 6 octobre, le gouvernement a dévoilé son plan de sobriété pour l’hiver à venir. Pour le spécialiste en communication Arnaud Benedetti, cette stratégie de l’exécutif vise à nous enjoindre d’accepter ce qui pouvait être évité, comme si c’était inéluctable.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Il a publié Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).
FIGAROVOX.- Le gouvernement a dévoilé son plan de sobriété énergétique le jeudi 6 octobre lors d’une conférence de presse. Se dirige-t-on vers un «confinement énergétique» ?
Arnaud BENEDETTI. – Cette communication n’est rien d’autre que l’expression de ce que j’avais décrit il y a plusieurs années dans un article pour un dossier de la revue Hermès consacré aux langues de bois et coordonné par les universitaires Joanna Nowicki et Michael Oustinoff . J’y décrivais cette «langue de bois» des communicants ou «novlangue» dirions-nous aujourd’hui en référence à Orwell. Comme toute langue de bois, la langue communicante a pour caractéristique d’envelopper ou de nimber la réalité d’un halo dissimulateur. Cette langue-là a toutes les propriétés des langues de bois dont les totalitarismes marxistes aimaient à se pourvoir: elle est répétitive, mécanique dans son argumentation usant des mêmes corrélations explicatives, affirmative ; mais à ces ingrédients elle ajoute une autre dimension qui tient compte de l’évolution de nos sociétés postmodernes dont toute l’économie psychique est tournée désormais vers l’euphémisation des aspérités indissociables du réel car le réel pour l’homme occidental postmoderne élevé dans le confort de la civilisation technicienne est appréhendé comme un risque, une menace, voire une agression ou une souffrance sociale.
D’où cette nouvelle fonctionnalité que les langues communicantes prennent en charge: elles déminent, neutralisent, transforment l’appropriation du réel pour en favoriser l’acceptabilité. Elle est pour une part ésotérique, pour une autre part émolliente; dans tous les cas, elle s’économise les mots qui adhèrent le plus parfaitement à la réalité pour leur substituer les mots-artefacts dont la mission consiste à fabriquer une réalité dégradée, post-réelle, une forme de post-vérité certifiée par le mainstream idéologique. Le regretté et très grand médiologue, récemment disparu, François-Bernard Huyghe avait une formule pour qualifier cet ensemble de dispositions sémantiques dont il tira un livre en 1991: il parlait à juste titre de «langue de coton». Si confinement il y a, il est d’abord mental puisqu’il nous enjoint à accepter sur le mode de l’inévitable ce qui pouvait être évitable. Et la «sobriété énergétique», qui est une litote, sert à ne pas dire que l’on entend potentiellement entrer dans une logique de rationnement, provoqué par nos choix politiques opérés depuis dix ans qui nous ont installés dans le corner de la pénurie…
Lire la Suite => Le Figaro