Snow therapy : regarde l’image des hommes tomber

De nouveau à l’affiche le vendredi 24!

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— Par Roland Sabra —

Tout est dans le premier plan, comme souvent dans les grands films. Filmé de dos, un gamin en tenue de ski, dans les pissotières d’un grand hotel d’une station d’hiver est concentré sur sa tâche. Il pourrait pisser en regardant ailleurs, la tête en l’air. Non le regard est fixé sur l’observation de ses attributs. On le voit se secouer, se rhabiller, puis disparaître hors champ, côté cour dirait-on au théâtre. Et si la masculinité ne tenait qu’à ça ? Et si tous les malheurs du monde ne tenaient qu’à cette survalorisation fétichiste de l’objet ? Telle pourrait être la grille de lecture du beau film d’ Östlund. En effet de quoi s’agit-il ? D’un rien. Ce rien qui fait basculer l’univers de représentations que nous habitons et qui nous habite. Une famille suédoise, très middle class, très convenue, mari, femme, deux enfants, fille et garçon, fait un break dans une station de sports d’hiver en France. Besoin d’une bouffée d’air pour le couple et la famille car l’homme était très occupé. Tout un chacun comprendra qu’il était accaparé, ailleurs. Le boulot, les responsabilités… On connait la chanson. Si le corps de Monsieur est en vacances, l’esprit n’y est pas tout à fait. Il est encore du côté d’Oslo. Le smartphone, quand bien même serait-il sur le mode vibreur, en témoigne. Retrouver les siens, surtout quand on ne les a pas quittés, n’est pas toujours facile. Mais bon, rien d’extraordinaire. La « montagne est belle », la neige abondante, la terrasse du restaurant bien exposée, la chère est fine, le silence est ponctué de quelques explosions qui déclenchent préventivement et par précaution des avalanches de neige pour sécuriser le domaine skiable. C’est l’une d’elles, une parmi tant d’autres mais un peu plus forte celle-là, qui dévale sur le restaurant. Si elle s’arrête à quelques dizaines de mètre du bâtiment elle s’accompagne d’un vaste nuage de fines particules blanches qui envahit la terrasse et provoque un mouvement de panique parmi les clients qui se sauvent. Écran blanc. Brouillard qui s ‘amenuise et qui laisse deviner la mère bloquée dans les chaises avec ses deux enfants sur la terrasse alors que le père a saisi son smartphone avant de se réfugier à l’intérieur. Le voile se lève. Sur la station. Sur le couple. Chacun reprend sa place, mais rien ne sera plus comme avant. Le malaise, sans doute préexistant a pris forme. Un bloc de glace. Devant le danger il a fui, laissant femme et enfants, ne sauvant que le l’instrument qui matérialise le lien qui l’attache à un ailleurs demeuré en Suède. Il a fui, il le sait et il ne veut rien en savoir. Elle l’a vu fuir et elle veut en parler. Et tout à coup l’autre avec lequel on a construit, « l’autre en qui l’on croyait », l’autre le confident, l’intime, celui avec lequel la tentation mortifère de fusion était la plus grande, celui-là donc (re)devient une figure absolue de l’étranger au regard dérobé. Ce qu’on ne peut lui dire en face, on l’adressera, en sa présence, à des tiers, des compatriotes de passages qui seront contaminés par le syndrome d’un couple qui se déchire. Le pathétique de la masculinité qui s’érige en valeur absolue il est dans une scène de beuverie, au cours de laquelle des mecs, en tas, torses nus, se déchirent la gueule à la bière. Tout cela est dérisoire. On sourit et l’on rit devant ce pouvoir qui n’est que vacuité, vide et apparence et qui ne tient que parce que les femmes y consentent. Lucidité et magnanimité sont du côté des femmes qui regardent de manière distanciée, amusée et parfois attristée la comédie de la masculinité comme fondement du pouvoir. Comédie du pouvoir dont on sait par ailleurs qu’elle peut se transformer en tragédie, en guerre, en génocide. Si la vie est féminine, la mort, elle, est masculine. Encore une fois le sujet du film, grave, est traité avec humour. Comment ne pas éclater de rire à l’écoute des arguties de deuxième main du psy de service qui tente de sauver les lambeaux d’une image de la masculinité en berne ? Comment ne pas s’amuser des scènes de vrais-faux pleurs du mari qui semble découvrir le vide de son existence ?
Les femmes condescendantes à l’égard des hommes jouent de la partie en abandonnant l’apparence du pouvoir à des marionnettes dont elles ne sont pas loin de tirer les ficelles.
La Suède ? A deux brassées de la Martinique !

Fort-de-France, le 14/04/2015

R.S.