— Par Michèle Bigot —
Sic(k)
Théâtre à cru, Alexis Armengol,
Festival d’Avignon, off, 2014
Comme le suggère le titre, amalgamant les mots latins « sic » et anglais « sick », signalant pour le premier une citation et désignant pour le second la maladie, ce spectacle d’Alexis Armengol résulte d’un montage de citations et de témoignages, interrogeant ce qu’on peut parfois appeler une maladie, indissociablement celle du corps et de l’âme, la dépendance. Citations de Deleuze, de Duras, témoignages d’anonymes – selon le terme convenu pour les alcooliques- disant tout à la fois le plaisir et la douleur liés à ces substances qui nous servent à atteindre l’inatteignable ; ce que Deleuze appelle « quelque chose de trop fort dans la vie » . il s’agit non seulement de surmonter l’âpreté de la vie, le difficile rapport à l’autre, l’inexorable dégradation des corps et des relations, mais aussi d’atteindre à une forme supérieure de joie, lucide ou non, d’exaltation, de fête permanente. Pour les uns échapper aux conventions ou à la routine du quotidien, pour les autres suivre la voie de son désir, toute chose qui conduit à une condition supérieure à celle de l’homme ordinaire.
Le travail d’Alexis Armengol est particulièrement adapté à ce propos. Loin de tout discours médical ou socio-psychologique, il résulte seulement d’une enquête , avec un questionnaire guidant des entretiens semi-directifs. Mais à l’inverse de ce que recherche le sociologue dans son enquête, ce n’est pas la généralisation et encore moins la quantification qui est au bout de ce travail. Au contraire, la parole doit surgir dans toute sa vérité, parfois brutale, souvent surprenante, toujours inédite.
Ce n’est pas de pathologie, ni de dépendance dont il est ici question, c’est du manque, ou de l’aspiration à l’idéal, et accessoirement du tropisme naturel des humains pour les substances susceptibles de lui faire la courte échelle.
le texte final est le fruit d’une étroite collaboration avec l’ensemble de l’équipe. Nous n’avons plus affaire à un texte établi avant mise en scène, mais bien à une élaboration collective d’un langage théâtral global, fait autant de gestes, d’attitudes, de mimiques et déplacements, de jeux de lumières, de décor et d’objets scéniques que de mots.
La parole y est pourtant souveraine, et se présente comme fragments composés musicalement comme une véritable partition. Selon Alexis Armengol, « ces archives vivantes […] permettent d’interroger sous un angle inédit pour le compagnie la conjugaison de la réalité et de la fiction ». L’équipe a cherché une profondeur dramatique dans la mise en scène de la parole, puisque la voix naturelle des acteurs se double de fragments enregistrés en format audio ou vidéo, restituant le souffle, le grain les inflexions des voix originales, dans toute l’épaisseur de l’émotion vécue.
Avec ce spectacle, comme avec d’autres dans le off, on pense notamment à celui de Pepito Mateo, ou celui de Laurent Hatat, le théâtre francophone trouve un souffle nouveau dans le travail d’équipe et la recherche autour du langage, que ce soit sur la scène française ou francophone, québécoise avec Guillaume Corbeil et le théâtre PAP, ou la scène d’Outre-Mer ( L’Archipel en Guadeloupe, Compagnie Théâtre de la Ruche en Guyane, Centre dramatique de l’Océan Indien de La Réunion , Compagnie de l’Archipel de la Nouvelle-Calédonie).
Avignon, le 13/07/2014
Michèle Bigot