— Collectif —
A l’occasion de la Journée internationale de la visibilité transgenre, une tribune au « Monde » par Béatrice Denaes, coprésidente de l’association Trans Santé France, et signée par une centaine de médecins et de spécialistes de ce sujet, invite à mettre fin aux contre-vérités et désinformations concernant la transidentité.
Les transidentités sont-elles suffisamment visibles ? Sont-elles suffisamment connues et respectées ? La question se pose naturellement en ce 31 mars, Journée internationale de la visibilité transgenre.
Bien sûr, les transidentités, on en parle. Mais, depuis quelque temps, c’est aussi pour les rejeter, les discriminer, avec un angle d’attaque désormais inlassablement répété : le « scandale sanitaire » des enfants trans et l’« horreur » des retransitions. L’occasion de multiplier les fausses informations, les contre-vérités avec, pour finalité, de susciter la peur, la haine auprès de celles et ceux qui ignorent tout des transidentités et n’iront pas vérifier l’exactitude des propos.
A longueur de tribunes et d’interviews, quelques associations outrancières, ainsi que des personnalités qu’on connaissait ouvertes et bienveillantes, veulent faire croire que des discours radicaux légitiment les requêtes de changement de sexe, au prix d’un traitement médical à vie voire chirurgical (ablation des seins ou des testicules) sur des corps d’enfants ou d’adolescents.
Argumentaire nocif, voire transphobe
Les individus qui tiennent ces propos n’ont vraisemblablement jamais rencontré la moindre personne trans. Ces contre-vérités n’émeuvent pas le moins du monde certains médias qu’on imaginait plus respectueux de la véracité et de l’exactitude des faits. Ainsi, ils reprennent, sans vérification, l’argumentaire nocif, voire transphobe, de ces associations et personnalités dont l’idéologie semble justifier mensonges et désinformations.
Quelles sont ces contre-vérités ?
– Les enfants trans subissent des traitements hormonaux : c’est faux. Aucun traitement hormonal d’affirmation de genre n’est prescrit aux enfants. La seule réalité : vers 11-12 ans, à l’apparition de la puberté, si les évolutions de leur corps leur apparaissent insupportables, comme la poussée des seins ou de la barbe, les jeunes ados peuvent bénéficier de retardateurs de puberté, avec l’accord de leurs parents et pour une durée limitée sous surveillance endocrinologique. Ces médicaments sont utilisés depuis des décennies pour les jeunes cisgenres (non trans) dont la puberté s’avère précoce. En respectant les recommandations internationales d’usage, leurs effets sont entièrement réversibles.
– Les enfants trans peuvent subir des interventions chirurgicales : c’est faux. Aucune opération génitale ne peut intervenir avant la majorité. Seule exception : la torsoplastie (ablation des glandes mammaires) peut être pratiquée chez les grands adolescents s’ils ne supportent plus leur situation et s’imposent la douleur quotidienne de porter un binder qui enserre leur poitrine pour la rendre invisible. Cette intervention ne peut se faire qu’avec l’accord parental, évidemment, et une information médicale solide.
– Les détransitions (ou retransitions) sont de plus en plus nombreuses : c’est faux. Là encore, certains médias mettent en avant quelques cas ultraminoritaires. Les médecins spécialistes des transidentités reconnaissent avoir rencontré quelques personnes souhaitant revenir dans leur genre d’assignation ou se considérant plutôt non binaires, mais les chiffres sont très faibles.
Etre transgenre n’est pas un choix
Selon les deux principales études sur des cohortes importantes au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, le taux d’arrêt des traitements hormonaux chez les jeunes est au maximum de 2 %. Précisons que les retransitions ne sont pas liées uniquement à une « erreur de transition », mais assez souvent à des difficultés à vivre son genre ressenti à cause d’un environnement familial, professionnel ou sociétal hostile, d’une précarisation ou d’une discrimination insupportables.
– Les enfants trans sont influencés par les réseaux sociaux, le « lobby LGBT + », l’idéologie trans : c’est faux. Imagine-t-on un enfant de 4 à 8 ans sur les réseaux sociaux ou cliquant sur Google pour rechercher les mots « transidentité » ou « transition » ?
– Les transidentités sont une lubie, une mode : c’est faux. Clamons-le haut et fort : être transgenre n’est pas un choix. Qui peut honnêtement penser que l’on puisse choisir une vie marquée par les moqueries, remarques déplacées, mégenrages, rejets, discriminations, dépressions, tentatives de suicide ? Pensez-vous sérieusement qu’un enfant trans de 8 ans ait envie de suivre une « mode », alors qu’il est bien souvent seul dans cette situation à l’école ou dans sa famille ? Quant aux adolescents, comment imaginer que la prudence ne s’impose pas avant tout traitement ? Rien ne se décide avant plusieurs rencontres avec des professionnels, avec une écoute de qualité, une information reposant sur des bases scientifiques qui permettent un consentement libre et éclairé et un accompagnement individualisé.
Ce même argument de mode ou de lubie avait été développé dans les années 1970-1980 à propos de l’homosexualité. Non, être trans, non binaire ou homo n’est pas un choix, une lubie, une mode. En réponse à la honte de soi qu’on voudrait nous inculquer, c’est en revanche devenu une fierté. La fierté d’être cette personne qu’on ressent être au plus profond de soi-même…
Une minuscule minorité
– Il s’agit d’une véritable « épidémie » : c’est faux. Pendant des siècles, la transidentité s’est vécue cachée. Aujourd’hui, les personnes trans vivent au grand jour et peuvent donner l’impression d’une multiplication impressionnante. Evidemment, quand on sort d’une longue nuit… Mais les transphobes n’ont aucune raison de s’affoler : les trans restent une minuscule minorité. Malgré l’absence de recensement précis, une estimation tourne entre 0,7 % et 1 % de la population. Quant aux enfants trans, « il n’y a aucune épidémie, simplement une libération de la parole », confirme le docteur Jean Chambry, pédopsychiatre, responsable du Centre intersectoriel d’accueil pour adolescent à Paris (CIAPA) et président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
– Le suicide, les dépressions, les déscolarisations des enfants trans sont une légende : c’est faux. Tous les pédopsychiatres, psychologues de l’enfance, endocrinologues pédiatriques connaissent cette réalité des enfants ou ados trans qui, nés dans le mauvais corps, moqués, discriminés, se scarifient, se déscolarisent, sombrent dans une profonde dépression, font des tentatives de suicide (et quittent ce monde qui les rejette comme Fouad-Luna, Doona, Maxence et bien d’autres).
Différentes études montrent que plus des deux tiers des jeunes trans avaient « déjà pensé au suicide » et un tiers avait fait une ou deux tentatives, principalement de 12 à 17 ans. Des chiffres quasi identiques dans la population adulte trans : celle-ci a dix fois plus de risques de suicide que la population globale. A contrario, une étude de l’Académie américaine de pédiatrie, publiée en octobre 2021, montre une diminution de 60 % de la dépression modérée et sévère et de 73 % des tendances suicidaires chez les jeunes trans et non binaires ayant reçu des retardateurs de puberté ou des hormones d’affirmation de genre.
Cette visibilité de la transidentité, nous la souhaitons, nous la revendiquons, nous personnes trans et alliées, mais c’est malheureusement au prix des mensonges, contre-vérités, affirmations fallacieuses et injurieuses des traditionnels opposants à un monde ouvert, respectueux de l’autre et de la diversité.
Liste des signataires : Béatrice Denaes, coprésidente de Trans Santé France, journaliste, enseignante à Sciences Po, autrice de « Ce Corps n’était pas le mien. Histoire d’une transition tant attendue » (First Editions, 2020) ; Anne Bugnera, députée de la 4e circonscription du Rhône, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale ; Marie Cau, maire de Tilloy-lez-Marchiennes (Nord), première maire française transgenre ; Dr Agnès Condat, psychiatre, psychanalyste, coordinatrice de la plate-forme Trajectoires Jeunes Trans ; Pr Denise Medico, docteure en psychologie, professeure au département de sexologie de l’université du Québec à Montréal (Canada) ; Yolande Miel, maman de Maxence, garçon transgenre suicidé à 17 ans, autrice du livre Maxence ou le journal d’un mec bancal (Editions Paulo-Ramand, 2021) ; Dr Nicolas Morel-Journel, coprésident de Trans Santé France, chirurgien urologue, CHU de Lyon ; Maryse Rizza, présidente de Grandir trans, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, université de Tours ; Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess) ; Dr Vanessa Yelnick, médecin généraliste à Marseille, membre de Trans Santé France.
Les 100 autres signataires sont à retrouver sur https://trans-sante-france.org