— Par Anastasia Vécrin —
Consommer peut être généreux, et contribuer à la beauté du monde : c’est la proposition iconoclaste du dernier numéro de «la Revue du Mauss», que le sociologue Alain Caillé a coordonné.
« Shopping is cheaper than a psychologist », (Le shopping coûte moins cher qu’un psychologue): ce slogan publicitaire, utilisé par une marque de prêt-à-porter féminin, en 2012, laisse à penser que le fait d’acheter quelque chose pourrait avoir des fonctions thérapeutiques et souligne le rapport passionnel et personnel que l’on peut entretenir avec la consommation. Qu’est-ce qui alimente le désir de consommer ?
Au-delà des critiques du capitalisme et de l’individualisme auxquelles l’analyse de la consommation est souvent liée, le dernier numéro de la Revue du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) intitulé Consommer, donner, s’adonner (1) s’intéresse à la dimension du don que revêt le fait d’acheter quelque chose, avec toutes ses ambivalences et ses ambiguïtés.
Pour Alain Caillé, sociologue et directeur de la publication de la revue, la consommation peut être aussi en lien avec le partage, avec l’expression d’une singularité voire avec une «dynamique de la vie».
«Consommer, c’est donner» : c’est une provocation…
Nous avons voulu sortir du registre habituel disant que la consommation c’est mal, pour nous intéresser aussi aux liens entre le fait d’acheter quelque chose et l’esprit du don. Jusqu’à présent, la consommation a été pensée de deux façons majeures. La première s’attache au besoin. Les êtres humains sont vus d’abord comme des homo œconomicus qui cherchent les moyens de satisfaire leurs besoins matériels. La seconde souligne l’importance d’afficher par la consommation son statut social, ce que l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen appelait la consommation ostentatoire (2), ou Bourdieu, la distinction. Nous ne nions pas ces deux réalités mais nous avons cherché à les relativiser pour mieux comprendre ce qui nous pousse à acheter. La participation au don et à la donation apparaît alors fondamentale.
L’anthropologue Mary Douglas et l’économiste Baron Isherwood montrent, dans le Monde des biens (3), qu’un grand nombre de choses que nous achetons ne sont pas vraiment pour nous mais pour satisfaire nos obligations rituelles et tenir notre rôle de donateur: bien recevoir les amis, fêter les anniversaires, aider les enfants ou les parents… Nous avons l’obligation de faire vivre tout ce tissu de dons et de contre-dons qui fabrique l’existence sociale. Il n’est pas évident de chiffrer la part de ce que l’on donne ainsi. Quand on achète un beau mobilier pour son appartement, est-ce pour soi ou est-ce pour le montrer et en faire bénéficier ceux qu’on reçoit? Pas facile de démêler l’un et l’autre. à certains égards, il y a aussi une dimension de don à soi-même.
Dans l’acte d’achat, n’y a-t-il pas avant tout une part égoïste ?
C’est évident pour la plupart des cas. Mais ce que montre le poète et philosophe Henri Raynal dans l’ouvrage, c’est qu’il y a une autre dimension.