— Par Hélène Lemoine —
Sérgio Santos Mendes, né le 11 février 1941 à Niterói, dans l’État de Rio de Janeiro, et décédé le 6 septembre 2024 à Los Angeles, restera l’une des figures les plus marquantes de la musique brésilienne et internationale. Pianiste, compositeur et arrangeur de génie, Mendes a non seulement contribué à l’exportation de la bossa nova hors des frontières du Brésil, mais il a également su fusionner cette musique aux rythmes latins avec le jazz et la pop, créant un style musical unique qui a traversé les générations.
Les débuts au Brésil
Sérgio Mendes grandit à Niterói, au Brésil, dans une famille où son père est médecin. Très jeune, il se passionne pour le piano, qu’il étudie au conservatoire local avec l’objectif de devenir pianiste classique. Cependant, c’est la découverte du jazz qui le pousse vers d’autres horizons musicaux. Il commence à se produire dans les boîtes de nuit de Rio de Janeiro à la fin des années 1950, au moment où la bossa nova, un nouveau genre musical brésilien, voit le jour. Influencé par des artistes comme Antônio Carlos Jobim, son mentor, et João Gilberto, Mendes s’immerge dans ce mouvement, jouant régulièrement au Little Club, un lieu emblématique de la Beco das Garrafas, l’épicentre de la bossa nova à Rio.
En 1961, à seulement 20 ans, Mendes enregistre son premier album, *Dance Moderno*, qui marque le début d’une carrière fulgurante. Il fonde ensuite le groupe Sexteto Bossa Rio, avec lequel il collabore avec des légendes du jazz américain comme Cannonball Adderley et Herbie Mann. En 1962, il participe au mythique concert *Bossa Nova at Carnegie Hall* à New York, un événement crucial pour la diffusion de la bossa nova aux États-Unis.
L’exil aux États-Unis et la révolution de la Bossa Nova
En 1964, alors que le Brésil est plongé dans une instabilité politique à la suite d’un coup d’État militaire, Sérgio Mendes décide de s’installer aux États-Unis. C’est à partir de ce moment que sa carrière internationale prend son envol. Il forme un nouveau groupe, Sérgio Mendes & Brasil ’65, et enregistre deux albums avec Capitol Records et Atlantic Records. Cependant, c’est en 1966 que Mendes atteint une reconnaissance mondiale lorsqu’il rebaptise son groupe Sérgio Mendes & Brasil ’66. Le premier single du groupe, une reprise de la chanson *Mas que Nada* de Jorge Ben Jor, devient un hit instantané, propulsant la bossa nova sur la scène mondiale.
Le succès de *Mas que Nada* est fulgurant. Avec son mélange unique de samba, de bossa nova et de pop californienne, Sérgio Mendes & Brasil ’66 conquiert non seulement les États-Unis mais aussi l’Europe et l’Asie. Ce succès s’accompagne de collaborations avec de grandes figures de la musique américaine comme Frank Sinatra et Herb Alpert, ainsi que de performances télévisées dans des émissions populaires. Mendes devient un ambassadeur de la musique brésilienne, montrant au monde la richesse et la diversité des rythmes et des harmonies de son pays natal.
Une carrière en dents de scie, mais toujours innovante
Alors que les années 1970 marquent un certain déclin de la popularité de la bossa nova, Sérgio Mendes traverse une période plus calme sur le plan commercial. Ses nouveaux albums ne rencontrent pas le même succès que ses premières œuvres avec Brasil ’66. Néanmoins, l’artiste ne cesse d’expérimenter et de réinventer sa musique, continuant à puiser dans les racines brésiliennes tout en intégrant des éléments de jazz, de funk et de pop.
Son grand retour sur le devant de la scène se produit en 1984 avec le single *Never Gonna Let You Go*, qui atteint la quatrième place du Billboard Hot 100. Cette résurgence est confirmée par la sortie de l’album *Confetti*, qui contient notamment la chanson *Olympia*, composée pour les Jeux olympiques d’été de 1984 à Los Angeles. Pendant cette période, Mendes réussit à allier tradition et modernité, prouvant que la musique brésilienne pouvait évoluer avec le temps sans perdre son âme.
En 1993, Mendes reçoit enfin la reconnaissance internationale qu’il mérite avec l’album *Brasileiro*, qui remporte le Grammy Award du meilleur album de musique du monde. Cet album est un hommage à la diversité musicale du Brésil, explorant les rythmes du Nordeste tout en intégrant des influences urbaines comme le rap. Mendes montre ainsi sa capacité à rester pertinent et à s’adapter aux nouvelles tendances musicales, tout en restant fidèle à ses racines brésiliennes.
Collaborations et renouveau avec les Black Eyed Peas
L’un des moments les plus marquants de la fin de sa carrière survient en 2006, lorsqu’un jeune artiste du nom de Will.i.am des Black Eyed Peas, fan de longue date de sa musique, frappe à sa porte. Ensemble, ils réenregistrent *Mas que Nada*, cette fois dans une version moderne et rythmée, qui rencontre un énorme succès, notamment auprès d’une nouvelle génération de fans. Cet événement marque le début d’une collaboration fructueuse avec Will.i.am, ainsi que la sortie de l’album *Timeless*, qui met en lumière la capacité de Sérgio Mendes à rester pertinent dans le paysage musical contemporain.
Cette période montre une nouvelle facette de Mendes, celle d’un artiste capable de transcender les époques, d’expérimenter avec de nouveaux sons et de se réinventer tout en restant fidèle à son héritage brésilien. Mendes devient un pont entre les générations, rassemblant les amateurs de musique brésilienne traditionnelle et les jeunes fans de hip-hop et de pop moderne.
Un héritage immortel
Avec plus de 35 albums à son actif et des collaborations avec des icônes telles que Stevie Wonder, Frank Sinatra et Herb Alpert, Sérgio Mendes a laissé une empreinte indélébile sur la musique mondiale. Son influence va bien au-delà de la bossa nova : il a su créer un langage musical universel, mélangeant samba, jazz, funk, pop et musique urbaine.
En 2012, il est nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleure chanson originale pour *Real in Rio*, bande originale du film d’animation *Rio*. Toujours créatif, Mendes continue de surprendre avec son album *In the Key of Joy* sorti en 2020, où il explore de nouvelles sonorités en collaborant avec le rappeur Buddy. À travers ce projet, Mendes prouve une fois de plus qu’il est un artiste sans frontières, capable d’allier tradition et innovation.
En novembre 2023, Sérgio Mendes monte pour la dernière fois sur scène lors d’une tournée triomphale à guichets fermés à Paris, Londres et Barcelone. Entouré de son public fidèle, il offre des performances magistrales, témoignant de son amour pour la musique et son éternelle envie de partage.
La fin d’une époque, mais pas d’une légende
Sérgio Mendes s’éteint paisiblement le 6 septembre 2024 à l’âge de 83 ans, après avoir lutté contre les séquelles d’un Covid long. Jusqu’à ses derniers instants, il est entouré de sa femme Gracinha Leporace, son grand amour et partenaire musicale depuis plus de cinquante ans, ainsi que de ses enfants.
Son décès marque la fin d’une époque, mais son héritage musical demeure. Mendes a non seulement popularisé la musique brésilienne dans le monde entier, mais il a également montré que la musique pouvait transcender les frontières culturelles et générationnelles. Comme l’a dit son ami Herb Alpert : « Sérgio Mendes a fait découvrir au monde la beauté de la musique brésilienne avec élégance et générosité ». Sa musique, pleine de joie de vivre et d’optimisme, continue de résonner dans le cœur de millions de personnes, faisant de lui une légende immortelle.