— Par André Triboulet —
A vous lire, Monsieur (*), je peux légitimement me poser la question. Arrivé au péyi voici douze ans, prenant une place professionnelle dans une destination que j’avais délibérément choisie.
A Orly, la joie dans les bagages, l’agent de la PAF qui contrôle mon identité est originaire de Grand Rivière. Il plaisante au passage avec ses cousins douaniers Antillais. Bon voyage… Je fais donc partie de « l’arrivée régulière d’une population de race blanche », participe à « un génocide de substitution. » Serais donc responsable de l’exode bien triste d’une jeunesse en route vers des cieux plus relâchés. Je vous l’avoue, je suis resté coi à vous lire. Passant par Fort-de- France, je relis le calicot bien trop délavé sur lequel Aimé nous invite, nous adresse un horizon : « un jour, des hommes (noirs ?) de bonne volonté, feront au monde (noir ?) une face (noire ?) nouvelle. » Non, le Nègre fondamental, humaniste excédant toutes les insularités géographiques, intellectuelles et spirituelles, n’a pas fait de la Négritude un concept utile de combat fratricide. Non un combat juste et nécessaire pour sortir une population d’après-guerre, noyée dans toutes les misères ordinaires. S’il reste une pauvreté pudique et cachée, les temps ont tout de même changé, c’est vrai par le travail municipal et régional d’Aimé Césaire et de ses héritiers. Il reste à faire, beaucoup, c’est vrai aussi. Nous y reviendrons.
Un remède plus grave que le mal lui-même
Un détail au passage, un préfet, dans quelque département des territoires, ne fait pas une carrière de trente ans dans le même bureau, la règle de l’état impose un mouvement nécessaire. Alors, une sourde machination coloniale, voulue et agitée par tous les puissants Elyséens du boulevard Saint Honoré, à commencer par Charles de Gaulle qui barre le boulevard poto mitan des espérances dans notre ville capitale. Il serait utile de donner à cet axe un autre nom, soit. Mais une fois que nous aurons autodafé, qui les statues, qui les rues, qui les cendres, qui un écrit d’adolescent, qui une vie dissolue, etc., que ferons-nous de plus ? Je crois à la symbolique, elle éclaire un chemin, délivre de certaines insultes, cependant elle ne change rien aux situations si, localement, aucune indication forte et factuelle n’indique la direction. L’identité ne nourrit pas son homme a priori. Vous incluez les Békés dans votre apostolat identitaire, un droit du sol pardonné pour engager une raisonnable utopie. Ce repli, partout où il est de saison, amène dans son cortège plus de problèmes que de solutions. Donnant un remède plus grave que le mal lui-même. Parce qu’il exclut au lieu de rassembler.
Pour développer cette identité, mettons autour de la table toutes les forces vives de notre île. Pas pour raison de grève générale à qui il faut donner une réponse partielle, mais une réponse qui offre un nouveau cap. Le changement, tout « partiellement » accompagné par l’état « félon » ne peut s’instruire et se développer que de l’intérieur, avec les Békés, blancs, les Békés noirs, les Békés autres, les Blancs d’importation et toutes les bonnes volontés prêtes à réfléchir, puis agir. La voilà notre dignité créole. Entendre le nègre marron nouveau, celui qui nous indique qu’avec nos forces rassemblées nous pouvons changer le présent. Une amie DRH me disait récemment, juste sortie des risques de la pandémie mondiale, et pendant qu’on licencie avec méthode les statues, « Moi je licencie des personnes dont l’avenir est bien inquiétant et sombre dans le contexte. » Mais où est donc l’urgence ?
L’urgence est d’agir
L’urgence Monsieur, elle n’est pas à désigner une couleur aux responsabilités, mais d’agir, agir. Vous et moi, chacun à sa manière, portant notre responsabilité partagée, au seuil d’un espoir réel. Tous créoles, plus ou moins, de sang, de sol et d’adoption par ce peuple resté viscéralement joyeux et ensoleillé.
Opposer une action déterminée, farouche, aux guerres picrocholines du cénacle assemblé de nos plénipotentiaires qui jouissent sans vergogne de toutes les prébendes de la République. Qui nous donne un affligeant spectacle digne du pire de IVe République.
Enfin, je me le permets, vous êtes une bonne personne certainement, cherchant une lumière agissante. Cependant, si ce n’est pas votre propos, cette petite musique lancinante et redondante apporte une forme de permission d’en haut pour des actions en bas bien moins polissées. Un racisme, tout poli soit-il, reste un racisme. Attention Monsieur, à ne pas par mégarde intellectuelle, ouvrir le chemin au pire, dans un temps où tout va être très compliqué.
Le moteur de ces débats ? L’intuitive inquiétude de ceux qui savent ce que souffrir veut dire. Une inquiétude dont la couleur s’appelle, pour les plus fragiles, la misère quotidienne.
Alors « tchimbé rèd », Monsieur et moi aussi, « pa moli » et nous, tous aussi.
Pour conclure, ces quelques mots universels, « Faites le bien par petits bouts, là où vous êtes. Car ce sont ces petits bouts, une fois assemblés, qui transforment le monde » Monseigneur Desmond Mpilo Tutù.
Et, un mot de ma terre natale qui m’adopta également, un proverbe sénégalais, cité par Léopold Sédar Senghor, l’ami Sorbonien d’Aimé avec qui il exhuma à main nue la tragédie ontologique, « Nit moy garab u nit », « L’homme est le remède de l’homme ».