Sens Mêlés
Nathalie HAINAUT / Commissaire d’exposition, critique d’art / Mars 2011
« Chaque artiste comme chaque créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne. Chaque artiste, comme enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à cette époque. Chaque artiste, comme serviteur de l’art, doit exprimer ce qui, en général, est propre à l’art « .
Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier.
Sens mêlés, c’est avant tout les effets d’une rencontre. Celle de deux artistes peintres, l’un, autodidacte cultivé et investi dans la peinture, Olivier D, l’autre plasticien acharné et reconnu sur la scène internationale des arts visuels, Richard-Viktor SAINSILY CAYOL. Une rencontre et surtout la fusion des arts plastiques autour de la toile vierge pour deux hommes, deux enfants des îles de la Guadeloupe et de la Martinique qui revendiquent leur identité de « sang-mêlé » et font le libre choix d’unir leurs forces créatrices, en croisant les pinceaux pour en démontrer l’extrême fulgurance.
Sens mêlés, c’est ensuite une première, une exposition-événement pour laquelle ces deux plasticiens ont partagé un atelier dans le quartier de Paintini à Saint-Domingue, produit une série d’œuvres à quatre mains avant de poursuivre dans le même esprit, chacun de leur côté, avec une série de toiles de leur propre «cru». Aux cimaises, c’est une peinture chaleureuse qui émerge avec deux regards sur la nature des choses et du monde, sur l’ environnement caribéen rempli d’ histoires mêlées et son devenir dans un monde globalisé. Grâce à un nouveau langage polysémique riche en couleurs, formes et effets de matières «Sens Mêlés» devient une nouvelle proposition plastique, basée sur l’hybridation et le sens de l’art dans la société contemporaine.
RVSCOD 2011. Ce pourrait être le titre d’une fiction, il n’en n’est rien. Il s’agit de l’heureuse combinaison de deux expériences, d’une peinture en mouvement qui aborde la transformation de nos fragiles bouts d’ îles de la Caraïbe, des douleurs du passé avec ses cortèges de «non-dit», en un espace terriblement vivant, en perpétuelle construction, dé-construction, reconstruction. A la croisée des univers respectifs de ces deux artistes, il y a justement RVSCOD 2011, qui est en réalité la signature apposée au bas des œuvres à quatre mains réalisées par Richard-Viktor SAINSILY CAYOL et Olivier D.
L’exposition intitulée à juste titre «Sens mêlés», met aussi en évidence les résurgences propres à chacun de ces deux plasticiens, en même temps qu’elle éclaire par le biais de l’art, d’une peinture très interactive et contemporaine sur tout ce qui fait «ce que nous sommes», «sa nou yé» en créole. «L’éclat d’un peuple est d’arrimer la beauté de son lieu à la beauté de tout l’existant et de tous les lieux, dont il essaie de prononcer ou rédiger la chronique» écrivait Edouard Glissant dans Sartorius, Le roman des Batoutos *, formule qui correspond bien au dialogue éclatant perçu dans les œuvres produites. Conscients de la prise de risque encourue, nos deux peintres ont plutôt vécu cela comme une ouverture, une immense possibilité d’Oser, un mot qui revient souvent dans leurs échanges et qui transparait clairement dans la composition des toiles de grands et moyens formats.
Au fil des toiles, les glissements de sens s’enrichissent, favorisent la perception d’une pensée et d’une logique métisses, de l’hybridation et donc de la créolisation de notre monde avec sa quête incessante d’une modernité plurielle. De grandes croix abstraites aux ambiances de peinture pariétale pour certaines peintures, une cascade peut être évocatrice de la Maman de l’eau, commune à tous les îliens de cette partie du globe terrestre, des villes en construction, en filigrane les servitudes contemporaines, des paysages oubliés ou sublimés sont autant de sujets au cœur même de cette production plasticienne.
Olivier et Richard-Viktor disent avec ferveur, comment leur rencontre sur la toile s’est opérée, quasi spontanément, en mêlant leurs techniques, leurs matériaux et s’empressent-ils d’ajouter : «sans peur de recouvrir l’autre ! ». Véritable inventaire à la Jacques Prévert, voici de façon non exhaustive ce que l’on peut trouver dans presque toutes les œuvres: de la peinture acrylique, des collages, des morceaux de quotidiens déchirés, du tissu, des pièces de fer blanc découpées, martelées et cousues sur la toile, du tissu, du fil de cuir et du fil tout court, du sable venu de la Playa Grande sur la côte Nord, près de Rio San Juan en République Dominicaine, des algues, des bouchons en plastique, du crayon gras, du produit pour vitrail, du bois flotté, etc…
Les apports de chacun constituent un ensemble cohérent et pourtant inclassable qui donne un souffle nouveau à la peinture, laissent à celui qui regarde une impression de «contact» ou de prise directe avec une palette très colorée, comme pour mieux lire l’héritage du passé dans l’instant présent, tout autant que les promesses d’un avenir plus sensé. Au résultat, cela donne une forme de surréalisme d’un genre nouveau, nom de code RVSCOD 2011, propre à la rencontre d’ Olivier D et Richard-Viktor SAINSILY CAYOL sur la toile. L’univers horizontal, le milieu naturel marin dominé par des nuances de bleu du premier, vient tempérer ou souligner le propos plus urbain et axé sur le capitalisme environnant du second, chez qui la verticalité est plus affirmée.
Plus tard, dans les toiles individuelles Olivier D poursuit dans sa voie enrichi de ses expériences entreprises avec une série intitulée «Rejeté par la mer» mêlant peinture spontanée, sables et autres algues dans un hommage à la lumière, l’amour et l’océan qui abrite ces espaces de vie, appelés îles. Au dos de certaines toiles, pour faire encore plus sens, l’artiste a recopié certains extraits d’un livre de Michel Houellebeck, «La possibilité d’une île» qui ont marqué son esprit pour leur justesse et l’absurdité du monde évoquée. Quant à Richard-Viktor Sainsily Cayol, il revisite les univers urbains, retranscrit dans le détail son attention à ce qui l’entoure dans cette Outre-Mer. Il assemble, pratique l’intrusion dans la plupart dans ses travaux. Certaines œuvres sont incrustées de petits écrans vidéo diffusant des images en vrac et en boucle, processus qui lui a valu une distinction à la première Triennale Internationale d’Art Contemporain de la Caraïbe, à Saint-Domingue en octobre 2010.
La couleur est tantôt étalée au pinceau, déposée dans un coin de la toile, déversée avec son eau ou librement laissée à l’état de coulures. Puis, dans une dynamique surréaliste qui leur est propre, les associations libres se poursuivent avec les collages entrepris par chacun des deux plasticiens. Fer blanc cousu sur toile, morceaux de quotidiens dont émergent quelques gros titres pour l’un, tissu collé ou cousu, sables et algues pour l’autre, tout dans les œuvres à quatre mains comme dans les œuvres individuelles est articulé autour de la lumière et de sa place dans la maîtrise de l’espace pictural. Les contrastes de couleurs vives avec d’autres plus académiques, la brillance de certains espaces soulignés par l’effet de vitrail confèrent à l’ensemble une impression de jamais vu, où la peinture assure son rôle de chroniqueuse du temps qui passe..
Tel un manifeste, Sens mêlés est une invitation au dialogue entre deux artistes, une incitation au voyage intérieur et extérieur pour celle ou celui qui regarde. Un éclairage surprenant sur les possibles de la création au XXIè siècle se trouve ainsi porté aux cimaises. En matière d’art contemporain cette exposition unique, rigoureuse et efficace ouvre la voie à d’autres pratiques, d’autres hybridations. Puissante exaltation des processus créatifs croisés, cette aventure plasticienne d’un genre nouveau est amenée à se poursuivre au delà de la Guadeloupe et de Saint-Domingue, puisque le monde et l’art se mêlent, se mélangent, se mixent de plus en plus et que l’art contemporain poursuit inexorablement une quête de sens dans et avec son époque.
Nathalie HAINAUT / Commissaire d’exposition, critique d’art / Mars 2011