Pitié pour les véritables hommes de gauche martiniquais ! S’il y en a, yo ra kon zé kochon.
— Par Yves-Léopold Monthieux —
Ce n’est pas en citant Césaire matin midi et soir, en évoquant Fanon urbi et orbi sans suivre ses préceptes, en invoquant les mânes de Mandela sans que ne s’exerce en Martinique la moindre once de mandélisme, qu’on peut, sans être convaincu de forfaiture, se dire un homme de progrès. Ce n’est pas non plus en se référant jusqu’à plus soif à un Congrès du Morne-Rouge qui a été l’un des plus grands bides du mouvement communiste martiniquais, qui s’était voulu anticolonialiste et qui s’est finalement installé dans un assimilationniste toujours insatisfait. Ce papier vient en commentaire de commentaires parus sur le sujet. On se contentera sans doute de dire que c’est « courageux » et de faire le dos rond. Mais son auteur est prêt à croiser le fer avec qui le veut, comme disait sur sa télé Michel Branchi, pour ce qui le concerne. Une seconde fois, je lui dis « chiche ! »
Un lecteur affirme qu’« Aimé Césaire a bien dénoncé un “génocide par substitution” mais à l’occasion d’un projet concernant la Guyane, qui finalement ne se fera pas ». C’est presque mot pour mot ce que j’écris depuis 20 ans et qui a toujours été invisibilisé, à lire les différents commentaires sur le sujet. C’est vrai, on ne lâche pas sa proie, fut-elle chimérique. J’ai bien rappelé dans quelle circonstance Delépine l’avait écrit plus tard ; c’était à l’occasion d’un coup de colère contre des amis du PPM qui se gargarisaient de l’expression, comme ils savent le faire à tort et à travers sans avoir lu Césaire. Mais Edouard nous a quittés sans les avoir tous convaincus, loin de là.
J’ai toujours mentionné la date de la déclaration de Césaire : le 13 novembre 1975, que connaissait parfaitement l’historien puisque c’est lui qui m’avait dirigé vers les archives de l’Assemblée nationale. (Aucune autre date ne peut lui être imputée). Sauf qu’il avait alors fait la confusion avec les h’mongs, ce que je lui avais indiqué par la suite. Mais il n’avait pas été le seul historien reconnu à commettre l’erreur. Je ne citerai pas de nom.
Cette date du 13 novembre 1975 a son importance. Il n’était pas encore question de h’mongs (1977), mais fortement du BUMIDOM qui défrayait la chronique depuis plus de 10 ans dans tous les partis de gauche. Dans son discours écrit, Césaire s’était suffisamment attardé sur le sujet pour ne pas avoir eu à l’esprit le BUMIDOM qu’il n’a pas évoqué une seule fois. Il est impossible qu’il n’ait pas pensé à cette institution dont il n’ignorait rien et qui suscitait alors une controverse nourrie. D’autant qu’il avait eu de bons rapports avec le premier directeur du bureau local, un certain M. Lemonnier, qu’il recevait à son bureau. Dès lors ce n’est pas faire preuve d’interprétation abusive de son silence que de penser que pour Césaire la formule ne pouvait pas s’appliquer à la Martinique.
S’agissant de commentaires sur les indépendantistes de droite ou de gauche de la Catalogne, il me paraît essentiel de souligner que, sauf exception, la Martinique est la seule région sous-développée désireuse de quitter sa métropole. Tous les autres exemples proviennent de régions riches qui ne veulent pas, par pur égoïsme, partager avec leurs voisins plus pauvres. C’est la seule vraie raison qui anime la riche région de Catalogne, comme l’Ecosse et Québec en son temps … D’ailleurs, Césaire n’a jamais pris comme référence pour son désir d’autonomie que les régions intra-européennes d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne, jamais à ma connaissance une région située loin de l’Europe. Il n’avait en cette occasion jamais fait davantage référence aux notions de droite et de gauche.
Ce n’est pas un hasard si l’extrême-droite française et la gauche martiniquaise développent le même concept de « grand remplacement » et de « génocide par substitution », les mêmes produits d’un même panier. La distinction gauche – droite n’a pas en Martinique d’autre signification que d’installer des petits marquis, intellectuels présumés mais vrais assimilationnistes, dans un confort relationnel commode à l’intérieur duquel ils peuvent développer les comportements les plus vils, dont le racisme. Voir l’excellent article sur le site Fondaskreyol.org qui montre que la seule couleur de peau de Pap N’diaye a suffi pour faire accepter tous les refus jusqu’alors jugés inacceptables de la part de l’administration centrale et du gouvernement. Emmanuel Macron l’a bien compris, il a joué sur le « noirisme » et il a gagné !
Par ailleurs, l’histoire a retenu une expression qui parle aux adversaires proclamés des dictatures capitalistes : « tontons macoutes ». Sauf que cette engeance pousse en tous terrains et que le terme a pu être utilisé à bon escient en Martinique, sous l’autorité d’un capitaine connu, bien plus qu’en Guadeloupe. Seul le parapluie juridique colonial a peut-être épargné jusqu’à présent la Martinique du pire. Un confort judiciaire qui assure par ailleurs des protections à tous les niveaux de la société martiniquaise. D’ailleurs, c’est un dignitaire d’un grand parti qui a prédit avant sa mort que la Martinique était, selon lui, Haïti en puissance.
Pour en revenir à la ligne de partage gauche-droite, il suffit de s’en remettre au vocabulaire de confort pour se retrouver au diapason de l’idéologie, dominante sur les poitrines, minimaliste dans les cœurs et invisible dans l’action. On ne reviendra pas sur la couleur politique des uns et des autres, tous les hommes politiques ont fait une belle carrière avec des idées qu’ils n’ont jamais mis en œuvre, ou même tentés de le faire. Depuis les 50 dernières années c’est la gauche. Cela aurait pu être la droite.
Tout de même, se dire de gauche, d’extrême-gauche et/ou nationaliste, quel confort ! C’est facile, ce n’est pas cher et ça rapporte gros.
Fort-de-France, le 11 octobre 2022
Yves-Léopold Monthieux