Seize ans après le dépôt d’une première plainte, la justice a prononcé un non-lieu dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone. Dans leur ordonnance, les juges reconnaissent néanmoins un « scandale sanitaire » et considèrent qu’il s’agit « probablement du premier dossier judiciaire à traiter d’une pollution d’une telle ampleur ». Mediapart rend publique, en accès libre, cette ordonnance de non-lieu néanmoins historique.
LeLe non-lieu prononcé par la justice française dans le scandale du chlordécone, pesticide abondamment utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993 en Guadeloupe et en Martinique, n’en finit pas de faire réagir. Seize ans après le dépôt d’une première plainte, les deux juges d’instruction saisies du dossier ont prononcé la fin de leur enquête, qui ne débouchera donc pas sur un procès, le 2 janvier.
Comme l’a indiqué l’Agence France-Presse, les deux magistrates instructrices n’en reconnaissent pas moins que le recours au chlordécone est à l’origine d’un véritable « scandale sanitaire », sous la forme d’« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » des Antilles.
Dans leur ordonnance, les juges considèrent que « le dossier de la pollution au chlordécone, “ce monstre chimique” pour reprendre l’expression du député Jean-Yves Le Deault, est probablement le premier dossier judiciaire à traiter d’une pollution d’une telle ampleur, aux effets nuisibles d’autant plus graves et durables sur la santé, la flore, la faune, qu’elle a été provoquée sur un territoire insulaire ».
En l’absence de renvoi devant un tribunal, cette ordonnance extrêmement détaillée durant plus de 300 pages est un document pour l’histoire, car en proclamant la nocivité du chlordécone, elle sanctionne symboliquement le long déni des pouvoirs publics français.
Un déni qui fut assumé par Emmanuel Macron jusqu’en 2019. Lors d’une longue rencontre avec les élu·es de l’outre-mer, le président de la République affirma le 1er février, contre toutes les évidences scientifiques, que ce pesticide n’était pas une substance cancérigène (la vidéo, accablante, est ici).
« Les pièces et témoignages recueillis au cours de l’information judiciaire ont mis en évidence les comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane relayés et amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics », écrivent aussi les magistrates, en conclusion de leur enquête. Avant de motiver leur non-lieu par des raisons de droit.
« La portée symbolique de la justice pénale, dont on attend qu’elle désigne et stigmatise les auteurs d’infractions, a un corollaire, rappellent-elles en effet, celui d’en accepter le cadre strict et les contraintes exigeantes, d’en reconnaître les principes fondateurs et d’en admettre les limites constitutionnelles. »
Le non-lieu repose sur trois arguments :
- la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés », « commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes » ;
- le décalage entre la période à laquelle les faits ont été commis et l’état des connaissances techniques ou scientifiques à la même période (ce qui constitue un « problème récurrent dans les dossiers de santé publique et d’environnement », relèvent les magistrates) ;
- la difficulté d’appliquer des textes qui ont évolué dans le temps.
En raison de la portée de cette décision, Mediapart a décidé de publier, en accès libre, l’ordonnance rendue par les juges (pour accéder directement à la conclusion, se rendre à la page 316 de l’ordonnance) :