— Par Anne-Laure Barral —
Huit ans d’archives n’ont pas pu être jointes au dossier judiciaire qui s’est traduit par un non-lieu dans l’affaire de la chlordécone. La cellule investigation de Radio France a cependant pu établir que des alertes sur sa dangerosité avaient eu lieu dès 1981.
Patricia Chatenay-Rivauday espère toujours un procès dans l’affaire de la chlordécone. Elle n’accepte pas le non-lieu prononcé en janvier 2023 par les juges du pôle santé du tribunal de Paris. Cette travailleuse sociale de 57 ans, vice-présidente de l’association Vivre en Guadeloupe est atteinte de plusieurs maladies métaboliques. Elle a perdu au moins 11 proches, dont son père décédé d’un cancer de la prostate, et sa sœur d’un cancer du sein.
“Je me battrai jusqu’au bout parce qu’on est trop touchés dans ma famille. Même si un jour je ne suis plus là, je voudrais que mon fils continue le combat”, explique celle qui vit aujourd’hui dans un territoire toujours contaminé par la chlordécone. On y enregistre le plus haut taux de cancer de la prostate au monde, en particulier chez les travailleurs des bananeraies. Comme d’autres membres d’associations parties civiles dans cette affaire, elle a donc décidé de faire appel.
“L’ignorance des pouvoirs publics”
Lorsqu’elles ont rendu leur décision, les juges Brigitte Jolivet et Fanny Bussac se sont basées sur la prescription, tout en reconnaissant l’existence d’un scandale sanitaire. Elles évoquent un “monstre chimique” pour qualifier les insecticides à base de chlordécone utilisés aux Antilles pour lutter contre le charançon de la banane entre 1972 et 1993. Un produit qui a contaminé l’eau et les sols pour des décennies et qui a été détecté dans le sang de 90% de la population adulte aujourd’hui. Mais dans leur ordonnance, elles ajoutent qu’à l’époque, les intérêts économiques primaient sur les enjeux sanitaires et environnementaux, et, selon elles, ces “comportements asociaux” ont été “amplifiés par (…) l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques”.
Selon cette analyse, les données de la science, au moment où ces pesticides ont été autorisés, n’étaient donc pas celles dont on dispose aujourd’hui. Et pour en arriver à cette conclusion, les juges avaient demandé à plusieurs experts scientifiques quelles étaient les connaissances que l’on avait des effets sur la santé humaine de ces pesticides des années 70 à 90.
“Lorsqu’on regarde les études publiées dans la littérature scientifique, on savait près de 80% de ce que l’on sait aujourd’hui de la toxicité de la chlordécone”, affirme Jean-François Narbonne, le toxicologue qui a été consulté par la justice. Dès 1979, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) avait classé la chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme. Mais aux yeux des juges, cela n’était pas suffisant pour affirmer qu’on avait conscience des conséquences que son utilisation pouvait potentiellement avoir sur la santé.
Des archives disparaissent
Pour en arriver là, la justice a dû faire l’impasse sur plusieurs années d’archives, et…
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