—Par Robert Saé —
« Savoir vendre son image », « Savoir vendre son pays et sa destination » : voilà donc les formules magiques censées garantir la réussite individuelle et le succès économique pour tout pays. « Savoir se vendre !», la consigne est rabâchée en chœur par les politiques et décideurs adeptes du libéralisme. Le mot d’ordre est abondamment relayé par leurs économistes et journalistes autorisés.
Le plus tragique, c’est que l’endoctrinement se fait même dans les écoles primaires ! « J’apprends à créer MON entreprise ! Demain, je saurais vendre MON CONCEPT !» Cela …au CM2 !!!
Encore une offensive idéologique dont le but est d’inculquer une conception capitaliste et réactionnaire de l’économie et de cultiver l’individualisme égoïste sur lequel s’appuie le système.
Ceux qui ont été convaincus qu’ils doivent « savoir se vendre » tombent entre les mains d’une kyrielle d’entreprises de « relooking » et de « coatching » qui formatent leurs conceptions et leurs comportements selon les critères dictés par le système. L’apparence physique naturelle et l’identité fondamentale sont refoulées. Il faut se plier aux canons imposés par l’autre, se fondre dans le moule et copier l’image labellisée. Les conséquences en sont, évidemment, une aliénation accrue et dévastatrice pour les personnes piégées.*
Le message subliminal véhiculé par ces mots d’ordre est le suivant : « Si vous végétez c’est parce que vous n’avez pas osé vous lancer dans la création d’entreprise* et parce que vous n’avez pas su vendre votre image ou votre concept » ! Belle entourloupe pour culpabiliser les chômeurs ! Belle manière, pour les gouvernements, de se dédouaner quant à la conséquence désastreuse de leur politiques d’austérités! Nous sommes face à une manœuvre pernicieuse dont l’objectif est de maintenir, par le conditionnement, un système injuste et barbare, un système incapable de porter réponse aux besoins de vie de l’écrasante majorité de la population. Une chose est sure, en tout cas, « savoir se vendre » revient à accepter d’être acheté à bas prix et de laisser à l’acheteur le prix de la vente et ceux des politiques qui savent « se vendre » ou qui acceptent de « vendre leur pays » nous confinent dans un stock destiné à la liquidation.
Pour déjouer la manipulation idéologique à laquelle nous assistons, une intense contre offensive s’impose. A cet égard, les animateurs de médias alternatifs ou d’associations, les militants syndicalistes, les enseignants (etc.) peuvent jouer un rôle déterminant en vulgarisant les informations nécessaires et incontestables permettant d’appréhender lucidement la réalité et de cultiver des comportements alternatifs. Il s’agit de porter à la connaissance du plus grand nombre :
– les drames terribles vécus par les petits entrepreneurs* et les conséquences absolument dévastatrices de la course à la « compétitivité » entre individus et entre pays, en particulier la pauvreté que celle-ci induit pour le plus grand nombre.
– les innombrables actions alternatives menées de par le monde, la richesse des expériences coopératives, les bienfaits de l’économie sociale et solidaire et les avancées positives rendues possibles par les projets collectifs.
Apprendre à nous vendre ? Jamais !
Apprendre à partager, à coopérer et à commercer sur la base de l’intérêt réciproque? Toujours!
* Il ne s’agit pas de contester ni la nécessité de soigner son apparence ou d’apprendre les techniques de communication, ni le travail, tout à fait nécessaire et respectable, des professionnels qui y contribuent dans une bonne perspective.
*Ce n’est pas le principe de la création d’entreprise privée ou individuelle qui est remis en cause ici. Ceux qui en ont réellement les moyens et qui conçoivent leur activité dans le cadre d’un développement durable et solidaire sont un atout indéniable pour le pays.
* En Martinique : 29.000 micro-entreprises ont été recensées en 2010. Malgré les dispositifs sans cesse annoncés, l’écrasante majorité de celles ci se débattent dans d’effroyables difficultés. En France, sur les 2,1 millions des très petites entreprises (TPE), « 30% des TPE n’ont pas la possibilité de financer l’équivalent d’un smic annuel à temps plein, charges patronales comprises » et « le plus souvent, l’entrepreneur à la tête de la TPE ne se verse pas de salaire ou se rémunère en partie sur le résultat de l’entreprise » (Source IMSEPP).