— Par Léo Ursulet —
Monsieur le Président du Comité Exécutif de la CTM
Pour tous, l’échouage massif des sargasses sur les côtes des îles de l’Archipel des Antilles depuis plus d’une décennie est un fléau qui, jusque-là, n’a pu encore recevoir de parade satisfaisante. Ses effets réels sur le plan sanitaire ne cessent de s’aggraver pour les populations concernées qui finalement s’en trouvent littéralement piégées : elles ont de moins en moins les moyens de quitter les lieux vu la perte brutale immobilière subie par leurs habitations ; et ses effets sont de même dévastateurs pour l’activité touristique.
Les réactions à cette crise se multiplient sans qu’il y ait une perspective véritablement sérieuse de solution au problème. Des idées sont émises chaque jour, mais sans portée aucune quant au fond. Comme envisager d’utiliser les sargasses à la fabrication d’engrais (ce qui pour l’instant convainc peu vu leur teneur en métaux lourds), ou à la fabrication de briques pour la construction immobilière, ou encore à la fabrication de divers articles comme produit de substitution du plastic. Et j’en passe.
Mais l’essentiel est que soit interrompu cet arrivage massif des algues sur nos rivages lequel pourrait constituer un arrêt total de toute vie au voisinage de nos côtes : vie des habitants des côtes, pêche, aquaculture, santé du monde coralien etc.
À ce jour, les fonds publics investis dans la lutte contre les sargasses en Martinique comme en Guadeloupe comme du reste dans tout l’archipel, sont considérables, et l’on est loin de voir le bout du tunnel.
Combien de temps cela peut-il durer ? Cette situation est économiquement intenable ; au bout de ces dépenses, aucune issue fiable ne se dessine.
Quelle chance avons-nous d’arriver au bout de ce problème si nous persistons à ne pas nous rendre au niveau de ses causes ?
L’état de catastrophe naturelle n’est pas reconnu dans ce cas par l’Etat français, et nous ne démêlerons pas l’écheveau des dispositions juridiques fondant cette décision, situant notre problème sous un autre rapport.
L’échouage des sargasses sur nos côtes répond-il aux critères de ce que nous convenons de caractériser comme les effets d’une catastrophe naturelle ?
L’homme est-il absolument étranger à ce phénomène tel que nous le voyons évoluer aujourd’hui ? Le phénomène dans la région ne paraît pas nouveau. Au XVIème siècle, Christophe Colomb attestait déjà avoir observé d’importantes masses d’algues circulant sur l’océan dans toute la région des Caraïbes, du golfe du Mexique et au large de la Floride. Mais historiquement, si ces mouvements d’algues ont été observés épisodiquement sur les côtes caraïbéennes jusque dans les années 1990, ce phénomène n’a jamais eu l’importance avec les effets désastreux que nous connaissons depuis 2011. De surcroît, aujourd’hui, l’homme nous paraît singulièrement plus impliqué dans la genèse de ce phénomène.
En effet, des chercheurs américains de l’université de Floride du Sud conduits par le Pr Mengqiu Wang, ont certes observé les courants ascendants venus d’’Afrique de l’Ouest, découverte qui peut tout à fait justifier ces mouvements historiques des algues sargasses dans nos régions. Mais, également ils ont observé une situation beaucoup plus récente, celle-là : grâce aux nombreuses données satellitaires de la NASA recueillies depuis l’année 2000, ils ont observé le mouvement des sargasses, qui, nous assurent-ils, proviennent du nord de l’embouchure de l’Amazone, au large du Brésil. Elles sont les conséquences des très vastes opérations de déforestation de la forêt amazonienne pour le développement de l’agriculture intensive, et ce avec le recours de quantités massives d’engrais chimiques qui finissent dans les eaux de l’Amazone et de l’Orénoque, puis finalement dans l’Océan Atlantique. Ces engrais, par leur apport en azote, constituent des apports en nutriments qui renforcent la vitalité des sargasses au cours de leur voyage sur l’océan. Aussi dans les années 2015-2018, les échouages de sargasses sur les côtes caraïbéenes ont-elles été particulièrement importantes (beaucoup plus que tout ce qui avait été observé jusque-là) avec une quantité record en 2018.
Ces opérations de déforestation de la forêt amazonienne ont connu un essor spectaculaire sous le dernier mandat du président brésilien Bolsonaro au mépris des actions de protestations venues du monde entier. C’est tout de même un état souverain qui contribue à ce saccage et nuit aussi gravement à l’ensemble de ses voisins caraïbéens. Le droit international de l’environnement est ouvertement violé, lui qui vise à défendre et promouvoir l’environnement. « Il repose sur un principe de solidarité au nom de la protection du bien commun que représente l’environnement au sens large, pour les générations actuelles et futures. »
Monsieur le président de CTM, c’est ici que nous attirons particulièrement votre attention. Nous ne savons pas si la démarche a déjà été entreprise, aussi nous permettons-nous de vous la soumettre.
Sur votre initiative, cette question des sargasses ne pourrait-elle pas être soumise à l’une des deux institutions du CARICOM (dont la Martinique et la Guadeloupe sont membres associés), savoir la Conférence des chefs d’Etat ou le conseil des ministres caraïbéens ?
La période est particulièrement favorable : la campagne électorale présidentielle du Brésil se déroule jusqu’au mois d’octobre.
Si objectivement ce problème n’a presqu’aucune chance d’être bien reçu par le candidat BOLSONARO, ferme soutien des lobby de l’agriculture intensive que nous avons dénoncée plus haut, son challenger LULLA, vu sa réputation, pourrait, lui au contraire, prêter une écoute diligente à ses frères caraïbéens.
En tout cas, au regard des diverses données de cette question, qui ruinent depuis de longues années déjà nos efforts, cette initiative nous paraît présenter de l’intérêt et trancher avec tout ce qui jusqu’alors a été tenté. Nous ne pouvons continuer de gérer la question des sargasses sans réagir autrement devant le fait que depuis 2011, elle a pris une dimension beaucoup plus importante.
Recevez l’expression de mes considérations personnelles.
Fait à Schoelcher le 7 Septembre 2022.
Léo URSULET, historien