— Par Heidi Fortuné —
Il est des pays contre lesquels le malheur semble s’acharner. Haïti en est hélas l’un des tristes exemples. De l’asservissement à l’insurrection, les esclaves haïtiens chassent les colons français et fondent leur propre nation. Le monde occidental, en particulier, les États-Unis d’Amérique, la France, l’Angleterre et l’Espagne feront payer cher sa témérité pendant des générations à la première république noire d’avoir osé se rebeller. Ils ne reconnaîtront pas son indépendance qu’ils considèrent comme un mauvais exemple pour leurs propres esclaves et feront tout pour la rendre instable. Et depuis, c’est le chaos politique, le marasme économique, la mise sous tutelle, le pillage des richesses, le vol, la corruption, la mauvaise administration, ajouter à cela, les multiples catastrophes, à répétition, liées aux phénomènes climatiques. Le destin a toujours été cruel avec le peuple haïtien.
Privée d’État et d’élites, pillée par les étrangers et trahie par ses propres fils, Haïti est un pays martyr. Et des soi-disant amis de la communauté internationale portent une part énorme de responsabilité dans le désastre. Aujourd’hui, on a le sentiment de vivre dans un territoire délaissé des pouvoirs publics au profit des bandes armées. Combien de personnes vivent encore chez elles à Port-au-Prince? Combien ont quitté leurs domiciles pour ne pas se faire massacrer? Des quartiers et des villages se vident chaque jour au rythme des avancées alarmantes des bandits. Le gouvernement laisse faire, les médias grand public se taisent carrément. La population est livrée à elle-même. Les citoyens sont aux abois. Partout, c’est la peur et le désespoir. Même les Nations-Unies se désolidarisent. Et soudain, comme à chaque fois quand ça va mal, se met à dégager une énergie collective plus entrevue depuis longtemps… Le peuple crée un mouvement spontané de résistance consistant à traquer et tuer les bandits.
Les avantages que cette réaction populaire apporte ne sont pas à ignorer. Non seulement, elle soutient une cause morale qui est d’éradiquer le banditisme mais aussi, elle se justifie comme de facto une expression de souveraineté populaire. Toutefois, ceux-ci sont moindres par rapport aux dangers qu’elle peut engendrer, vu son caractère inique et illégal. Il est prescrit: »Nul ne peut se faire justice lui-même ». Dans toute société démocratique, l’État monopolise le pouvoir de punir en interdisant toute forme de justice privée, étant tenu de garantir le droit à la vie (art 3 DUDH). Mais, qu’en est-il lorsque ce même État manque à son obligation et à sa responsabilité? Que doivent faire les citoyens quand, de connivence, le gouvernement s’abstient de prendre des mesures pour prévenir et punir les bandes de malfaiteurs? Quand tout va mal, il n’y a pas trente-six solutions, c’est la révolte générale.
Certains diront que la justice populaire ne doit, en aucun cas, se substituer à l’autorité judiciaire. La vérité c’est que l’autorité judiciaire haïtienne n’a pas la confiance du public. On oublie trop vite les horreurs commises par les brigands. Des policiers coupés en petits morceaux, des personnes décapitées, une famille brulée vive un dimanche matin, des femmes et des jeunes filles violées, les enlèvements contre rançon devenus de simples faits divers… Chaque jour, on attend sans espoir, se demandant instamment à quand son tour car au bout du compte, personne n’est épargnée. Non, la réaction de la population n’est pas de la barbarie par rapport aux violences qu’elle a subies des gangs ces derniers temps. Face aux ennemis qui menacent son existence, le peuple haïtien doit s’unir à chaque fois et il n’appartient à personne de lui dicter sa réaction.
Par contre, la tendance actuelle consistant à exécuter une personne sous prétexte qu’elle est de mèche avec les bandits présente un danger pour celle de qui elle émane: la société. C’est une orientation inquiétante qui se doit d’être arrêtée sinon, elle risque de devenir une pratique incontrôlable. Si au départ, la réponse des citoyens est perçue comme un moyen d’auto-défense et un message adressé aux apprentis délinquants et futurs hors-la-loi, elle ne doit pas cependant aboutir à l’anarchie. Qu’on le veuille ou non, il y aura une nouvelle Haïti fondée sur l’ordre et la justice. Les signes et les messages ne laissent aucun doute. Les choses vont changer, nous en sommes certain. La situation d’aujourd’hui n’est pas une fin en soi, mais un moyen de nous projeter vers un égrégore spirituel pour parachever la recomposition d’un nouvel ordre politique, économique et juridique. Quoique marginalisée et dominée, Haïti reste un mythe. Et la renaissance viendra inexorablement!
Heidi FORTUNÉ
Cap-Haïtien, Haïti, ce 22 mai 2023
http://heidifortune.blogspot.com/