Intégrale inédite 1951 -1954 (CD paru chez Aztec Musique en février 2023)
Qui se souvient aujourd’hui de Sam Castendet, clarinettiste et chef d’orchestre, qui méritait d’accéder à la notoriété d’un Benny Goodman de la biguine ?
C’est grâce à l’érudit Jean-Pierre Meunier, zélé compilateur pour Frémaux & Associés qui œuvre aussi ici, que l’on avait redécouvert Sam Castendet, auteur du subtilement subversif Martinique 1948, qui raille l’état post-colonial à l’heure de la départementalisation. Trois ans plus tard, la mélodie de la biguine (sa spécialité, qu’il aime métisser au bon vieux jazz) intitulée Martinique Moin Chérie navigue dans les mêmes eaux. C’est l’une des nombreuses perles de cette anthologie, qui met la focale sur une période où le clarinettiste quitte la direction de l’orchestre de La Canne à Sucre pour fonder en 1952 son propre cabaret, Le Fort-de-France. Dès 1954, l’expérience tournera court, mais il en reste des traces avec ces 19 ultimes faces, qui remettent à sa juste place ce fort en thèmes.
Musicien historique des Antilles, Samuel Castendet est un instigateur de la gaieté, du plaisir, de la volupté propres aux danses des climats tropicaux.
Il naît le 30 décembre 1906 à la Martinique. Sa mère est sage-femme et son père charron. Il se prend de passion pour la musique vers l’âge de douze ans, en entendant le clarinettiste Stellio accompagner les films muets au cinéma Gaumont de Fort-de-France. Sa mère lui achète une clarinette le jour de ses seize ans. Il ne cesse dès lors de travailler seul son instrument, recueillant un rapide succès au sein de petites formations d’amateurs.
Arrivé à Paris en août 1924 pour se former au métier de mécanicien, Sam est rattrapé sept ans plus tard par la musique. Fin octobre 1931, un concours de circonstances lui permet d’être engagé comme chef d’orchestre pendant les trois dernières semaines de l’Exposition Coloniale à Paris. Il remplace Stellio parti plus tôt s’occuper du “Tagada-Biguine”, son cabaret antillais. Pour Sam, le succès est au rendez-vous et ne le quittera plus après la fermeture de l’Exposition le 15 novembre 1931.
Sa carrière commence par deux mois à “La Boule Blanche”, suivis d’une tournée de deux années dans une dizaine de villes du sud de la France. Rentré à Paris en 1934, Castendet dirige jusqu’en 1936 la formation de jazz qui alternait avec celle de tango au dancing “Le Mikado”, boulevard de Rochechouart. En juin 1936, peu avant de partir au Touquet pour la saison d’été, il enregistre ses deux premiers disques : quatre faces mythiques où se révèle tout son talent de chef d’orchestre, tant en biguine qu’en jazz. Aucun autre disque ne suivra jusqu’à la fin de la guerre. En 1937 et 1938, Sam est engagé en Suisse puis revient à Paris en 1939. À la déclaration de guerre, il est mobilisé, envoyé au front, fait prisonnier près de Nancy. Il parvient à s’évader et revient à pied à Paris en se cachant. Pendant l’occupation allemande, il reprend une activité musicale à la brasserie de “La Cigale” et à la salle de “L’Élysée-Montmartre”.
Après la Libération, de novembre 1946 à novembre 1951, Sam Castendet devient durant cinq ans le chef d’orchestre de “La Canne à Sucre” à Paris, fondant la réputation de ce cabaret prestigieux qui a marqué l’histoire de la musique antillaise. Début 1952, rue Molière, il ouvre son propre night-club “Le Fort-de-France” qu’il gardera un an et demi. Pendant tout le mois de mars 1954, c’est ensuite une grande tournée en Afrique centrale où il est accueilli comme un roi. De décembre 1946 à décembre 1954, en huit années seulement, il aura produit la quasi-totalité de ses disques : 53 faces de 78 tours. Comme on l’entendra dans les interviews qui complètent cet album, Sam Castendet était aussi une forte personnalité attachée aux valeurs sociales, toujours prête à s’indigner publiquement contre la misère et les injustices.
Le présent ouvrage rassemble les dernières 19 faces de Sam Castendet, en majorité des biguines aux mélodies limpides, où sa joie de vivre éclate de la première à la dernière note. Il chante avec beaucoup d’humour les paroles de ses compositions. Grand admirateur de Stellio – l’inventeur historique de la clarinette créole –, il ne lui cède en rien, trouvant des traits originaux (liaisons de notes, intonations, effets d’anche…) d’une exquise saveur musicale, comique ou sentimentale. Quand il est à la batterie c’est son double, Maurice Noiran, qui le relève, autre génial et discret clarinettiste bien trop oublié. Les quatre séances de cet album sont marquées par la présence du tromboniste Pierre Rassin. Sa sonorité brillante, ses contrepoints fulminants distillent cette énergie qui rappelle les généreuses cadences du trombone d’Archange Saint-Hilaire ponctuant la clarinette de Stellio à Paris en 1929.
Peu après avoir animé avec son orchestre deux carnavals à la Martinique en 1961 et 1962, Sam Castendet prend la décision de se retirer de la musique et devient chauffeur dans un ministère. Il meurt à Fort-de-France des suites d’un AVC le 18 janvier 1993, au cours d’un séjour de vacances à la Martinique.
Jean-Pierre Meunier, collectionneur, biographe, historien de la musique des Antilles Françaises, est le réalisateur de cette compilation des derniers disques inédits de Sam Castendet. Après les rééditions d’Alexandre Stellio, Eugène Delouche, Barel et Honoré Coppet, et de beaucoup d’autres… il poursuit chez AZTEC Musique son travail de réhabilitation des trésors perdus de la biguine créole.