—de Roland Sabra —
Salam Shalom ( Arshav)
Arshav voilà le mot que l’on a envie d’ajouter au beau titre que nous offre Widad Amra. Shalom Arshav, la Paix Maintenant, est en effet un mouvement extra-parlementaire fondé en 1978 par 348 officiers de réserve et soldats de Tsahal qui, inquiets de l’évolution politique, déclaraient : « nous aurions du mal à accepter un gouvernement qui préférerait exister dans les frontières du « Grand Israël » plutôt qu’exister en paix avec ses voisins. Un gouvernement qui préférerait les colonies au-delà de la ligne Verte au règlement de ce conflit historique par la normalisation des relations dans notre région nous poserait un problème quant à l’attitude que nous devrons avoir. Une politique qui provoquerait la perpétuation de la domination d’un million d’Arabes porterait atteinte au caractère juif et démocratique de l’Etat, et nous aurions du mal à nous identifier avec la voie choisie par l’Etat d’Israël. »
L’opuscule que nous livre Widad Amra est singulier. D’abord parce qu’il s’agit d’un texte personnel, tout à fait particulier, écrit à la première personne, ensuite parce qu’il sort totalement de l’ordinaire et qu’il mérite d’être remarqué par ses traits peu communs, et enfin parce qu’il recèle une densité, une épaisseur assez rare.
Il ( ou elle) peu importe lui a téléphoné d’israël, pour lui faire part de son découragement, de son accablement après tant d’années de luttes aux côtés de Shalom Arshav et si peu de résultats. Il ( ou elle) pleurait, songeait à la mort, au fond du désespoir. » Ta voix a répété l’envie d’une balle dans la tête« . Le livre que lui dédit Widad Amra est une longue lettre d’amour. Elle lui dit : « Je caresse l’écho de ta voix. De cela ni les dogmes ni les armes ne sauront me priver. Je prends tes mots au cœur de mes entrailles, Et je les garde dans le désespoir de l’attente. » Si le poème, est construit autour d’une alternance d’exposition entre la douleur des uns et celles des autres, il sait nous éviter de la poser comme une équivalence, il met en avant la singularité d’une écriture qui refuse obstinément, de verser dans le machiavélisme. L’écrit de Widad Amra accueille et projette à la face du lecteur, la souffrance sourde et informe de celles et ceux qui, des deux côtés du mur se battent pour la paix, revendiquent une Terre pour deux Peuples.
S’il est des écrivains qui versent dans la surcharge, accumulent les mots, comme des pierres prêtes à la fronde, qui empruntent à la peinture la technique de l’ajout, Widad Amra, elle, emprunte, à la sculpture. C’est parce ce qu’elle ne dit pas, mais qu’elle suggère, c’est dans ce qu’elle ôte et dans l’élision que l’émotion emporte le lecteur. La lecture s’arrête au détour de la phrase, au débusqué d’un vers libre, interloquée, suspendue comme devant la clairière qui, tout à coup, dans la noirceur de la forêt se découvre, dans ce qui se laisse à entendre dans ce qui n’est pas écrit. Il y a là comme un profond respect pour le lecteur qui, se sent invité, à construire, à inventer le sens de la situation. A la brûlure des mots, l’auteure ajoute le silence glacial de l’effroi qu’ils suscitent. Ceux qui ont travaillé en prison le savent, c’est en cellule que les poètes sont lus, pour la liberté dont ils sont porteurs. Ce en quoi Widad Amra est une vraie poétesse est ce style qui épouse ce dont elle nous parle, à savoir le refus de l’enfermement dans des dogmes et l’appel charnel à la reconnaissance de l’autre comme nécessité vitale à la construction de l’identité.
Widad Amra avec « Salam Shalom » fait cadeau d’ un beau livre, d’une densité peu commune, bouleversant, chargé d’une émotion débordante et longtemps après avoir refermé la dernière page, les cris de cette plume griffent encore.
Roland Sabra