Retour sur la visite E. Plenel mardi 24 mars, à 18 h 45, à la BU du campus de Schœlcher, sur le thème « Journalistes et société »
— Par JMH —
Il 18 h 45 quand j’arrive à la BU la salle est pleine, des dizaines de personnes attentives sont venues écouter Edwy Plenel venu en Martinique dans le cadre très officiel de la semaine de la presse. Le thème est la liberté d’expression. Le dispositif est un peu fermé : cinq étudiants sélectionnés à l’avance posent des questions convenues pas vraiment dérangeantes pour celui que quelqu’un qualifiera de « Martiniquais »compliment suprême pour un français venu de France.
On reviendra longuement sur l’engagement de son père lors des événements qui touchèrent la Martinique en 1959 on aura compris il s’agit de faire l’éloge du grand homme.
Edwy ne boudera pas son plaisir, il gardera la parole près de deux heures sans notes. Son discours tient un peu du prêche œcuménique et se veut pédagogique. Il fait l’éloge du multiculturalisme anglo-saxon avant de critiquer le modèle laïque français, incapable selon lui d’assumer son passé colonial.
On peut certes accepter cette critique pour Nicolas Sarkozy. On se souvient en effet du scandaleux « discours de Dakar » ou celui-ci affirmait que « l’homme africain n’était pas rentré dans l’histoire » mais aussi de la tentative de la droite de faire entrer dans la loi « les côtés positifs de la colonisation », mais soyons sérieux, les programmes d’histoire ne font plus l’impasse depuis une trentaine d’année sur les crimes de la colonisation.
En tant que lecteur de Mediapart j’avais décidé de lui poser quelques questions. Edwy Plenel avait été frileux pour soutenir Charlie. Je prenais soin auparavant de saluer la place aujourd’hui incontournable qu’a prise Mediapart dans le débat démocratique. Ma première question portait sur le concept d’islamophobie. Je demandais donc à notre grand homme s’il n’y avait pas eu un glissement sémantique : on parlait il y a encore dix ans d’antiracisme, peut-on critiquer l’islam sans être qualifié de « raciste » ou « d’islamophobe » ?
Puis je lui demandais de préciser sa pensée – Il avait qualifié sur Canal + de « provocateur », le positionnement de Charlie – Je l’interrogeais donc sur le droit au blasphème. Puis j’évoquais les propos de personnalités laïques de culture musulmane telle que la journaliste Zineb El Rhazoui, chargée de la rubrique « religion » à Charlie Hebdo et menacée de mort par une fatwa. Celle-ci se plaignait en effet d’être isolée dans son combat contre l’obscurantisme et critiquait ceux qui à gauche, au non du refus de l’islamophobie, renoncent à la critique des préjugés religieux. Le rôle d’une presse libre et de gauche n’est-il pas d’être du côté de ceux qui combattent le fanatisme?
M. Plenel ne se défilera pas. Il renvoie à son livre « Pour les musulmans » (éd. La Découverte), mais néanmoins donnera quelques éléments de réponses que l’on peut résumer ainsi : l’ Islamophobie, le terme est désormais admis, le président Hollande l’a lui même employé . (Le concept est ambigu selon moi, on peut critiquer les religions, sans pour autant être raciste.)
Il est Charlie et ne l’est pas – La solidarité se partage-t-elle ?- Il n’est pas question de blesser ces « pauvres musulmans » en critiquant la religion. Ils en subissent déjà assez comme cela.
Il ne s’agit de nier les discriminations dont sont victimes les populations des quartiers populaires qu’elles soient d’origine africaine ou maghrébine mais le positionnement d’Edwy Plenel n’est il pas un peu condescendant ? Ces populations sont-elles condamnées à perpétuer les archaïsmes véhiculés par les intégristes de tout poil ? Peut on les cantonner à leur seule appartenance religieuse ?
C’est l’occasion pour Edwy Plenel de revisiter la célèbre phrase de Marx : « la religion c’est l’opium du peuple » pour n’y voir que le rôle « consolatoire » que celle-ci peut jouer et finalement peut on le regretter ? – Edwy Plenel semble avoir oublié le concept d’aliénation – Les croyants ayant pris selon lui eu une place active dans la lutte anticolonialiste, notre « saint homme » fait alors l’éloge des religions. Que fait il du rôle des missionnaires ?
Si l’on résume ce que pense Plenel, on est donc bien loin de la pensée libertaire et de la libre pensée et l’on comprend mieux la condamnation de la ligne éditoriale de Charlie qualifiée dans certains articles de Mediapart de raciste et d’islamophobe. Cette critique de Charlie a d’ailleurs été reprise depuis par Emmanuel Todd. Plenel réitère enfin sa condamnation du blasphème.
La Une de Charlie pourtant très consensuelle d’après les attentats « Tout est pardonné » ne trouve pas non plus grâce à ses yeux, il trouve la caricature du prophète « raciste ». Lutter contre l’islamisme politique serait-il raciste ? Qu’en est-il de la défense de la liberté d expression? Je ne suis pas vraiment convaincu qu’on la défende de cette manière. A vouloir ne blesser personne n’en n’arrive-t-on pas à renoncer à des valeurs essentielles ? A la sortie de la réunion je reste dubitatif : la salle semble conquise et l’applaudie longuement,
une triste leçon à mon avis pour la jeunesse donnée par celui qui a été envoyé en Martinique par l’Education nationale dans le cadre de la semaine de la presse et qui porte la bonne parole aux étudiants de l’UAG, je pense aujourd’hui aux lycéens de Saint-Maur – des – Fossés (Val-de-Marne), menacés de mort pour avoir exprimé leur solidarité avec les victimes de l’attentat. Mais restons consensuel « tout est pardonné »
Reste néanmoins la réussite que constitue Mediapart ainsi que le rôle que joue le journal en ligne dans l’affirmation d’une presse « libre et indépendante « .