« Sacco & Vanzetti » au TAC : avons-nous vraiment besoin de héros?

Jeudi 9, Vendredi 10, Samedi 11 Octobre 2014 au T.A.C.

sacco_&_vanzetti-3—Par Roland Sabra —

Théâtre Aimé Césaire (T.A.C.)

A évoquer Sacco & Vanzetti on risque fort de s’entendre répondre qu’il s’agit d’une chanson de Joan Baez. Point final. Bien rares sont ceux qui évoqueront le poème d’Aragon écrit dans la désillusion à la suite de l’échec d’une manifestation à Dieppe, appelée par le PC. Pas plus nombreux seront ceux, surtout dans les jeunes générations qui connaîtront l’histoire de ces deux anarcho-syndicalistes accusés de braquages et de crimes dont ils sont innocents et exécutés par électrocution en 1927 à la prison de Cherry Hill aux Etats-Unis.

La pièce d’Alain Guyard commence quelques heures avant l’exécution de Nicola Sacco. Affaibli par une longue grève de la faim de 26 jours, il voit apparaître, réalité hallucinée ou pur délire, Bartolomeo Vanzetti avec lequel il revisite leur passé proche. Le procès bidon, les faux témoins, les chantages des policiers, la haine d’une bourgeoisie anglo-saxonne vis à vis d’immigrés latins, les reniements sous la contrainte d’anciens camarades, la corruption d’une classe politique aux abois, l’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme comme moyen de réduire l’espace démocratique, défilent au travers des scénettes dialoguées qu’ils jouent comme pour exorciser une fin inéluctable. Le texte d’Alain Guyard est le fruit d’un travail collectif fait d’échanges et de débats avec des camarades de travail et des compagnons libertaires. C’est très clairement un texte politique. Il en a les forces et les faiblesses.

Tout d’abord il y a le rappel d’une réalité aujourd’hui oubliée qui est celle de l’existence d’un fort mouvement anarcho-syndicaliste aux États-Unis  à la fin du XIXème etau début du siècle dernier. La grève générale du 1er mai 1886, impulsée par les anarchistes pour imposer une journée de huit heures est largement suivie. La fête du travail retiendra cette date.  La mise en place d’une production taylorisée sera la réponse technologique à long terme à cette montée de la combativité ouvrière. C’est une des fonctions des révolutions technologiques que d’opérer une recomposition organique des salariés en brisant les figures identificatoires à travers lesquelles se mènent les luttes. La mise en place de ces solutions prend du temps.  La première réponse de la classe dominante quand elle est contestée est comme toujours celle de la violence répressive, qu’elle soit directe, assassinat de militants ouvriers ou indirecte quand elle prend la forme d’une criminalisation du mouvement social qu’elle combat. A ce titre la pièce « Sacco & Vanzetti » en est un bon exemple d’une grande efficacité. Elle ne recule devant rien pour dénoncer le cynisme d’une classe dirigeante, illustrée par le gouverneur de l’État du Massachusetts qui sacrifiera sans états d’âme les deux innocents en échange d’un retour à une paix sociale à laquelle aspirent les possédants. Instrumentalisation d’individus qui fait étrangement écho à la constitution du mythe héroïque que réalise dans le même temps l’attitude de Bartolomeo Vanzetti.

En effet on peut faire un pas de côté, délaisser un moment la thématique de la dénonciation d’un système qui broie les individus etc. pour s’intéresser à une autre dialectique celle qui oppose Sacco à Vanzetti. S’ils sont tous deux immigrés italiens, l’un est cordonnier, l’autre marchand de poisson, et engagés dans le même combat politique bien des choses les différencient. Alors que Sacco est encore au bord de illettrisme, Vanzetti apparaît comme l’intello du couple. Si Sacco est le prototype de l’anti-héros, Vanzetti est une figure de l’héroïsme révolutionnaire. Il est celui qui écrit au juge qui l’a condamné «  Si cette chose n’était pas arrivée, j’aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J’aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n’aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre vendeur de poissons, c’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. » Testament politique que reprendra textuellement Joan Baez dans la chanson bien connue. Sacco lui, ne veut pas de la mort. Il en a peur. Il voudrait retrouver sa femme, sa fille chérie. Il est celui qui, humain trop humain voudrait sauver sa peau.

Alain Guyard a clairement choisi son parti celui de Vanzetti, même s’il affirme par ailleurs que « … Vanzetti comprend que la plus grande des épreuves qui l’attend n’est pas de faire triompher la révolution par son sacrifice. Ce sera d’aider son frère Sacco à mourir en homme libre… » Sauf que ce « mourir en homme libre » contribue totalement à la construction du mythe du héros qu’il a tenté de déconstruire dans l’opposition Sacco-Vanzetti. Cette déconstruction est derridienne : elle n’est pas démolition, elle en fait jaillir le sous-texte.  La mise en scène de François Bourcier participe elle aussi de ce modèle du militantisme en vogue au siècle dernier. Elle ne fait pas dans la dentelle, dans l’allusif, elle est clairement dans le démonstratif. Ampoules qui grésillent lors des essais de la chaise électrique, ombres projetées des barreaux de cellules, vidéos illustratives, bruits de chaines et de lourdes serrures soulignent et surlignent en même temps le texte, sans espace de respiration, sans cette distanciation nécessaire qui permet au spectateur d’aller de lui-même vers le propos. Il y a comme un effet de décalage entre un texte qui se veut révolutionnaire, qui appelle à un ordre nouveau et une forme théâtrale somme toute assez classique, très datée milieu du XXème siècle.

Les deux comédiens, véritables caméléons endossent avec aisance les différents rôles, et différents les personnages des scénettes qu’ils jouent. Ces deux là font la pair. Il est clair que la complicité qui les lie ne date pas d’hier. Mais paradoxe (!) c’est peut-être cette machine un peu trop bien rodée, un peu trop bien huilée dans laquelle la mise en danger n’est plus, recouverte par des attendus et des conduites convenues, qui suscite une réserve dans l’appréciation du travail proposé.

Enfin comment ne pas évoquer un autre spectacle que le T.A.C. nous présentait récemment ? Souvenons-nous dans « «La vie de Galilée » de Bertolt Brecht, Andrea, disciple de Galilée, indigné par le fait que son maître ait abjuré suite à la condamnation de l’Eglise, s’écrie : « Malheureux le pays qui n’a pas de héros!« . Ce à quoi Galilée répond : « Malheureux le pays qui a besoin de héros.« 

Fort-de-France, le 09/10/2014

Roland Sabra


 

Mercredi 8, Jeudi 9, Vendredi 10 Octobre 2014, Samedi 11 octobre 2014
Théâtre Aimé Césaire (TAC)
Texte : Alain Guyard
Interprétation : Jacques Dau et Jean-Marc Catella
Mise en scène et Scénographie : François Bourcier
Assisté de Nathalie Moreau
Son et Images : Philippe Latron
Création lumière : Romain Grenier
Musique originale et régie : Roland Catella