Par Selim Lander
Après la Machine à beauté, la semaine dernière, un spectacle de théâtre programmé par l’Atrium, la salle Frantz Fanon est à nouveau comble pour un spectacle du CMAC, cette fois, la dernière création de la compagnie guadeloupéenne Lénablou (comme sa chorégraphe, Léna Blou). Le plateau est divisés en deux : devant un écran blanc disposé en biais, à jardin, un tapis blanc carré sur lequel évolueront les quatre danseurs ; à cour deux musiciens avec leurs instruments (contrebasse et batterie) qui viendront se surajouter à la bande son. Celle-ci, à vrai dire, se suffit à elle-même – une musique contemporaine signée Marc Jalet avec déjà pas mal de basses, mais sans que cela devienne obsédant comme dans les boites de nuit – si bien que les deux musiciens semblent plutôt là pour la décoration.
Avant que le spectacle commence, on voit apparaître sur l’écran des bandes ou des lignes verticales en mouvement, selon une esthétique très « Supports/Surfaces ». La vidéo, signée Christoph Guillermet, jouera également son rôle par la suite, en particulier dans la séquence qui montre les évolutions du danseur Léo Lérus, silhouette démultipliée à différentes tailles, un moment assez saisissant, qui laisse une curieuse sensation car on ne s’intéresse plus guère, à ce moment-là, aux danseurs en chair et en os qui sont pourtant encore là, sur le bord opposé de leur quadrilatère. La vidéo permet aussi de meubler un bref moment d’entracte pour les danseurs pendant lequel le public est invité à regarder et écouter Pierre Bellemare raconter une histoire absurde mais néanmoins très drôle : irruption incongrue mais plutôt bienvenue dans un spectacle voué à la danse contemporaine ! La vidéo permet enfin un intéressant face-à-face entre l’une des danseuses et un poulet dont on voit les pattes s’agiter en rythme sur l’écran, comme s’il dansait lui aussi…
L’environnement de cette pièce est donc très construit. Est-ce pour cacher les misères de la chorégraphie ? On serait tenté de répondre affirmativement à cette question dans les moments où, de fait, la gestuelle devient non seulement très élémentaire mais encore très répétitive. Heureusement il ne s’agit que de moments et l’on n’atteint jamais les excès de certains chorégraphes contemporains chez qui la danse a quasiment disparu. On pense par exemple à la prestation d’Anne Teresa de Keersmaeker, dans la cour d’honneur du Palais des Papes, lors du festival 2013, une pièce qui a divisé les spectateurs ainsi qu’on peut l’imaginer. Mais Rup_ture, au contraire, rencontre l’adhésion de tous les spectateurs, sans doute parce que la danse, bien que minimaliste et passablement abstraite, frappe d’abord par son élégance – quelque chose qui n’est pas si fréquent dans la danse contemporaine – et aussi sans doute parce que le propos, dans sa rigueur, laisse quand même passer des émotions. L’élégance est aussi due aux pantalons noirs, très larges, revêtus par les danseurs, qui leur donnent l’allure exotique d’adeptes des arts martiaux de l’Orient Extrême.
La « présence », la « grâce » des êtres de chair qui, sur la scène, sont chargés d’incarner les intentions de la chorégraphe contribuent pour beaucoup également à l’adhésion des spectateurs. Deux individualités se détachent à cet égard : Cecilia Deninthe, dans un solo en particulier, et Yannis François dont on admire les attitudes hiératiques. La synchronisation des danseurs n’est pas toujours parfaite dans les morceaux à quatre, les gestes ne sont pas toujours également développés mais il est vrai qu’ils sont bien peu nombreux les ballets, même les plus professionnels, à se montrer parfaits à ces égards. Et l’on garde surtout de ce spectacle la sensation d’une beauté fomaliste et quelque peu secrète, avec l’envie de voir la chorégraphe et ses danseurs, tous talentueux, nous surprendre autrement.
AU CMAC de Fort-de-France le 27 novembre 2014.