— Par Victor Lina —
Un implicite discours qui ne cherche manifestement pas à donner ce qui a déjà été servi tant dans la forme traditionnelle que dans celle des « canons » que la danse contemporaine construit malgré elle. Et pourtant, l’on devine la Guadeloupe, plus même, on la sent alors que les repères demeurent opaques.
Le geste des danseurs est travaillé, mais on le devine, pas comme à leur habitude dans les schémas de la performance, dans lesquels ils ont baigné ou baignent par ailleurs.
Les partis pris sont implicites, les figures sont murmurées et détricotées, codées, décodées, et même soumis à un désencodage acharné. Il ne s’agit pas de plaire ou d’afficher son passeport de danseur ou de danseuse.
Rup-ture évoque peut-être ce que suggère là, le kaséko guyannais, ou encore ici en Martinique cet adage : sé mantché tombé ki bel pa ! Il y a une esthétique dans l’inachevé de l’œuvre, il y a une humanité dans l’humilité.
Les corps, les lignes brisées des corps, donnant à partager l’inconfort dans le rythme dans la sobriété mélodique, dans l’étrangeté du répertoire et des écarts.
Les contorsions nous plongent dans l’informe. L’esthétique du geste prend racine depuis les articulations venant du tronc, des clavicules, des côtes, et des vertèbres. Ni souffrant ni souriant, être là pleinement présent.
Ça non danse, ça claudique et ça danse. Quand le corps est engagé, c’est depuis les viscères. Les développements sont souvent barrés, rompus, inter-rompus.
La musique est à la fois vivante et enregistrées. Il y a du play en toile de fond, du play-back. Il y a du play audio, du play vidéo et du vivant.
L’attitude peut être convulsive, sthénique, ou lascive. L’invite hypnotique se conclut en une anamorphose quasi psychédélique.
Mais l’accent s’affirme à partir d’un terme : brennen ou brennin. Brennen de la marche avant arrière sur les talons. Le brennen des fesses non biguiné apparaît comme un : ou pa wèy, é ben, chèché-y ! Le brennen dépotcholé, sans manman. Le déséquilibre n’est pas que transitoire, il occupe la place au même titre que l’équilibre.
Le mouvement s’anime, c’est une turbulence déployée dans l’espace. La mise à nu des émotions à travers les expressions agitées. Comment dire avec le corps, toute une histoire, tout un vécu ? Comment partager avec le public ses blessures, son mal à dire, ses malkadi aux limites de la pudeur et de l’humiliation ? La musique devient plus familière à travers ses accents rythmiques. La transe infiltre la danse, mais il demeure en fin de compte une grande solitude, une mélancolie du réel.
Victor LINA