— Le n° 367 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Ce jeu de mots connu (sujet au singulier, verbe au pluriel, pour indiquer que le sujet part dans tous les sens) est on ne peut plus approprié à la situation que nous vivons.
Alors que les institutionnels croyaient avec la signature de leur protocole, avoir plié la partie la plus incandescente de la crise de la vie chère, le RPPRAC refuse de signer et appelle à bloquer le pays à partir de lundi 21 octobre. Certes, la foule réunie samedi, n’a pas l’ampleur de celles de 2009, de la lutte contre l’obligation vaccinale, de la mobilisation contre le non–lieu dans l’affaire du chlordécone, mais son importance et son enthousiasme témoignent de l’écho rencontré par le mouvement, et de la colère qui règne dans le pays. Vie chère, misère sociale, colère de ne pas être entendu, constituent un sérieux mélange détonant.
Tandis que les signataires, dans leur grande majorité, se congratulent, trois députés signataires ont jugé nécessaire d’exprimer des réserves. Une série d’organisations politiques et associatives anticolonialistes, dont le GRS, manifestent dans une longue déclaration, leur défiance à l’égard du protocole signé, réaffirment une orientation anticolonialiste, qui les démarquent du RPPRAC. Cette démarche positive souffre néanmoins des lacunes du débat entre organisations politiques marquées par l’héritage des divisions idéologiques et électoralistes.
Le mouvement syndical de son côté, est encore dans sa majorité tétanisé par les propos hostiles du RPPRAC des débuts. La CGTM et, dans une moindre mesure, la CDMT tentent de s’impliquer dans la lutte en mettant aussi en avant d’autres revendications du mouvement ouvrier. Globalement, ce mouvement ouvrier paye son incapacité à poursuivre les réflexions entamées en 2009, à actualiser la plateforme des derniers jours de février-mars 2009. Cette situation complexe met le mouvement d’émancipation devant un défi qui peut se révéler historique.
À partir des quelques avancées malgré tout du document signé, comment faire passer dans la vie ce qui s’apparente à de simples promesses ? Comment faire payer les riches, les grandes compagnies, l’État, ce qui est nécessaire pour que le grand nombre puisse jouir d’une vie digne ? Comment réaliser les incursions dans l’ordre capitaliste (comme par exemple l’ouverture des livres de comptes, la réquisition de la grande distribution et du gros transport, l’indexation des salaires, retraites et minimas sociaux sur les prix, création d’une centrale publique d’achat avec le monopole sur les produits de première nécessité, contrôle citoyen sur les grandes plantations…), sans lesquelles les belles paroles sur le « changement du modèle », la lutte contre les inégalités, ou « l’autonomie totale » de Rodrigue Petitot, ne seront que bavardages stériles ?
Placer ces questions au cœur de la réflexion et des luttes, interpeller toutes les forces populaires sans exception sur ces points, nous semble la tâche de l’heure.
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Casser, brûler, piller , Non !
Contrôler, réquisitionner, décider nous-mêmes, Oui !
La pwofitasyon ne cessera que grâce à l’irruption des masses dans les espaces et instances où se décide son sort. Tout ce qui se produit, se vend, se consomme, résulte de l’activité et du travail du peuple. Tout est donc à nous !
Non à la démolition du fruit de notre travail ! Récupérons–le par le contrôle ouvrier et populaire, réquisitionnons les entreprises de la grande distribution, du transport maritime et aérien, de la grande plantation. Mettons–les au service du plus grand nombre. Prenons les décisions sur les prix, les salaires ! Imposons à l’État la hausse des minima sociaux, des pensions, l’amélioration conséquente des services publics dilapidés par des décennies d’ultra libéralisme mortifère !
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Prix du foie gras, des huîtres, du champagne, etc peuvent-ils être l’objet de la lutte ?
Le choix d’un critère pour définir les domaines de l’indispensable baisse des prix, est un inévitable objet de débat. Nous plaidons, (cela ne surprendra personne), pour que la question de classe ne soit pas évacuée de ce débat. Ou bien le critère est la nature des produits retenus, ou bien il est dans l’importance des produits pour le peuple.
Ces deux critères peuvent évidemment se recouper, mais ne sont pas rigoureusement identiques. En choisissant « tout l’alimentaire » comme critère unique, le RPPRAC met de côté deux réalités : d’une part il y a des biens indispensables au peuple qui ne sont pas alimentaires, d’autre part tout l’alimentaire n’est pas d’une nécessité indiscutable. Et l’argument selon lequel c’est à chacun de déterminer librement ce qui lui est indispensable, ne tient pas la route.
Même si la tâche n’est pas aisée, c’est la société entière qui doit définir ce qui est un besoin social, un bien de première nécessité, car cette définition a des conséquences sur toute la société. Quelles ressources la société doit consacrer à l’acquisition de tel ou tel bien ? Quels sacrifices peut–on accepter et que doit–on refuser ? Ces choix ont des coûts, les coûts sont supportés par la société, et le libre jeu du marché, du choix individuel, ira toujours dans le sens des plus riches. On appelle ça le capitalisme, paraît–il.
Lorsque la baisse de l’octroi de mer touche l’huile, les sardines, pour prendre un exemple simple, c’est une baisse des ressources des communes hélas, mais au moins au profit de la consommation du plus grand nombre. Lorsqu’une hausse de l’octroi de mer frappe le foie gras ou le caviar (Hé oui on vend ça ici !), c’est embêtant pour les amateurs de ces délices, mais si ça doit permettre de diminuer les prix des produits de première nécessité (alimentaires ou pas), sans dépouiller les communes, premiers employeurs du pays, nous votons pour allègrement. Ce n’est pas un argument très individualiste. C’est justement pourquoi il est bon !
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Vivre comme en France ? Non !
Vivre mieux, vivre vivre bien, en Caribéen émancipé ? Oui !
Une terrible régression idéologique nous menace à la faveur du mouvement actuel. Le marxisme-révolutionnaire nous a appris à toujours distinguer entre les luttes des masses, légitimes, indispensables, salutaires, et les manifestations idéologiques qui accompagnent ces luttes. Certaines vont dans le bon sens. Il faut les conforter. D’autres traduisent le poids mort d’un passé qui n’est pas passé. Il faut mener le débat critique avec elles, sans concessions, tout en menant la lutte avec le peuple qui se dresse pour ses droits.
Les propos assimilationistes entendus (« on est Français », on veut « manger comme en France », payer « comme en France », etc.) ont le double défaut d’embellir la situation française, et de faire le jeu du colonialisme le plus rétrograde en nous ramenant près d’un siècle en arrière sur le plan de la pensée politique. Pas étonnant que cela plaise aux apprentis fascistes du Front National (pardon, du Rassemblement National), qui se photographient tout sourire aux côtés de le « R ».
L’évolution du monde, et singulièrement de la France, où on voit s’aiguiser à l’extrême, la polarisation entre droite fascisante et gauche radicale, doit nous rendre particulièrement « véyatif » à cet aspect des choses.
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À propos des 134 produits du BQP et de l’Observatoire des Prix et des Revenus
L’État, relayé hélas aussi bien par Serge Letchimy, que par le RPPRAC, diffuse abondamment l’une des très nombreuses contre-vérités qui circulent sur 2009.
Ils présentent comme un fruit de 2009, deux décisions faites contre 2009 ! Non seulement, elles ne figurent dans aucun accord de 2009, mais elles ont été prises pour détruire les accords de 2009. Il est facile à toute personne cherchant la vérité de trouver dans le journal « Révolution Socialiste », des protestations répétées depuis le début contre ces mauvais coups.
Résumons une nouvelle fois. En 2009, un des accords signés portant sur 100 familles de produits, établit une baisse moyenne de 20% sur plus de 2500 produits. En mars 2009 comme aujourd’hui, France Antilles a publié la liste de ces produits.
Pour l’application de cet accord, des équipes militantes ont mené des campagnes de vérification dans les grandes surfaces qui ont fonctionné tant que la mobilisation avait de la force. Avec le reflux, la Préfecture a inventé l’observatoire, où la négociation entre les parties a été remplacée par le bavardage de l’observation (observation après accord entre Préfet et grande distribution) sans conséquences, et où un bouclier qualité prix (BQP) – avec 134 produits dans son moment le plus haut – a remplacé les 2586 produits négociés lors des accords en 2009.
Le tour de passe passe préfectoral est facile à comprendre. Sa répétition par Letchimy ne vise qu’à rehausser – au prix d’une déformation de la réalité (en langage vulgaire, on appelle ça un mensonge) – la portée de son accord avec les autres hors RPPRAC. Concernant ce dernier, chacun expliquera à sa guise.
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Accord ou protocole
D’objectifs et de moyens ?
Il est bien légitime d’interroger l’intitulé, et surtout la nature des documents que l’on signe pour conclure une négociation. En 2009 il y a bien eu des accords signés par la plupart des protagonistes. C’était bien plus clair que le texte signé suite à la table ronde d’aujourd’hui.
Il est pourtant essentiel de dire que les meilleurs intitulés, les meilleurs formes juridiques, ne constituent pas des garanties. Le principal problème de 2009, a été le sabotage des accords signés. Rappelons que l’accord signé sur les salaires, dont la structure résultait non du mouvement lui–même, mais d’une proposition de l’État et des collectivités, n’a pas été respecté par les collectivités elles mêmes.
Le président du Conseil général de l’époque, Claude Lise, indiqua pour se justifier, qu’il n’avait pas compris que cet accord liait le conseil général. Celui du conseil régional, Serge Letchimy, déclara, au bout d’un peu plus d’un an, qu’il avait besoin de cet argent pour des usages plus importants. L’État lui transforma les négociateurs de 2009 en personnes consultées dans un « observatoire ».
La leçon est claire : la garantie de l’application d’accords d’ampleur collective, n’est pas dans la perfection des termes, ni dans l’espoir des sanctions judiciaires. Elle est dans les mesures touchant aux structures, et surtout dans le maintien de la vigilance populaire, dans la capacité d’actions des masses.
Tous les manquements signalés ici, ont fait l’objet de dénonciations vigoureuses. La mobilisation n’a pas suivi. On peut en dire autant des protestations suite à l’échec des négociations sur le prix des pièces détachées. Durant cette négociation, les patrons proposèrent une baisse de 10% en moyenne sur les pièces qu’eux–mêmes auraient choisies. L’appel du Collectif du 5 février pour protester contre cette insulte n’a été suivi que par quelques petites dizaines de manifestant·e·s. Résultat : le prix des pièces détachées est resté inchangé voire, s’est aggravé depuis.