— Par André Bercoff —
L’ex-ministre devrait avoir sa propre émission sur D8, intitulée «Roselyne et les garçons». Pour André Bercoff, si les politiques terminent à la télévision, c’est parce que la politique est devenue impuissante.
André Bercoff est journaliste et écrivain. Son dernier livre, Je suis venu te dire que je m’en vais, a été publié aux éditions Michalon en 2013.
La télévision serait-elle la continuation de la politique par d’autres moyens? En avant-gardiste chevronnée, Roselyne Bachelot, l’ancienne ministre de la Santé, qui a pour Rodrigue Fillon les yeux de Chimène, avait sauté le pas depuis quelque temps. La voici bientôt en animatrice d’une nouvelle émission qui verrait le jour à la rentrée, sur D8. Cette mutation du spectacle de la gestion en gestion du spectacle, en annonce-t-elle d’autres?
Trop facile, en effet, le jeu de massacre des politiques. Nous devons avoir la rigueur de notre irresponsabilité. Il y a encore trente ans, les traités de savoir vivre à l’usage des jeunes générations incluaient immanquablement des chapitres sur la manière de réussir dans les affaires publiques et d’accéder au plus haut sommet de l’Etat. L’on se bousculait au portillon des urnes, qu’elles soient municipales, départementales, régionales, et évidemment nationales. Chaque fantassin rêvait de son bâton de maréchal élyséen, qu’il ne manquerait pas de décrocher avec suffisamment d’ambition, d’intelligence, de stratégie et avec l’aide essentielle des bons réseaux.
Hélas, de Gaulle est mort, Mitterrand est mort et l’exercice du pouvoir devient de plus en plus ce champ de mines où l’on doit s’avancer à visage découvert entre deux haies de snipers. La phrase maîtresse du Cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, est devenue piège mortel à l’heure du tout-info, du téléchargement 24h/24 et de la transparence devenue, pour le meilleur et pour le pire, respiration quotidienne.
La phrase maîtresse du Cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, est devenue piège mortel à l’heure du tout-info, du téléchargement 24h/24 et de la transparence devenue, pour le meilleur et pour le pire, respiration quotidienne.
Le politique a besoin du long terme: les réformes, quel que soit le domaine où elles doivent s’exercer, requièrent la patience, la durée, la nécessaire maturation. Chaque ministre, chaque député, se voit, du matin au soir et du soir au matin, sommé de répondre de manière définitive à un tsunami de questions sur lesquelles aucune hésitation ne lui est permise. De la gestion de la cité considérée comme un jeu vidéo: si vous ne sortez pas immédiatement le lapin du chapeau, c’est que vous n’êtes pas bon ou carrément nul. Contradiction terrifiante entre la nécessité de donner du temps au temps et celle de caqueter en permanence sur un processus dont on ne connaît ni l’issue, ni la solidité.
Il y a aussi les affaires, d’Urba Gracco à Bygmalion, de Cahuzac à Lavrilleux. Gauche et droite donnent, simultanément ou alternativement, la triste pantalonnade des fausses factures et des vrais délits, de la main dans le sac et du sac de nœuds. La tentation du «tous pourris», injuste et inexacte, trône ainsi dans les têtes.
Dernier aspect: le politique est élu par ses concitoyens mais, sitôt au pouvoir, il voit surgir les balises d’acier de l’économie-monde, du Fonds Monétaire International, de la Banque Centrale Européenne et de la commission du même nom, toutes institutions qui n’ont pas voté pour lui et qui se fichent éperdument de sa carrière. De cette contradiction primale, nait le désespoir tranquille des pouvoirs et de la difficulté de plus en plus grande qu’il y a à concilier les paroles et les actes.
Nous aurons donc «Roselyne et les Garçons», et peut-être ensuite «Jean-François et les Filles», «Du côté de chez François» une série télévisée sur le petit Nicolas, et pourquoi pas, «C’est nous les gars de la Marine». La télé c’est bien, c’est confortable, c’est sans risque et ça peut rapporter gros. Reste à espérer que la plupart de nos politiques continueront à préférer servir que se servir. On peut toujours rêver.
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