« Roméo et Juliette », « La Gaviota » & « Les valises bleues »

— Par Dominique Daeschler —

Roméo et Juliette
Mise en scène Alain Timar, théâtre des Halles
Par Dominique Daeschler
Alain Timar transpose en 2100 l’histoire de Roméo et Juliette avec K’Arts ( Korean National University of Arts de Séoul). Tout se passe dans les clans qui ne comportent qu’un seul sexe : des hommes chez les Montaigu, des femmes chez les Capulet ce qui bannit l’ hétérosexualité. Ce sont des bandes rivales( petit clin d’oeil à West Side Story ? ) qui se jaugent et appellent Roméo d’un côté , Juliette de l’autre, à résister à leur attirance jugée primitive et quasi contre nature. Quatorze comédiens à la fois danseurs et musiciens se partagent le plateau, circulant avec une souplesse de félins dans des déplacements chorégraphiés avec minutie, jouant de références aux arts martiaux, ce qui donne une certaine rigidité aux corps (pas de rapprochement tendre dans les étreintes) à l’unisson d’un dialogue souvent martelé. La parole semble projetée hors du corps, presque dissociée de ce dernier.
La conscience d’être dans une autre culture, dans la prose de parole le jeu, le rôle du silence, de l’attente et de l’observation ( les groupes assis, levés comme des choeurs) est magnifié par la présence constante sur scène du musicien Yougsuk Choi, qui sait, par sa musique, nous rappeler l’existence de cet ailleurs.
Le peu de consistance donné aux personnages de Roméo et Juliette étonne car le groupe prime ainsi que les personnages qui ont un impact sur le déroulement de l’histoire : Mercutio avec son langage étonnamment fleuri, la mère, la reine des chats.
D Daeschler

 

La Gaviota, mise en scène Chela de Ferrari, théâtre La Plaza

Par Dominique Daeschler

Créatrice du théâtre La Plaza à Lima (Pérou), Chela de Ferrari monte une adaptation de La Mouette avec des acteurs en majorité non ou mal voyants. Précédemment, elle avait revisité Hamlet avec des acteurs trisomiques.

Avec des personnes porteuses de handicap le déroulement est »déplacé » et donne à voir et à entendre une expression différente qui sollicite le spectateur pour qu’il sorte de ses acquis. Pour faciliter les choses, Chela de Ferrari, donne d’entrée un rôle primordial à la »régisseuse » qui introduit le propos, guide les acteurs ,est sur son ordinateur avec son conducteur sur les genoux et danse : un rôle de chef d’orchestre… Les décors décrits aux acteurs vont disparaitre. Les décalages dans le déplacement vers l’autre jouent aussi sur les retours de réplique. Les personnages sont chargés, presque caricaturaux. Nina, idéaliste et naïve , n’est pas un être poétique , dès le départ elle semble condamnée. Boris, Costia , peut-être parce qu’ils en rivalité, apportent une tonalité différente

On est loin du temps étiré de Tchékhov, aux amours contrariés on donnera le change par des fêtes incessantes ( danses, chants ),reconstruisant une autre velléité des personnages et une consommation du présent. Dans sa façon d’aimer personne ne convainc tant le nombrilisme forcené renforce la névrose familiale . Les personnages semblent se chercher dans un labyrinthe sans avoir envie de se trouver. Le récit qu’ils ont construit d’eux-mêmes prévaut sur toute évolution possible. La tristesse reste omniprésente . Le désastre (le suicide de Costia) que l’on peut qualifier de prémédité et d’attendu tombe et voilà tout.

 

Les valises bleues, texte et m e s G. Vantaggioli, le chien qui fume

Par Dominique Daeschler

Un homme et une femme, se cherchant chacun dans leur art ( peinture pour lui, chanson pour elle), jouent et rejouent depuis des années – après une rencontre coup de foudre – à recommencer l’histoire, à ne pas entrer dans la monotonie d’un couple bien assis.

Sans satiété, il peint les fesses de la belle (en bleu) qui sait entretenir un érotisme où inventer se conjugue souvent avec les combinaisons possibles de la séduction et de la prise d pouvoir. On se dispute, se réconcilie sur l’oreiller, se refâche. Un jour il la peint presque ange, dans une robe d’une blancheur virginale, enroulée cependant autour d’un sexe féminin peint sur le tissu. Et voilà qu’elle s’étonne, s’inquiète de ne pas être nue. Les règles du jeu ont changé, n’est-elle plus assez belle et désirable ? Devant la toile réalisée, elle se rebiffe, refuse cette image idéalisée et s’enva, revient, repart …

Sait-on jamais comment l’autre vous aime et aimerait être aimé ?Partira, partira pas ? Ça fait beaucoup pour le spectateur qui peut avoir des fantasmes de fessée. Sont-ils capables d’inventer de nouveaux rêves ? Des valises bleues, s’échappent des ballons qui vont taquiner le ciel …Ouf !

Une facture classique pour la mise en scène de ce texte confié à des acteurs chevronnés et roués.