Rokia Traoré, chanteuse engagée malgré elle

— Par Patrick Labesse —

Gracieuse, d’une élégance raffinée, la chanteuse malienne Rokia Traoré a éclairé de sa présence Babel Med Music, le Salon et marché des musiques du monde, organisé du 21 au 23 mars à Marseille. Et ce, sans y avoir chanté, hormis deux trois minutes, sublime a cappella – quelques paroles de Fanta Damba n° 2, une griotte célèbre au Mali. Elle était là pour y recevoir un prix. Elle participait également à une table ronde organisée autour du thème « musique et résistances ».

La chanteuse sort le lundi 1er avril son cinquième album, mais, même si la 9e édition du Salon regroupait environ 2 500 professionnels (et 16 000 spectateurs fêtards aux concerts des Docks des suds, du 21 au 23 mars), elle n’était pas à Marseille pour parler de son actualité. En revanche, quand il s’agit d’évoquer celle du Mali, un an après le coup d’Etat du 22 mars 2012, qui renversait le président Amadou Toumani Touré (ATT) au Mali, elle se montre intarissable.

La voix est douce, posée, le ton solennel. Après le débat, installée dans un fauteuil, elle nous raconte des bribes de sa vie, livre ses émotions. Née en 1974, dans la région de Bélédougou, au Mali, près de la frontière mauritanienne. A 2 ans et demi, elle a commencé à voyager, au gré des affectations de son père diplomate. « J’ai eu le privilège de grandir entre deux parents qui avaient pour souci constant de faire en sorte que l’on n’oublie pas d’où l’on vient tout en nous ouvrant au monde. » Elle a vécu quelques années à Amiens, en Picardie, tout en faisant des allers-retours à Bamako où elle réside depuis trois ans.

La musique ? Une envie naturelle. « J’aimais cela. Je voulais en faire, tout simplement. » Elle ne comprend pas pourquoi certains semblent toujours attendre des artistes africains qu’ils parlent d’engagement, qu’ils se posent en défenseurs de nobles causes. « Est-ce qu’on les pose ces questions à des artistes occidentaux ? Tous ne chantent pas nécessairement des sujets douloureux. » Elle non plus. Elle refuse la posture de porte-parole des causes sensibles. « Ce serait prétentieux de ma part. Les héros, ce sont ma mère et mon père, toute cette génération qui a porté le changement en Afrique. »

La jeune fille qu’elle était quand on l’a découverte, en 1997, au festival Musiques métisses d’Angoulême est loin. Rokia Traoré s’exprime avec passion, poursuivant souvent le récit de ses impressions au-delà de la demande initiale de son interlocuteur.

Happée par l’urgence

Hier, elle réagissait au coup d’Etat, à la partition au Mali et aux exactions commises par les islamistes ; aujourd’hui, elle commente l’intervention de la France et les réactions qu’elle a pu susciter. « Certains parlent encore de néocolonialisme, d’intérêts souterrains de la France. Ils avancent que le Mali aurait dû négocier les termes de l’intervention. Mais, en cas d’incendie, quand une personne vous tend un seau d’eau pour éteindre le feu, on ne lui demande pas qu’est-ce que vous voulez en échange. On prend le seau d’eau. »

Lorsque l’opération « Serval » a été enclenchée, en janvier, « les extrémistes étaient à Mopti et continuaient d’avancer. J’étais bouleversée. Je me suis sentie inutile ». Quand les Français sont arrivés, elle se souvient avoir ressenti un énorme soulagement. Sans vouloir endosser le rôle de chanteuse engagée, petit à petit, au fil de sa carrière, amorcée en France, Rokia Traoré sent qu’elle a « quelque chose à rendre à son pays, à l’Afrique. On se rend compte de sa responsabilité vis-à-vis des jeunes qui rêvent de devenir ce que l’on est ».

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Beautiful Africa, CD Warner. Sortie le lundi 1er avril.

Concerts :

le 10 avril à l’EMB, Sannois (77) ; le 12 avril à La Ferme du buisson, Noisiel (77), le 13 avril au Cully Jazz Festival (14), le 16 avril au Festival Chorus, Colombes (92), du 17 avril au 19 avril, au Petit Bain à Paris.

Festivals d’été :

Blues Passion, à Cognac, le 3 juillet, Les Suds, à Arles, le 11 juillet.