Revue Minorit’Art : Appel aux artistes – Call for artists

Minorité visible : un créateur local face à la pandémie

Visible minority : a local creator facing the pandemic

Œuvre de Ronald Cyrille « Sans titre »  – 147 x 199 cm, acrylique sur toile, 2020

*** FRANÇAIS ***

Artistes des minorités visibles, des Amériques, d’Europe et d’ailleurs dites-nous avec un texte, une image ou des mots (vidéo, installation, poème, nouvelle, texte déclamé, texte en musique, peinture, etc.) votre expérience de ce confinement. Parce que vous êtes aussi des créateurs participant à la vitalité culturelle de l’espace où vous vivez, faites-nous part de vos craintes et de vos espoirs. Partagez avec nous vos épiphanies, vos découvertes, vos doutes et réponses décoloniales.

 

Contexte

Depuis près d’un mois, la planète s’est contractée de nouveau. Désormais, ici, quelqu’un tousse dans son coude, et là, dans un autre pays, quelqu’un meurt de cette expectoration. La vieille théorie des six poignées de main (ou six degrés de séparation) qui veut que six contacts séparent les individus des uns des autres sur le globe est devenue aujourd’hui 4,7, voire même 3,5 poignées de main si vous êtes sur Facebook (comme nous le rappelle Pierre Haski-1). Si le néolibéralisme a saisi avec une certaine acuité l’intérêt qu’il y avait  à faire rétrécir les distances qui nous séparent, c’est qu’il y a vu un moyen rapide d’identifier nos valeurs, mode de vie, désirs et aspirations. Cette proximité calculée ne vaut pas pour ce qu’elle compte d’unité, de chaleur, de respect, d’amour et de corporéité, mais pour sa valeur mathématique, quantifiable et vectorisable dans une trajectoire consumériste globale. Nos corps sont ainsi convertis en big data et utilisés pour maximiser les profits de multinationales toujours plus “big”. Comme toute idéologie elle ne fait rien par elle-même, nous seuls lui donnons vie.

Dans ce commerce inégalitaire qui exploite les désirs des petits, des plus petits… un tout petit — un microscopique — “grippe“ la machine. Une des plus petites formes de vie, et certainement l’une des moins intelligentes, le Covid19 réussit là où tous les mouvements et penseurs décoloniaux ont échoué. Les usines ferment et les pays aussi. La récession est brillamment entamée, dans le même temps la planète respire et le monde se réduit jusqu’à être contenu dans les plus petites frontières de nos géographies : les quatre murs de nos maisons. Les plus maigres et désargentés d’entre nous, habitent une coquille de fragilité et d’inquiétude. Les artistes et plus encore ceux des minorités visibles (non pas nos vedettes) habitent le fond de cale de cette fragilité.

C’est ainsi que prend pied cet appel ; dans la fragilité. Cependant, fragilité n’est pas synonyme d’absence de force ni dureté, mais une conscience cristal diffractant la lumière du monde. Nos forces ne sont-elles pas dans nos manières de réfléchir et de capter les impensées? Nous qui sommes les éternels étrangers des lieux, nos épiphanies incertaines ne contredisent-elles pas le métal froid des gondoles de supermarché ?

 

*** ENGLISH ***

Visible minority artists from the Americas, Europe and elsewhere: tell us with a text, an image or other (video, installation, poem, short story, declaimed text, text in music, painting, etc.) your experience of this confinement. Because you are also creators participating in the cultural vitality of the spaces where you live, tell us your fears and hopes. Share with us your epiphanies, your discoveries, your doubts and your decolonial answers.

Background

For nearly a month now, the world has started tightening again. Here, someone is coughing into their elbow, and there, in another country, someone is dying of this sputum. The old theory of the six handshakes (or six degrees of separation) that tells us six contacts separate people from each other on the globe at any time, has now become 4.7, or even 3.5 handshakes if you’re on social media (as Pierre Haski1. reminds us). If neo-liberalism has grasped perceptively the advantages of narrowing the distances that separate us, it is because its champions saw in it a quick and efficient way of identifying our values, lifestyles, desires and aspirations. This closeness was not primarily encouraged for unity, warmth, respect, love and corporeality, but rather for its calculated, quantifiable and vectorizable value in furthering a global consumerist trajectory. Our bodies are thus converted into big data and used to maximize the profits of ever more “big” multinational corporations.

In this unequal trade that exploits the desires of the small, the smallest…a tiny one – a microscopic “bugged” the machine. One of the smallest forms of life, and certainly one of the least intelligent, the Covid19, succeeded where all decolonial movements and thinkers have failed. Factories are closing and countries are closing. The recession is brilliantly underway, and at the same time the Earth is breathing and the borders are narrowing until we are contained within the smallest boundaries of our territories: the four walls of our houses. It is even truer for the most deprived and destitute among us who end up inhabiting a shell of fragility and anxiety. Artists, and especially visible minority artists (not our celebrities), are in the midst of this fragility.

It’s in this fragility that this call takes root. However, fragility doesn’t mean an absence of strength or resilience, but a clear consciousness that diffracts the light of the world. Doesn’t our strength lie in our unique ways of thinking and capturing original insights? For us who stand as the eternal strangers of our spaces, could our uncertain epiphanies contradict the cold metal of supermarket gondolas ?

1. Pierre Haski (2016) 3,5 degrés de séparation si vous êtes sur Facebook : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-sur-les-reseaux/20160205.RUE2124/3-5-degres-de-separation-si-vous-etes-sur-facebook.html

Cécilia Bracmort / Mildred Cabrejas Quintana / Ronald Cyrille / Géraldine Entiope / Eddy Firmin / Karla Cynthia Garcia Martinez / Annabel Guérédrat / Moridja Kitenge Banza / Jennifer Sidney / Henri Tauliaut / Sarah Tchou

Contact : http://minoritart.org

Fort-de-France, le 20 avril 2020, appel de la revue « Minorit’Art », mis en ligne à la demande d’Annabel Guérédrat