— Par Selim Lander —
Salles combles pour les trois représentations de Revoleo, le spectacle en tournée du chanteur Luis de la Carrasca et de sa compagnie « Flamenco Livo ». À en croire les articles joints dans le dossier de presse, le succès rencontré par ce spectacle est général et n’est donc pas spécifique à la Martinique où la danseuse, la très ravissante Ana Pérez, se trouve avoir, paraît-il, quelques racines. Le même dossier de presse expose les intentions du meneur de jeu : « transmettre un message humain, d’espoir et d’amour », tout cela nous étant présenté comme la « mission première du flamenco qui doit absolument être perpétuée ». Dont acte. Remarquons simplement que pour le spectateur français lambda, qui ne comprend pas l’espagnol (ou est-ce de l’andalou ?) ce message humaniste est bien difficile à percevoir. Pour lui, il s’agit simplement de musique et de danse, ce qui n’est déjà pas si mal.
La compagnie Flamenco Vivo a la particularité d’être basée – contre toute attente – non pas à Grenade ou à Séville mais… en France, en Avignon. Ceci dit, l’honneur est sauf : tous les interprètes ont un lien évident avec l’Espagne, dont témoigne leurs patronymes, ou plus précisément les noms inscrits sur le programme. Outre les déjà nommés Luis de la Carrasca (nom de scène ? un peu trop beau pour être vrai) et Ana Perez (à nouveau est-ce le patronyme réel d’une jeune femme présentée comme de père cap-verdien antillais ?) : José Luis Dominguez (né à Bruxelles) à la guitare, le danseur Kuky Santiago (également fils d’immigrés andalous en Belgique) et enfin Kadu Gomez (gitan marseillais) aux percussions. L’émigration des Espagnols en Europe ne date pas de la crise de 2008 : nous en avons ici la confirmation.
Anecdotes mises à part, la troupe remplit très honnêtement son contrat. Le guitariste fait chanter son instrument comme pas deux, au point qu’on pourrait croire, par moment, pour peu qu’on ferme les yeux, qu’un orchestre entier est sur la scène. Les préludes pendant lesquels il intervient seul donnent la mesure de sa virtuosité. Luis de la Carrasca n’a plus sa voix de jeune homme. Un incident de micro, au début, le soir où nous étions dans la salle, l’a montré passablement perturbé ; il fut heureusement vite réparé. Cet incident fournit néanmoins l’occasion de préciser que tous les musiciens étaient amplifiés de même que les talonnades des danseurs. L’acoustique du théâtre municipal est pourtant fort bonne, que l’on sache… mais comment résister à la mode des micros ? Ce n’est pas la première ni sans doute la dernière fois que nous ferons cette remarque. La facilité pousse à recourir à l’amplification. Celle-ci, pourtant, n’est pas toujours une panacée. Mal réglée, elle s’avère pire que le mal qu’elle est censée combattre. Heureusement, il n’y avait rien à redire, à cet égard, dans le cas de Revoleo, l’amplification jouait plutôt un rôle positif, et s’est avérée indispensable pour le chanteur.
Les danseurs ont fourni une très honnête prestation, très physique, dans des solos qui semblaient ne jamais se finir, sans paraître pourtant jamais atteindre l’extrémité de leurs forces. N’étant pas spécialiste du flamenco, mais pour avoir assisté néanmoins à quelques prestations de danseurs andalous dans des cabarets à Grenade ou à Séville, nous nous contenterons de deux remarques à leur égard. D’abord, la prestation de la danseuse nous a paru bien supérieure, plus expressive et un peu plus variée que celle de son alter ego masculin. Or, à l’applaudimètre, c’est lui qui l’a emporté : comprenne qui pourra. Ensuite, on ne peut que regretter l’absence quasi-totale de morceaux de danse à deux. C’est pourtant ce qu’il y a de plus spectaculaire dans le flamenco, lorsque le danseur et la danseuse se défient mutuellement. Provocation, séduction, avance, retrait, c’est dans ces duels amoureux que les danseurs donnent toute leur mesure, qu’ils peuvent ajouter sensibilité et l’émotion à ce qui, sans cela, risque d’apparaître comme de la pure technique plutôt répétitive.
Enfin, s’il est bon de terminer en beauté, n’est-ce pas un peu dommage lorsque le final éclipse ce qui a précédé ? Abandonnant leurs instruments et leurs micros, se contentant de taper dans les mains, conduit par son chef qui chantait a capella (pas assez fort, certes, mais nous n’en avions cure à ce moment-là), le groupe tout entier invitait, appuyait successivement la danseuse ou le danseur dans leurs évolutions (voir la photo). A ce moment-là, l’émotion est arrivée ; on a senti dans cette camaraderie affichée, dans cette simplicité voulue, quelque chose qui semblait très proche de l’authenticité. Nous avions sous les yeux des amis qui se donnaient du bon temps… et à nous avec !
Au Théâtre municipal de Fort-de-France, les 11, 12et 13 juin 2015.